Jeunesse radicalisée : quelles solutions ?

Au Mali, la quête de solutions pour faire face à la menace terroriste se dessine progressivement. Conscients de l’insuffisance des options strictement sécuritaires, certains pays ont mis en place des initiatives allant dans le sens de la « déradicalisation » des jeunes, première « force » des groupes extrémistes violents.

« Il s’agit pour nous de savoir pourquoi ce public cible est tant prisé par les terroristes. Peut-être conviendrait-il de jeter un coup d’œil sur nos systèmes éducatifs, nous interroger à savoir pourquoi le goût du lait devient le goût du sang ». Ces propos sont du Premier ministre Modibo Keïta, qui s’exprimait lors de la cérémonie d’ouverture de l’atelier de l’Association des Hautes cours de justice francophones (AHJUCAF) sur la situation des mineurs face au terrorisme, le mardi 25 octobre. C’est un fait, le Mali est engagé dans la lutte contre le terrorisme, aussi bien sur son territoire qu’en dehors. Mais face à la menace, force est de constater l’absence de stratégie pour lutter contre la radicalisation contrairement à d’autres pays comme la France où, en 2014, le gouvernement a mis en place un plan national de lutte contre la radicalisation, articulé autour d’une plateforme téléphonique et d’un système de renseignement au niveau des préfectures pour faire remonter des informations aux services de renseignements. Après les attentats de janvier et novembre 2015, des centres de réinsertion et de citoyenneté pour les jeunes radicalisés dans le but d’inverser le processus, ont également été créés dans le cadre de ce dispositif.

Formation et contre-discours En Afrique aussi, certains pays s’organisent. Comme le Sénégal, où l’Observatoire des radicalismes et des conflits religieux, dirigé par le chercheur Bakary Sambe (également à la tête du centre d’études des religions de l’Université Gaston Berger de Saint Louis), a été créé au sein du Timbuktu Institute pour étudier « les risques liés à l’extrémisme violent, sa prévention et les processus de basculement ». Il apparaît donc que la piste de la formation religieuse (comme celle des imams maliens formés au Maroc à un islam modéré) ne saurait être la seule solution. Puisque le schéma de radicalisation des jeunes est désormais connu, place doit être faite à des initiatives qui leur sont directement destinées. L’une d’entre elles vise l’élaboration d’un contre-discours pour déconstruire les arguments de l’extrémisme violent. Reste à les prendre en charge psychologiquement et moralement, voire financièrement, afin de les « récupérer ». À contre-courant, de nombreux repentis ont remis en cause l’efficacité de ces projets, car selon eux, « on ne peut lutter contre le djihadiste que sur le terrain ».

 

Jeunes djihadistes : pris dans la toile de l’araignée

Au Mali, la pauvreté, le chômage, la corruption, l’insécurité, et l’absence de l’État dans certaines portions du territoire, exacerbe le désenchantement et les frustrations des populations, constituant un terrain propice pour les groupes djihadistes, qui ciblent en majeure partie les jeunes. L’extrémisme violent prôné par ces groupes, s’efface devant des raisons, souvent financières, qui poussent ces jeunes à s’enrôler.

« Je les ai rejoint pour faire vivre ma famille ». « Comme l’État n’est pas là, chacun se protège comme il peut ». « J’ai rejoint le MUJAO car j’ai vraiment aimé leur manière de convaincre les gens, leur justice et leur droiture ». Ces témoignages sont ceux de jeunes combattants, logisticiens, informateurs, chauffeurs, des anonymes, qui ont répondu à l’appel des ces groupes extrémistes violents pour tenter de changer leur quotidien, protéger ou nourrir leur famille, et dans une moindre mesure, par conviction religieuse. On les nomme communément djihadistes, et au sein des katibas, ils sont des moudjahidines qui servent les objectifs des groupes extrémistes.

Le déclenchement de leur radicalisation prend généralement racine dans les problèmes sociaux que vivent les populations et que la propagande des groupes extrémistes sait reprendre à bon compte. « Beaucoup de gens se sentent marginalisés, comme dans la région de Mopti. Ils ont vu dans ces mouvements djihadistes une façon de se rehausser, avec les armes, de devenir puissants dans un esprit de vengeance. La pauvreté, les jeunes sans travail qui peuvent gagner 100 000 à 200 000 francs CFA pour livrer des informations à ces groupes, ou pour les aider à recruter, c’est de l’argent facile qui attire nombre d’entre eux », explique le Dr Fodié Tandjigora, sociologue, qui a participé à une étude de l’institut ISS Africa de Dakar, parue en août 2016, qui traite de la radicalisation des jeunes au Mali et de la part du religieux comme du chômage dans ce phénomène. Menée par 14 chercheurs dont 10 Maliens, elle est basée sur des entretiens menés avec plus de 60 ex-engagés, et remet en cause certaines idées reçues sur cette problématique centrale pour la stabilité du Mali et pour la sécurité des pays voisins.

