Régionalisation, à l’épreuve du terrain

Le 31 mars, au palais de justice de Tombouctou, en présence de la communauté arabe venue en nombre, le nouveau gouverneur de la région de Taoudéni, Abdoulaye Alkadi, levait la main droite pour prêter serment et acter de la prise en charge de ses nouvelles fonctions, dans l’enthousiasme général. La cérémonie terminée, le nouveau gouverneur est retourné à  Bamako, sans que les populations sur place n’aient connaissance de la date de son retour. Son intronisation ouvre cependant une nouvelle séquence, celle de l’opérationnalisation de la région de Taoudéni. Dans la commune de Salam, on est déjà  prêt. « Les populations ont réfléchi aux découpages depuis 2011, les 30 arrondissements sont connus, ainsi que les cercles, au nombre de 6. Nous souhaitons maintenant que le gouverneur vienne s’installer à  Tombouctou et qu’il puisse venir acter la répartition des populations dans les cercles et les communes », se réjouit El Hadj Mohamed Attaher, maire de Salam. l’engouement est le même dans la région de Ménaka, o๠les populations attendent elles aussi leur gouverneur. « Pendant des décennies, ce nouveau découpage était un souhait des habitants de Ménaka. La régionalisation nous permet ainsi de mieux faire face aux défis spécifiques de notre région », assure T. Dicko, qui croit savoir que Daouda Maà¯ga, le gouverneur nommé, doit bientôt rejoindre son poste. Si le gouvernement a créé ces nouvelles régions et nommé leur gouverneur, le grand défi reste le découpage en cercles et en communes. Notamment à  Taoudéni, o๠il faudra tenir compte des nombreuses fractions et tribus vivant sur place. « Sur papier on a déjà  fait des propositions pour constituer les communes, les cercles, et le gouverneur est en train de consulter les populations », explique Bakary Amadou Bagayoko, conseiller technique au ministère de la Décentralisation. Sur place, la population appelle de ses vœux des « consultations », qui n’ont pas encore eu lieu, et qui permettront à  chaque communauté de savoir o๠elle vivra. « L’élément essentiel pour constituer cette région, c’est la volonté de vivre ensemble. Nous faisons des propositions qui sont soumises aux populations, on ne veut rien imposer. La délimitation des communes sera administrative et pas physique, car ce sont des nomades et ils ont coutume de se déplacer », déclare le conseiller. L’un des chantiers majeurs du gouvernement est de canaliser la multiplication des collectivités, car derrière ce découpage se cache aussi des enjeux électoraux. L’autre défi à  relever, et non des moindres, sera la question de la sécurité des futurs agents qui s’installeront dans cette région pour former la nouvelle administration d’un vaste territoire qui échappe, encore aujourd’hui, à  l’autorité de l’à‰tat.

