Après l’accord signé à Niamey, Kidal peut-elle enfin souffler ?

La Plateforme et la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) sont parvenus à un accord, signé dimanche dernier, à Niamey au Niger, qui entérine leur coprésidence pour la gestion socio-économique et sécuritaire de la ville, la mise en place des autorités intérimaires et des patrouilles mixtes conformément aux accords d’Alger. A Kidal, la nouvelle a été accueilli avec soulagement et la tension semble retomber entre les deux mouvements belligérants.

Kidal, la ville bastion, la capitale économique et politique, concentrant toutes les attentions car qui la tient, possède les rênes de toute la région et même de tout le Nord, va peut-être pouvoir souffler. Après 3 jours de négociation, le conflit qui couvait depuis plusieurs mois, entre les deux groupes armés, concernant la gestion socio-économique et sécuritaire de la ville, a finalement trouvé une issue positive dimanche dernier sous la médiation du Niger, à Niamey. « Les différentes forces ont compris qu’il n’y avait pas d’intérêt pour elles d’aller vers l’affrontement, elles y perdraient beaucoup d’hommes et le camp qui serait vaincu perdrait définitivement la main sur Kidal, c’était donc un gros risque à prendre », indique cet officiel proche du dossier. L’accord signé stipule que les deux mouvements partageront la gestion administrative de la ville, coopéreront au niveau sécuritaire, notamment sur les checkpoints qui seront gérés de concert et oeuvreront à « faire baisser la tension à Kidal ».

Très attendu, cet accord a été accueilli avec un grand soulagement à Kidal, car il succédait à 24 h d’extrême tension. « Avant que la nouvelle ne tombe, il y a avait une rumeur comme quoi les négociations avaient échoué, on disait même que Gamou avait gifflé Alghabass Ag Intalla. C’était très tendu en ville, jusqu’à 18 h. Les gens étaient anxieux car les groupes armés étaient positionnés sur la ligne de front qui est située à la sortie de Tessalit. Le jour même, d’autres renforts du HCUA étaient arrivés en ville, la situation était très grave. Quand la nouvelle est tombée, tout le monde l’a accueilli avec beaucoup d’enthousiasme, même les plus radicaux du MNLA étaient contents », explique cette source.

Aujourd’hui, même si les combattants armés ne se sont pas retirés, l’hostilité palpable entre partisans des deux mouvements est retombée. L’heure est à l’attente, des délégations, d’une part, qui devront dès leur retour, jeudi 21 juillet, mettre en application de façon concrète cette cogestion de la ville et ensuite, la mise en place des autorités intérimaires. « Les gens sont quand même optimiste quant à l’application de cet accord entre les deux mouvements. Ils ont souffert, ils veulent maintenant quelque chose qui leur amène plus de cohésion. Même la jeunesse qui est enrôlée dans les différents mouvements est dans cette tendance », souligne un habitant, joint au téléphone. « En réalité, Gamou n’est pas intéressé par le poste de président du conseil régional pour les autorités intérimaires. Tout ça était plus pour mettre la pression sur la CMA afin  d’amener l’égalité, entre eux, au niveau de la gestion de la ville et de sa gestion sécuritaire », ajoute ce proche du GATIA.

Un calme relatif semble succéder aux tensions vives qui régnaient en ville depuis des semaines, même si on déplorait, mardi soir, la mort de 2 combattants, du GATIA et du HCUA, lors d’une altercation pour divergence politique.

Quand Kidal se négocie à Niamey et à … Bamako

Les divergences entre les deux mouvements majeurs de la ville de Kidal, le GATIA et le HCUA, sont au menu de la réunion de médiation qui se tient à Niamey, pour tenter d’apaiser les tensions. Mais cette tentative de médiation peut-elle réussir, alors qu’une guerre d’influence se joue à Bamako ?

À Kidal, la tension vive entre GATIA, majoritairement composé de la tribu Imghad, et membre de la Plateforme, et le HCUA composé d’Ifoghas, l’un des 3 acteurs de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), peut s’apprécier au nombre de combattants lourdement armés positionnés en ville. La non-concrétisation de l’accord d’Anéfis, spécifiant que « les deux communautés s’accordent sur la gestion concertée et inclusive des problèmes politiques sur la base du partage équitable des pouvoirs », semble être l’élément qui a mis le feu aux poudres. «  Des accords on en a signé, mais sur le terrain les choses sont souvent très différentes », déclare ce cadre de la Plateforme.

Points de discorde Les relations de « bon voisinage » et de « fraternité », prônée par l’accord, sont maintenant révolues entre les deux mouvements et leurs signataires : le général El hadj Gamou pour le GATIA, en froid avec les autorités de Bamako, et Alghabass Ag  Intallah pour la CMA, actuellement dans les bonnes grâces du gouvernement. Les points de discorde entre eux sont nombreux : partage équitable du pouvoir entre les commissions qui gèrent la vie socio-économique de la ville, mainmise de la CMA sur les check-points stratégiques, nomination d’un gouverneur à Kidal notoirement très proche du HCUA et enfin, le poste de président du conseil régional, dans le viseur des deux mouvements. « Gamou n’était même pas disposé à rencontrer les chefs de la CMA. Il estimait qu’ils ont trahi sa confiance, puis il a accepté à condition que Mahamadou Diagouraga, Haut représentant du président de la République pour la mise en œuvre de l’accord, soit présent pour garantir les décisions qui seront prises. La CMA, de son côté, voulait rencontrer les chefs de la Plateforme et Gamou en tête à tête sans d’autres parties. Les faire venir à Niamey n’a pas été aisé », explique un officiel proche du dossier.

 Le puissant lobby du HCUA Dans cet optique, c’est en coulisses à Bamako, que depuis des semaines, des jeux d’influence ont lieu, pilotés par le HCUA, dont le lobbying est considérable dans la capitale, s’appuyant sur des députés de l’Assemblée nationale, le ministre de le Réforme de l’État, Mohamed Ag Erlaf, jusqu’aux milieux intellectuels touareg. « Ils ont le bras plus long à Bamako que le GATIA et les forces pro-gouvernementales. Ça va jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir », révèle une source bien informée. « Les lobbyistes du HCUA ont mené beaucoup de tractations pour essayer d’écarter Gamou, puis le GATIA, ce qui a considérablement renforcé les tensions », ajoute cette même source. Pour y parvenir, ils ont pu convaincre Bilal Ag Chérif, chef du MNLA (CMA), de faire le déplacement à Bamako pour l’anniversaire de l’Accord, et la récompense aurait été l’aval du gouvernement pour écarter le GATIA. « Il y a eu des deals secrets car ils veulent s’assurer la gestion totale de la ville, tous les pouvoirs. Le HCUA connait beaucoup d’hommes politiques. Ces derniers ont d’autres calculs, un autre agenda », indique ce proche des mouvements. « Il y a aussi le fait qu’une partie du gouvernement est très loin de la réalité d’ici », indique pour sa part un sympathisant de la Plateforme.

À Kidal, la population est très préoccupée par l’imminence d’un affrontement et espère que la réunion de Niamey pourra régler la situation. Là-bas, ces jeux de pouvoirs fatiguent. « Pour la présidence du conseil régional, ils n’ont qu’à organiser des élections ! », lâche excédé cet habitant, joint par téléphone ce mardi. Comme pour lui répondre, retentissent dans la ville des tirs d’armes lourdes devenus récurrents ces dernières semaines.