Fêtes, des lendemains qui pleurent

Au lendemain des fêtes, alors que flotte encore dans l’air le parfum des repas partagés et des belles toilettes arborées, c’est un concert de lamentations qui s’élève. Les réalités du quotidien rattrapent les fêtards qui, les poches vides, voient venir des jours difficiles.

« Le salaire est fini avant d’y avoir touché ! », se lamente Aminata, jeune cadre qui a pourtant des revenus plutôt corrects. « Les dépenses du mois de décembre sont juste énormes. Entre les tenues des enfants, les cadeaux, les repas, on est morts ! Même le carburant pour aller faire les salutations, c’est un vrai budget », ajoute Papus, qui raconte à ses amis du « grin » spécial Nouvel an installé chez lui en ce 2 janvier chômé, qu’il a dû dépenser près de deux fois son salaire. C’est d’ailleurs le cas de la plupart de ses compères, chefs de famille, qui pour certains ont contracté des dettes pour faire face aux dépenses des fêtes de fin d’année. « À cause du crédit, le salaire de janvier est mort-né. On est en mode jonglage », commente Abdou, enseignant, membre du « grin ».

D’un 31 à l’autre La débrouille semble bien être le maître mot de tous pour arriver au bout de ce mois de janvier qui s’annonce donc plutôt difficile. Chez cet employé de commerce, « c’est Madame qui va devoir gérer jusqu’à la fin du mois. Je lui ai confié ce qui restait et elle va faire de son mieux ». L’épouse, à côté, semble rompue à cet exercice. « Je m’arrange toujours pour qu’il reste des vivres après les fêtes. Du poisson, de la viande et du riz, on tiendra bien avec ça et d’ici la fin du mois, on aura des rentrées, inchallah ! », explique la commerçante. Pour ceux qui n’ont pas la capacité de faire quelques réserves, c’est la sensation « gueule de bois » qui subsiste en ce début d’année. « C’est dur, parce que le salaire est encore loin et en plus, il y aura les scolarités et les factures à payer. Ça promet ! », s’exclame Abdou, qui ne veut plus y penser. « Tous les ans c’est pareil ! Au moins, on a la satisfaction d’avoir bien fêté. D’autres s’endettent pour payer des médicaments. Donc si c’est pour vivre des moments heureux, on rend grâce à Dieu », philosophe de son côté Moriba. En effet, pourvu qu’il y ait la santé…

 

Fête de fin d’année : c’est bon pour le business

Rayons bien garnis, décorations et promotions « spécial fin d’année », tout est mis en œuvre par les commerçants pour attirer la clientèle. Les fêtes sont en effet l’occasion de faire du chiffre, particulièrement pour les grandes surfaces.

Dans le supermarché Shopreate situé à Badalabougou, c’est le branle-bas de combat ! Ici, on a misé sur le chocolat, grand produit des fêtes. Toute une allée est consacrée aux grandes marques et le client n’a que l’embarras du choix. Autres produits attractifs, à quelques heures de Noël, les jouets. Les cadeaux pour les enfants sont mis en avant et les prix, déjà très abordables selon les responsables, connaissent encore une baisse significative. Dans les allées du rayon vestimentaire, certains articles connaissent jusqu’à 50% de réduction. « Nous proposons d’acheter deux produits au prix d’un, cela incite les clients à sortir les billets », confie Cissé Doucouré, responsable de rayon. « C’est une aubaine, j’en profite pour faire des emplettes pour toute ma famille », explique Cheick Keïta, un client du magasin.

À Azar Libre Service, c’est sur la vente d’alcool que l’on mise pour booster le chiffre d’affaires. « On s’attend à un mois plein. L’alcool coûte cher et pour la période, c’est ce qui se vend le plus », explique Hisham Ali, gérant, qui précise cependant que « les jus aussi connaissent un pic de vente ». « On avait une petite crainte, depuis que les déguerpissements ont emportés plusieurs maquis, mais pour l’heure nous avons plus de trois millions de francs CFA de commandes pour la fin d’année. Et ce n’est que le début. Avec les forces étrangères, c’est un finish sur les chapeaux de roues qui nous attend », s’enthousiasme Étienne Traoré, gérant d’une brasserie.

