« LITTLE MALI » : Terminus du corridor Bamako-Dakar

Une communauté s’est organisée sur ce site. De nouvelles réalités font surface. Ces gens du voyage s’adaptent bien à  une autre réalité. Sur la route de Rufisque, à  hauteur du croisement Cap des Biches, une pelle mécanique entasse de la latérite fraà®chement débarquée. La route du Cap, à  ce niveau, était crevassée. « Nous n’avons pas attendu que les autorités viennent réparer la route détériorée, nous avons essayé de faire avec les moyens du bord pour la réhabiliter », souligne Koniba Sidibé, le président de la section sénégalaise du Syndicat national des conducteurs routiers du Mali (Synacor). Excentrée et peu fréquentée, il y a de cela quelques années, cette route est devenue, ces dernières années, l’une des plus empruntées de la localité. Outre les nouvelles cités construites dans les parages, elle desserte des entrepôts, des garages de fortune ou encore des fabriques de tous genres. Elle menait surtout au Foyer de charité du Cap des Biches. Presque chaque minute, un gros-porteur emprunte cette route qui mène aussi sur ce qu’il est convenu d’appeler le petit Mali ou encore « Little Mali ». La raison, C’’est que depuis plus d’une décennie maintenant, elle abrite une gare de transit pour les routiers de ce pays frontalier qui font le corridor Dakar-Bamako pour aller prendre des marchandises ou du carburant au Port autonome de Dakar (Pad). Au fil des ans, l’endroit, qui était un très vaste terrain vide et clôturé, s’est transformé en quartier de fortune o๠toute une vie se construit. En remontant la route du Cap, le vrombissement des véhicules qui empruntent la nationale s’amenuise. La fumée s’échappant des guimbardes s’amoncellent pour former un nuage qui pollue davantage l’atmosphère des lieux. En s’approchant des lieux, une bonne odeur s’échappant des bons mets en cuisson dans les parages embaume l’atmosphère. « Little Mali », C’’est avant tout un marché o๠l’on peut faire des provisions en tout genre. Parmi les commerces, qui jalonnent la bretelle, il y a une trentaine de restaurants. On y prépare et vend des poissons frits, des plats épicés, de la viande grillée ou bouillie, du riz assaisonné avec de la sauce, des pâtes alimentaires, du riz au poisson, affectueusement appelé par les Sénégalais le « Thiébou dieun ». Il y a aussi le « Tô ». « Un met préparé à  base de céréale en forme de pâte assaisonnée de sauce », indique Adama Diallo, devenu notre guide sans demander notre avis. Il y a également d’autres plats comme par exemple ce mélange de lait caillé et de céréales bouillies. Il y a également du pain en permanence, dans presque toutes les gargotes de la zone. Dans ce petit bout du Mali perdu aux confins de la banlieue de la capitale sénégalaise, on vend toutes sortes de plats, à  toutes les heures même aux routiers arrivés tard et tenaillés par une fin de loup. « Il y a toujours un point ouvert pour avoir de quoi mettre sous la dent », affirme plus que taquin Amadou Diallo. Sally, une restauratrice, vient de boucler ses cinq ans à  « Little Mali ». Son mari, qui est dans le milieu, lui a ouvert un restaurant. Il lui sert aussi de superviseur. Avec deux de ses employées « venues du pays », elle propose à  longueur de journée des mets aux résidents de circonstance. « Notre seul problème ici, C’’est l’électricité. Depuis longtemps, on court derrière un abonnement à  la Senelec. En vain ! Il y a un collègue qui nous ravitaille en électricité à  raison de 5.000 francs Cfa par lampe et par mois. C’’est trop cher ! », se désole-t-elle. Un fait constaté et déploré aussi par un de ses collègues qui, pour deux lampes, paie mensuellement 10.000 francs Cfa. « Ce n’est pas facile d’avoir un branchement de la Senelec