Les facteurs d’incorporation sont parfois plus singuliers, comme à Gao, où nombre de jeunes, diplômés sans travail, ont rejoint le MUJAO pour pouvoir profiter des avantages du cantonnement et intégrer l’armée malienne, « où on ne rentre que par connaissance ou en y mettant le prix », avaient-ils justifiés.

Selon les résultats de cette même étude, l’ensemble des individus ayant rejoint ces mouvements l’on fait moins à cause de la religion que pour des facteurs économiques ou communautaires, malgré le discours politique. « Les jeunes que nous avons rencontrés évoquent différentes raisons à leur basculement, mais pourtant ils sont toujours perçus comme des djihadistes », ajoute le Dr Tandjigora.

Devenir un frère de sang Si l’appât du gain est la principale raison qui amène ces jeunes à intégrer les groupes extrémistes, une fois cooptés, les promesses de richesses font place à la désillusion : ils se rendent compte que le salaire n’est pas assuré. Les groupes djihadistes gagnaient beaucoup d’argent avec les rapts d’Occidentaux. Ils en gagnent moins depuis l’intervention Serval. « Avant il était fréquent de voir des jeunes à Kidal payer des motos cash en euros et laisser des pourboires », explique cet employé d’une ONG de la région. Mais une fois le piège refermé sur eux, partir n’est plus possible ou ils s’exposeraient, ainsi que leur famille, à des représailles. Commence alors les formations idéologiques avant les formations militaires qui peuvent durer des semaines ou des mois pour les faire devenir des « frères de sang ». « Ils sont formés à toutes sortes d’armes et la formation idéologique ne s’interrompt jamais. Ils arrivent à te dégoûter du monde contemporain pour te concentrer sur l’au-delà, t’apprendre comment faire dans ce bas monde pour accéder au paradis », affirme cet habitant de Kidal.

Quand ces jeunes rentrent dans un groupe, la confiance ne leur est pas accordée directement. Ils accomplissent les basses besognes des jeunes recrues : la lessive, le ménage, des travaux. On les teste, et notamment leur capacité de résistance. Ce n’est vraiment que quand ils ont gagné la confiance de leurs chefs qu’on les envoie en mission. « Beaucoup d’entre eux ont réussi à quitter le mouvement avant de passer à l’acte. D’autres ne voyant pas venir les sommes promises ont vite décampé », résume le Dr Tandjigora.

Se repentir Ceux qui ont quitté ces mouvements sont les repentis. On les compte par centaines dans la région de Kidal. Certains rejoignent les mouvements armés signataires de l’accord de paix ou prennent un travail et tentent de se réinsérer dans la société. « Ceux qui en reviennent disent qu’ils ont été embarqués dans des histoires qui ne servaient pas leur cause. Il y en a d’autres qui prennent ça pour une expérience de la vie. On les a aguerris, ça leur à ouvert les yeux sur beaucoup de choses », explique cette source proche des mouvements.

Ce passage dans l’extrémisme violent laisse souvent une marque indélébile avec laquelle ils doivent apprendre à vivre. Ces repentis partent souvent s’installer dans d’autres zones, où ils n’auront pas à affronter la stigmatisation. « En général, les repentis se positionnent d’abord en victimes, et disent s’être enrôlés sans se rendre réellement compte, bien que pour nombre d’entre eux c’était un acte réfléchi », explique le sociologue.

 Menace djihadiste Pour contrer le recrutement des jeunes attirés par les sirènes du djihadisme, aucune organisation n’existe au Mali. Dans la région de Kidal, les grands marabouts sont les seuls à oser défier les chefs djihadistes dans leurs prêches. Pour ce cadre du MNLA, qui traque ces combattants extrémistes au quotidien, « le djihadisme est la menace la plus importante dans la région de Kidal, car ces groupes n’ont aucune politique à part celle de détruire. Cela nous met dans une position d’isolement, d’embargo, qui transforme nos villes et villages en cimetière », déclare-t-il.

Selon lui, les katibas au Nord de Kidal ne compterait pas plus de 200 combattants et l’Algérie faciliterait le passage de ces groupes de part et d’autre de sa frontière. Mais le gros de la menace djihadiste se déplacerait dans le centre du pays. « Les djihadistes sont en train de recruter beaucoup plus dans le Macina que dans le Nord. Ansar Dine et AQMI se sont rassemblés et ils s’appuient maintenant sur la communauté peule. Iyad Ag Ghaly a constaté qu’il perdait beaucoup de cadres avec Barkhane, donc il essaie d’attirer la France vers le centre. Ils intensifient les opérations dans cette zone et créent des groupes qui recrutent des gens qui se sentaient un peu isolés et qui ne s’intéressaient pas à la politique de l’État ou à la sécurité », explique-t-il. L’ancien chef rebelle devenu terroriste serait dans l’attente du moment opportun. Une phrase qu’il a prononcée il y a quelques mois semble sonner comme un avertissement : « Je suis l’araignée. La mouche est beaucoup plus rapide, mais l’araignée mange les mouches. Je ne suis pas pressé et comme l’araignée je tisse ma toile. J’essaye d’éliminer tous ceux qui sont entre moi et les mécréants (Français) ».