Conflits armés : La difficile réinsertion des enfants ex combattants

Les enfants enrôlés par les groupes armés lors des conflits connaissent des parcours difficiles, qui, dans les cas les plus heureux, aboutissent à une réinsertion familiale après différentes étapes, dont les centres dédiés à leur prise en charge. Focus sur un processus délicat, dont les résultats ne sont pas toujours ceux escomptés.

Il existe un protocole d’accord entre le gouvernement du Mali et les institutions des Nations unies concernant les transferts des enfants. Ceux qui sont capturés par les forces nationales ou étrangères sont remis à la Direction nationale de la promotion de l’enfant et de la famille  ou à la Direction régionale de la zone de capture.

Ensuite, ils sont placés dans un centre où ils sont pris en charge, en travaillant dans un premier temps sur leur état de santé mentale et psychologique. « Parmi les enfants qui arrivent, il y en a qui sont blessés et d’autres traumatisés. Donc, tout d’abord, le centre évalue leur état de santé et assure leur prise en charge en fonction des problèmes constatés », indique Harouna Samaké, chef de division à la Direction nationale de la promotion de l’enfant et de la famille. Mais des services externes peuvent intervenir, en cas de problème mental grave, de blessures ou d’opérations chirurgicales.

Réunification familiale

Une fois l’enfant  guéri mentalement, les psychologues établissent un rapport qui atteste qu’il peut être transféré vers un autre centre, ce qui aboutira à terme à la réunification de la famille.

Une étape qui se déroule sous la houlette du CICR, qui, en fonction des premières informations données par l’enfant et des documents qui l’accompagnent, déclenche le processus de recherche familiale. « Quand les parents sont connus, à travers leur localisation et si la zone est accessible, l’enfant leur est remis, tout en s’assurant qu’il n’y a pas de problèmes de sécurité dans la localité », explique M. Samaké.

Moyens limités de suivi

Après la réunification familiale, une mission de suivi est mise en place. Les agents du CICR doivent passer deux ou trois fois dans les premiers mois après avoir remis l’enfant à ses parents pour s’assurer que tout va bien et que ce dernier n’a pas d’autres problèmes.

Mais, dans certains cas, les enfants récidivent parce que ne bénéficiant pas d’assez de mesures de réinsertion. « L’une de nos principales difficultés est que nous sommes limités au niveau de la création de projets pour rendre les enfants autonomes après leur réinsertion, parce que souvent nous n’avons pas les moyens pour faire face à tout cela. Dans ces conditions, plusieurs sont tentés par un retour dans les groupes armés », déplore Harouna Samaké.

Droits des enfants et conflits : Accroître la surveillance

Déjà vulnérables, des milliers d’enfants continuent d’être les victimes de la crise sécuritaire que traverse le Mali depuis 2012. Survie,  développement, protection ou encore  participation, leurs droits les plus essentiels continuent  de subir de graves violations. En attendant de pouvoir y mettre fin, l’État et ses partenaires essayent de répondre à l’urgence et surtout s’engagent à prévenir les violations, même en période de crise.

« Au Mali, ce sont le recrutement et l’utilisation des enfants, les attaques contre les écoles et les hôpitaux, les meurtres et les mutilations des enfants et les violences sexuelles envers les enfants qui demeurent les plus préoccupants », selon Madame Virginia Gamba, la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies pour les enfants et les conflits armés.

Il y a deux ans, en 2017, 159 cas de recrutement et d’utilisation d’enfants ont été vérifiés, pour une trentaine de meurtres, 9 violences sexuelles, 42 attaques contre des écoles, 9 contre des hôpitaux, 2 enlèvements et 132 dénis d’aide humanitaire.