ici ; ceux qui en ont, en profite le maximum possible pour soutirer de l’argent aux autres », fait-il remarquer, parlant sous le couvert de l’anonymat. Il précise pour s’indigner de cet état de fait : « J’ai pris une chambre en location à  Fass Mbao et je paie tous les deux mois 1.000 Francs Cfa pour une lampe alors, on est obligé de payer mensuellement 5 fois plus cher ». Les prix des plats proposés sont modiques. A partir de 50 francs Cfa, on peut avoir une tasse de bouillie sucrée. Le « Tô » se vend aussi au détail et son prix est jugé « abordable » par Adama Diallo. Le plat de riz s’échange autour de 400 francs Cfa, etc. Selon Adama, les restauratrices sont « formidables ». Ce jeune homme qui a vendu du « Rico glace » dans les rues de Bamako puis de Dakar, a travaillé comme journalier dans les entreprises de la Zone franche industrielle de Mbao, exercé encore d’autres petits métiers avant de s’établir ici, apprécie bien le « climat familial » qui y règne. « Même sans argent, les restauratrices nous donnent à  manger à  crédit. On rembourse plus tard, lorsqu’on est solvable », précise-t-il. Les restauratrices, quant à  elles, n’aiment pas parler de chiffre d’affaires. « à‡à  marche, Alhamdoulilahi (Dieu merci) ! » sont les seuls mots qu’elles avancent comme réponse. Outre la restauration, « Little Mali » regorge aussi d’autres petits commerces comme le commerce de pièces détachées. Souleymane Nikiema, un jeune Burkinabé, tient une échoppe. Depuis « trois ans », il propose des pièces détachées aux camionneurs qui fréquentent le site. « Au Sénégal, les pièces nous reviennent un peu cher, on s’approvisionne généralement au Mali ou au Burkina », précise ce jovial vendeur au visage joufflu. Comme Souleymane, ils sont plusieurs vendeurs à  se spécialiser dans la vente des pièces détachées, surtout celles des gros-porteurs qui forment l’essentiel du parking de «Little Mali ». En amont du site, il y a beaucoup de garages de mécaniciens. Ici, on a quasiment un cimetière d’autobus et de camions. A longueur de journée, ouvriers, mécaniciens et brocanteurs s’y côtoient. Le cliquetis de la ferraille, le vrombissement des moteurs, le bruit des groupes électrogènes des soudeurs produit un brouhaha indescriptible. Une ambiance qui contraste nettement avec le calme olympien qui règne à  coté, au Foyer de charité du Cap des Biches, cachée derrière une épaisse haie vive. Sur la route principale menant à  ce sanctuaire, des ouvriers s’activent autour de la ferraille, juste à  coté d’un entrepôt. « Depuis plusieurs années », Mamadou Saliou Diallo, Guinéen d’origine établi au Sénégal depuis une vingtaine d’années, s’active dans la ferraille. Avec l’aide de ses collaborateurs, ils démontent des pièces et des fils de fer à  partir d’un moteur noirci par les graisses et le temps. A même le sol, les habits tachetés par la matière qu’ils manipulent à  longueur de journée, ils trient en même temps les pièces et les fils selon qu’ils soient en fer, en bronze ou en cuivre. « Généralement, nous vendons le kilogramme de fer à  200 francs Cfa, le kilo de bronze à  1.500 francs Cfa et celui de cuivre à  2.500 francs Cfa », informe ce longiligne qui tenait, avant son établissement au site, une boutique à  Thiaroye. « Little Mali », C’’est aussi et surtout la débrouillardise au quotidien. Depuis son arrivée, Ousmane Mallet cherche à  avoir une borne-fontaine pour vendre de l’eau. Il commence à  « être las » des démarches qu’il effectue en vue de bénéficier d’un emplacement au sein du site pour un raccordement à  la Sde. « Ce n’est pas facile du tout. J’ai de l’argent pour prendre en charge tous les frais, mais je n’arrive pas à  avoir un emplacement », déplore-t-il. Il porte des lunettes de