1ère Conférence annuelle des ADR

Après la décentralisation mise en place à  compter de 1993, la régionalisation est en marche au Mali. Ce 25 février, une étape importante de ce processus a été franchie. Après la mise en place officielle des Agences de Développement Régional, la première Conférence annuelle des ADR s’est déroulée au Centre International de Conférences de Bamako. Dans chacune des 10 régions du Mali, une agence de développement régional jouera un rôle de réflexion prospective pour le développement régional, servir d’interface pour la mobilisation des acteurs territoriaux, assurer la coordination des différents intervenants dans le développement, aider ainsi la région à  exercer sa fonction de maà®trise d’ouvrage du développement régional. A ce titre, elles auront à  planifier des opérations de développement dans les domaines de compétence des collectivités en cohérence avec les politiques publiques définies par l’Etat, préparer et programmer des opérations de développement relatives à  l’amélioration des infrastructures, des équipements et des services pour les populations; réaliser des infrastructures et mobiliser des ressources pour le financement du développement régional et local. .Mohamed Ag Erlaf a égalemententretenu ses hôtes de l’organisation très prochaine de la conférence annuelle des Agences de développement régional (A, dont l’existence est effective dans toutes les Régions du Mali. Les organes de gestion (les directeurs généraux et les membres des conseils d’administration) de ces nouvelles structures ont non seulement été désignés, mais ont aussi pris fonction. Certaines agences ont même tenu la première session de leur CA. l’Etat de son côté accompagne activement la mise en placedes nouveaux outils de gestion, a indiqué le ministre.Pour permettre aux nouvelles structures de mettre au travail, l’Etat a ouvert au bénéfice de celles-ciune inscription budgétaire en leur nom dès l’exercice 2015. C’’est ainsi que chacune des ADR a reçu une enveloppe d’environ 171,4 millions de Fcfa, destinée à  couvrir ses besoins de fonction. Les nouveaux bureaux ont été dotés d’équipements roulants, de fournitures et de consommables pour un montant total de 1,2 milliard de Fcfa. Les appuis techniques comportent un autre projet qui, lui, porte sur le manuel de procédures des ADR. Le ministre de la Décentralisation et des Réformes de l’Etat, Mohamed Ag Erlaf explicité les enjeux de l’organisation d’une conférence annuelle des ADR. l’événement a bénéficié de l’appui financier et technique du Programme d’appui à  la décentralisation et à  la réforme de l’Etat (PA, de la Coopération allemande et du Projet d’appui institutionnel au processus de régionalisation au Mali (PAIR) mis en oeuvre par la coordination technique belge sur financement de l’Union européenne. Cette conférence annuelle donne l’occasion de faire connaà®tre les ADR et d’informer largement les populations de la mise en place effective de celles-ci. l’Agence est impulsée par un Conseil d’administration composé de 14 à  22 membres nommés par le ministre chargé de la décentralisation. Le Conseil d’administration est présidé par le président du Conseil régional et le maire du District et la vice-présidence est assurée par le représentant du Gouverneur. Le directeur général de l’ADR et son adjoint sont nommés par le président du Conseil régional et le maire du District et font, au même titre que le personnel de l’Agence, l’objet d’évaluation de performance. l’installation et le fonctionnement des ADR couteront à  l’Etat une somme de 900 millions de FCFA.