En 2018, ces violations graves des droits des enfants se sont poursuivies et même amplifiées, selon la Représentante spéciale. Si le recrutement et l’utilisation des enfants, 110 cas, ont connu  une légère diminution, c’est grâce à des « discussions entamées avec certaines parties et la mise en œuvre du Plan d’action convenu avec d’autres  figurant initialement sur la liste du Secrétaire général ». Une liste établie par le Secrétaire général des Nations Unies pour désigner les parties à un conflit,  impliquées dans ces violations graves des droits des enfants et aussi permettre de mener des actions afin de mettre fin à ces violations. Les parties listées par le Secrétaire général sont au nombre de quatre au Mali : Ansar Eddine, le Mouvement pour l’unification du jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), la Plateforme et la CMA.

Parmi elles, la CMA a signé un Plan d’action pour mettre fin au recrutement et actuellement le bureau de la Représentante spéciale travaille à ce que sa mise en œuvre soit effective. La signature d’un tel plan est aussi attendue avec la Plateforme, précise la Représentante spéciale.

Au cours de la même période, 102 enfants (garçons et filles) ont été réintégrés par l’UNICEF à la vie civile et la détention de 13 garçons pour association à des groupes armés a été vérifiée. 129 enfants ont été tués ou mutilés et 20 incidents de violences sexuelles ont été relevés.

Quant aux attaques contre les hôpitaux et les écoles, « elles ont augmenté de façon terrible ». 81 attaques contre des écoles ont été vérifiées, soit le double de celles enregistrées l’année précédente, précise Madame Gamba.  21 attaques contre des hôpitaux et 8 enlèvements, ainsi que 170 incidents de déni d’accès humanitaire ont aussi été enregistrés. 827 écoles étaient fermées en décembre 2018 à cause de la violence et de la peur.

« Agir pour protéger »

Malgré l’existence de nombreux textes internationaux relatifs à la protection des droits des enfants, dont la Convention spécifique des Nations Unies, adoptée il y a 30 ans cette année, des milliers d’enfants sont privés de leurs droits à l’éducation, des dizaines tués, des dizaines utilisés par les groupes armés. C’est face à cette urgence que les Nations Unies ont lancé la campagne « Agir pour protéger les enfants affectés par les conflits ».

Une campagne de sensibilisation destinée « à redynamiser notre engagement à protéger les enfants utilisés et maltraités, dans, par et pour les conflits armés », a précisé la Représentante spéciale du Secrétaire général lors de son lancement, le 12 juillet 2019 à Bamako.

Cette campagne est tout d’abord un long processus de communication pour rassembler les parties prenantes d’un conflit autour de l’objectif sacré de la protection des enfants. Elle permettra aussi de favoriser la collecte d’informations sur 6 graves violations de droits : le recrutement et l’utilisation des enfants, les violences sexuelles envers les enfants, les attaques contre les écoles et les hôpitaux, le déni d’assistance humanitaire aux enfants, les meurtres ou les atteintes à l’intégrité physique et  les enlèvements d’enfants.

Actuellement, 20 situations de conflits sont à l’agenda de la Représentante spéciale, dont 7 en Afrique. L’objectif final de la campagne, qui prendra fin en 2022, est d’obtenir la fin de toutes les violations et de prévenir de futures violations.

La prévention, désormais l’unique cheval de bataille inscrit dans un mandat spécial depuis 2018, doit aboutir notamment à l’élaboration de Plans d’action national et régional, comme au niveau de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ou de l’Union Africaine.

Assurer la continuité de l’éducation

Pour y arriver, tous les acteurs sont convenus de la nécessité de continuer à transmettre à ces enfants des valeurs positives pour en faire des adultes meilleurs.

« Avant la crise de 2012, qui a amené beaucoup d’enfants dans la rue, le Mali connaissait déjà un nombre important d’enfants hors école. C’est pourquoi, en 2004, à la suite d’une étude, la fondation Strome a décidé d’offrir des opportunités à ces enfants pour aller à l’école ou pouvoir y retourner », explique Monsieur Mamadou Kanté, Directeur national adjoint de l’Enseignement fondamental.