soleil, la casquette légèrement visée sur le crâne. Il n’y a que deux bornes-fontaines à  « Little Mali » et elles sont toutes opérationnelles à  longueur de journée. Des files de bidons bleus, blancs et jaunes se forment à  leurs alentours. « Ici, on achète le bidon de vingt litres d’eau à  25 francs Cfa, mais la demande est tellement forte et la pression parfois faible. Il arrive qu’on n’ait pas du tout d’eau. Dans ces cas, on est obligé d’aller de l’autre côté de la Route nationale pour s’en procurer moyennant 50 à  100 francs Cfa le bidon de 20 litres », renseigne Adama Diallo. Toutefois à  l’image, du Secrétaire général du Synacor section Sénégal, Adama Diarra, les pensionnaires de « Little Mali » saluent la cohabitation avec les Sénégalais. « Nous entretenons de très bons rapports avec eux. On n’a aucun problème sur le site, en plus les gendarmes de la brigade de la Zone franche dont nous dépendons nous ont remis des numéros sur lesquels ils sont joignables à  tout moment », souligne M. Diarra. Il précise : « notre seul problème, C’’est le corridor Dakar-Bamako. Nous ne dépensons pas moins de 75.000 francs Cfa aux points de contrôle pour un seul trajet. Les autorités des deux pays doivent revoir cette question, surtout que nos collègues camionneurs du Sénégal ont les mêmes préoccupations ». Il poursuit : « d’ailleurs, le directeur du Port autonome de Dakar (Pad) a construit sur le site une douzaine de latrines et il envoie régulièrement une mission pour s’enquérir de nos difficultés ». « Locataire ! ». C’’est le surnom de l’homme fanion de ce site. Robuste, la cinquantaine entamée, il est connu de tous les occupants du site et connaà®t aussi tous ses coins et recoins. A califourchon sur son vélo, il pédale pour rencontrer ses compatriotes, recueillir leurs doléances, trouver des solutions aux problèmes, avoir éventuellement des informations sur certains manquements, etc. Plusieurs fois dans la journée, sur sa bécane, il rencontre des marchands ambulants venus faire des affaires, entend quelques conversations intimes, voit les gros-porteurs entrer et sortir du site, etc. « Little Mali » ne dort jamais !

Transport au Mali : création de la fédération des conducteurs routiers

Depuis longtemps, le métier de conducteur routier a relevé de l’informel. Aujourd’hui, l’ensemble des conducteurs du Mali, jadis partagés entre deux centrales syndicales (l’Union nationale des transporteurs du Mali et la Confédération syndicale des travailleurs du Mali), ont décidé de se regrouper en fédération. Ainsi, disent-il, l’heure est venu pour eux de quitter l’informel pour le formel. « C’est en cela que les gens nous respecteront. Sans quoi, nous sommes le plus souvent sujets à  des traitements inhumains. Pire, nous sommes piétinés dans notre dignité… », s’est exclamé Mamoutou Dembélé, secrétaire à  l’organisation des conducteurs routiers. Une fédération pour les routiers Les objectifs visés par la Fédération nationale des conducteurs routiers sont multiples. En effet, les membres du bureau plaideront pour l’immatriculation des chauffeurs au niveau de l’INPS, la relecture de la convention collective datant de 1957. En outre la Fédération s’investira dans la formation de ses membres. « Même si dans l’immédiat, nous ne bénéficions pas des avantages liées à  cette organisation, nos enfants en bénéficieront », a indiqué Siaka Traoré, conducteur de Taxi. A travers la création de la Fédération, l’ensemble des conducteurs témoignent ainsi de leur volonté dans la réorganisation du transport au Mali. Comme disait l’autre, « la vie ne peut plus se faire sans ces conducteurs. La preuve, quant il y a une quelconque grève de conducteurs, c’est l’économie elle même qui devient paralysée ».