Ménaka et Taoudeni : les enjeux de la régionalisation en marche

Décentralisation, régionalisation, voire libre administration, en 55 ans d’indépendance, le Mali n’est qu’à  mi-parcours de ces processus, qui s’imbriquent les uns dans les autres. Pour comprendre la régionalisation, il faut d’abord comprendre la décentralisation : « La régionalisation est une étape du projet de décentralisation », rappelle Ousmane SY, ancien ministre de l’Administration territoriale sous Alpha Oumar Konaré. Vingt ans plus tard, les à‰tats généraux de la décentralisation, tenus en octobre 2013 à  Bamako, ont permis de faire le point de ce processus de dévolution du pouvoir central vers les collectivités territoriales, d’en tracer les acquis, mais aussi les échecs. « Elle aura permis d’améliorer l’accès à  l’éducation, à  l’eau, à  la santé, aux services de base pour les populations des communes urbaines et rurales du Mali, même si elle n’a pas toujours été effective sur le plan humain et sur celui du transfert de ressources qui est un vieux débat», poursuit l’expert. Mais cela ne suffit pas. Pour s’en rendre compte, un voyage au nord du pays ou au sud, à  Diéma par exemple (région de Kayes), permet de mesurer le retard immense à  rattraper. Accélérer la régionalisation doit permettre de résorber ce déséquilibre entre le Nord et le Sud, cet écart trop grand entre Bamako et les régions, cercles, et villages du Mali. C’’est en 1996, que le Mali passe de 19 à  703 communes en vertu de la loi du 16 octobre. Poursuivant le processus, le gouvernement d’Amadou Toumani Touré (ATT) adoptera en 2011 un projet de loi portant création de circonscriptions administratives en République du Mali. Ce projet prévoit le redécoupage administratif du Mali, le nombre de régions passant de huit à  dix-neuf sur une période de 5 ans. Sur le plan pratique, le Mali compte désormais dix régions administratives pour un territoire de plus de 1,2 millions de km2. Aux régions de Kayes, Koulikoro, Sikasso, Ségou, Mopti, Gao, Tombouctou et Kidal, il faut désormais ajouter celles de Ménaka (nord-est) et de Taoudéni (nord-ouest) créées depuis 2012, et qui viennent d’être dotées de deux gouverneurs nommés lors du Conseil des ministres du 19 janvier 2016. Accélérer la mise en œuvre de l’Accord Les nominations d’Abdoulaye Alkadi, membre de l’aile « pro-gouvernementale » du Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) à  Taoudeni, et de Daouda Maà¯ga, qui dirigeait jusqu’ici le Programme intégré de développement rural de la région de Kidal, à  Ménaka, entrent très clairement dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord, et non plus dans une logique seule de régionalisation. « Il fallait nommer ces gouverneurs avant la mise en place des autorités transitoires en vertu de cet accord », soutient un acteur du processus. Pour Moussa Mara, ancien Premier ministre, ce n’est que la suite logique d’un processus, interrompu par la crise. « Ces nominations prévues dans la loi de 2012 faciliteront la mise en œuvre de l’accord négocié à  Alger. Et l’à‰tat trouvera les moyens pour asseoir les prérogatives de ces gouverneurs de régions ». Des gouverneurs pour le moins connaisseurs des problématiques du Nord et des attentes des populations, qui sont vastes. Ces attentes se cristallisent surtout sur l’accès aux services sociaux de base dans de nombreuses zones o๠il n’y a toujours ni écoles, ni dispensaires, mais surtout sur un retour complet et effectif de l’administration. La création de nouvelles régions doit aussi, selon Aminata Dramane Traoré, altermondialiste et intellectuelle malienne, poser la question de la redynamisation économique de ces régions : « nommer des gouverneurs répond, je suppose dans un premier temps, à  une tentative de pallier ce qui peut être considéré comme l’absence d’institutions au nord du pays. Au-delà  de cela, il faut pouvoir répondre à  la demande des populations et particulièrement des jeunes, qui réclament de l’emploi tout en créant de la richesse locale et exportable partout sur le territoire national». Pour Taoudéni et Ménaka, deux régions situées dans le nord immense et riche en ressources minières, l’enjeu est immense. Connu pour l’extraction du sel gemme, la région de Taoudéni, situé à  l’extrême nord du pays à  750km de Tombouctou, avec près de 120 000 habitants, constitue une zone de non droit sous contrôle du MAA dissident, un mouvement hostile à  Bamako et o๠s’exercent toutes sortes de trafics et d’activités liées à  AQMI : « Avec un gouverneur, on va pouvoir accroà®tre la sécurité, pallier les insuffisances, établir les cercles, et sous-préfectures, rapprocher les administrateurs et les administrés », se félicite le maire d’une localité proche. à€ Ménaka, l’autre bastion traditionnel des touaregs irrédentistes, et qui fut le point de départ de plusieurs rébellions, il n’y a tout à  faire. Avec plus de 150 000 habitants, Ménaka constitue un tournant pour la pacification d’une zone, o๠la CMA a plusieurs fois tenté d’exercer un contrôle, mais s’est heurtée aux milices locales ou pro-gouvernementales avec l’influence des Ifoghas de Kidal, plus enclins à  l’idée d’autonomie. Pour le gouverneur Maà¯ga, le défi sera d’apaiser une zone que sécurisent désormais l’armée malienne et les casques bleus de la MINUSMA, en faisant de Ménaka une région socle pour la consolidation de l’unité nationale. La régionalisation pour promouvoir la diversité dans l’unité Avec la nomination de gouverneurs, l’élection à  terme des présidents des conseils régionaux (à  qui plus de pouvoir et de ressources seront donnés) mènera plus loin le processus de régionalisation en attendant la création d’autres régions. Les ressources qui seront allouées et qui représentent environ 30% des recettes de l’à‰tat, avec priorité sur le Nord, devront compléter le travail de ces gouverneurs. La question s’est invitée tout au long du processus des négociations d’Alger. l’idée étant de déplacer cette administration au nord o๠elle existait sporadiquement et de façon militaire, pour régler une partie du problème. « Donnez-nous l’envie d’être Maliens, C’’est à  l’à‰tat de venir à  nous, pas l’inverse », affirme Amar, un habitant de Ménaka, qui attend beaucoup du nouveau gouverneur. Avec la régionalisation en marche, ce qui est en jeu, ce n’est plus tant le nombre de régions à  créer, mais le partage du pouvoir tant réclamé par les populations de ces régions, et une meilleure représentativité de leurs besoins face à  l’à‰tat central. Expert de la gouvernance locale, Ousmane Sy (voir interview page 7), qui préside l’Alliance pour la Refondation de la Gouvernance en Afrique (ARGA), va plus loin en affirmant qu’une refondation complète de l’à‰tat malien, tel qu’il existe aujourd’hui, est plus que nécessaire, afin de faire de la diversité ethnique du Mali des richesses pour construire une unité nationale forte : « Tant que nous ne réglerons pas ce problème, le doute persistera dans la construction de la paix…»