Étape essentielle à la construction de l’adulte de demain, l’école est devenue la cible privilégiée des extrémistes de tous bords. La crise, qui a entraîné la fermeture de plusieurs écoles, estimées à 926 en juin 2019, a amené les autorités à développer la stratégie des Centres de stratégies de scolarisation accélérée (CSSA), dans les zones où des groupes extrémistes s’en sont pris aux  symboles de l’État, afin que les enfants continuent d’aller à l’école. Ainsi, « sous la houlette de l’État, plusieurs partenaires ont créé des structures alternatives », ajoute M. Kanté. Cette stratégie consiste à recruter les enfants âgés de 8 à 12 ans au sein d’un centre où ils reçoivent un « programme condensé des 3 premières classes durant 7 à 8 mois. Ils sont ensuite réinsérés dans le système classique en fonction de leurs résultats ».

Un programme dans lequel s’inscrit l’association Programme intégré pour le Développement (APIDEV), à travers le Programme d’appui à la scolarisation des enfants vulnérables (PASEV), depuis quelques années. Dans sa zone d’intervention, les cercles de Bandiagara et Koro dans la région de Mopti, outre la scolarisation des enfants vulnérables, les autres besoins pris en charge sont les cantines scolaires, la fourniture des matériels didactiques et le transport des enfants dans les centres d’examens. Malgré des résultats importants, comme  la réinsertion dans le système scolaire de 7 884 enfants au cours de l’exercice précédent, l’organisation doit faire face à des difficultés comme « l’insuffisance et la mauvaise qualité des structures d’accueil, des matériels didactiques et des enseignants, le déplacement massif des enfants suite à la dégradation de la situation sécuritaire et l’absence d’extraits de naissance pour certains », explique M. Souleymane N’Diaye, responsable de l’ONG.

Financer la réinsertion

Depuis 2012, l’État a institué par lettre circulaire le recrutement des enfants scolarisés déplacés dans leurs lieux de résidence dans les classes correspondantes, sur simple demande des parents. Ainsi, les élèves en classe d’examen déplacés vers des lieux plus sûrs sont pris en charge par les autorités, notamment dans la région de Koulikoro. Mais ces mesures alternatives ne peuvent être que transitoires, car le vrai défi reste la réouverture des classes, selon les acteurs. Parce qu’à chaque fois que des écoles sont fermées, non seulement c’est le droit à l’éducation qui est violé, mais « ces enfants deviennent aussi des proies faciles », relève M. Harouna Samaké, chef de division à la Direction de la promotion de l’enfant et de la famille.

Chargée d’assurer une synergie d’action entre les acteurs, la direction a aussi la responsabilité d’élaborer la politique de protection et de définir les besoins dans le cadre du plan de réponse humanitaire. Mais l’efficacité de la politique dépend aussi  de « l’arsenal juridique, qui est l’un des outils de la prévention », ajoute M. Samaké. Le sous-financement du secteur et l’adaptation des formations de réinsertion sont aussi des défis majeurs.

DDR : 30 milliards pour le volet réinsertion

Le ministère de la Défense et des Anciens Comabattants a organisé ce 08 décembre une table ronde pour mobiliser le financement nécessaire à la mise en oeuvre du volet Réinsertion du programme DDR au Mali. Estimé à 50 millions de dollars américains (plus de vingt milliards de francs CFA), ce volet doit permettre de reverser dans la vie socio-économique les ex-combattants des groupes armés. Ce programme qui rentre dans le cadre de la mise en oeuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali signé en juin 2015, a déja subi un retard dans sa mise en oeuvre du fait de difficultés conjoncturelles mais aussi financières.

La table ronde qui a réuni tous les bailleurs de fonds avec à leur tête la Banque Mondiale et les partenaires techniques et financiers avait pour objectif de mobiliser ces derniers, non seulement autour du programme DDR mais aussi afin de lancer les réflexions sur les programmes de développement économique pour les populations des zones concernées. Le programme sera d’ailleurs élargi à la région de Mopti, a annoncé le Directeur des opérations de la Banque Mondiale au Mali, Paul Noumba Um. Son institution, a-t-il poursuivi, a d’ores et déja mis à la disposition du Mali quinze (15) millions de dollars pour la réinsertion des ex-combattants, ce financement devant être approuvé par les administrateurs en février prochain.