Dans les rues marchandes installées dans les communes de Bamako, les commerçants se disent confiants en cette « saison ». « On dirait que les gens ont envie de faire la fête cette année, alors ils sont là et achètent », explique Bourama, vendeur de décorations, qui avoue que « ça marche très bien, contrairement à l’année passée ». Du côté des vendeurs de poulets, c’est aussi la grande forme. « C’est notre fête à nous. On peut avoir des achats à hauteur de 200 000 francs CFA pour la soirée du 31 décembre », explique Birango Diabaté, revendeur de volailles.

 

 

Noël et Nouvel an : prier en toute sécurité

Pour célébrer ces deux dates majeures en toute quiétude, les responsables des cultes chrétiens ont fait appel aux forces de sécurité maliennes et à des sociétés privées. « Nous tenons à la sécurité des fidèles et cela fait des mois maintenant qu’un dispositif sécuritaire rigoureux encadre les manifestations à la cathédrale », explique un responsable. Siaka Bouran Sidibé, Directeur régional de la police de Bamako l’assure, « toutes les dispositions sont prises pour sécuriser au mieux les lieux de culte pendant cette période sensible ». Comme en 2015, interdiction sera faite de garer les véhicules particuliers aux abords des églises catholiques aussi bien que des temples protestants, qui seront gardés par des éléments de la police nationale. À l’entrée, fouille systématique des sacs et des personnes. Même si ce dispositif ralentit considérablement l’accès, les fidèles se sont « fait une raison. Il vaut mieux perdre quelques minutes et ensuite vivre sa messe en toute tranquillité. La menace est là, tout le monde en est conscient, alors tout le monde se plie aux consignes », assure Pierre, un fidèle de la Cathédrale de Bamako.

 

Achats des fêtes : attention danger !

Les fêtes de fin d’année sont une période de consommation par excellence. Sur les marchés du Mali, il y en a pour tous les goûts et tous les prix. Le prix, justement, est l’argument décisif dans le choix des produits. Produits périmés, contrefaits, impropres se retrouvent à portée de bourse pour les clients aux revenus faibles attirés par leurs prix bas. « Tout est mis sur le dos de la pauvreté alors que la pauvreté est là depuis longtemps. Avant, on ne faisait pas ces pratiques parce qu’il n’y avait pas tous ces abus dans les importations », déplore Salimata Diarra Coulibaly, présidente de l’Association des consommateurs du Mali (ASCOMA). Beaucoup de produits, (jouets, nourriture, vêtements) sont en effet importés sans être soumis aux contrôles de qualité pourtant prévus par la loi. « Les commerçants déversent des produits qu’ils ont conservé pendant des années, ou qu’ils ont acheté dans des pays où ils ne sont plus consommables. L’occasion des fêtes, avec les grosses dépenses qu’elles génèrent, est un moment idéal pour ce commerce illicite qui se fait sur le dos du consommateur. Selon Mme Coulibaly, il faut faire attention à ce que l’on achète sur les marchés, aux abords des foires, où l’on trouve ces différents articles, à des prix défiant toute concurrence. « Malheureusement, nos messages ne sont pas entendus et les Maliens croient faire de bonnes affaires et consommer de la qualité, c’est ça le drame », conclut la présidente de l’ASCOMA, qui une fois de plus pour cette fin d’année, part en croisade pour tenter d’alerter les consommateurs peu regardant sur un fléau qu’elle estime généralisé.

 

 

Fêtes de fin d’année : doux moments et grosses dépenses

Au Mali comme ailleurs, la fin d’année est une période qui rime avec festivités, divertissements et fantaisies. Ces deux dernières semaines de l’année sont aussi synonymes de retrouvailles familiales et donc de cadeaux, de repas fastueux et de… dépenses ! Pendant le « mercato » de décembre, les Maliens dépensent généralement le double par rapport à une période normale, toutes bourses et catégories sociales confondues, de quoi passer de belles fêtes. Mais c’est surtout une aubaine pour les professionnels, qui jettent toutes leurs forces dans cette bataille pour optimiser le chiffre d’affaires de l’année.

À l’approche des fêtes il y a quelque chose dans l’air… Les décorations fleurissent sur les grandes avenues, une ambiance particulière dans les magasins, les couleurs : le rouge, l’or et l’argent, le vert des sapins, les Pères Noël qui s’affichent un peu partout dans les supermarchés, les étals qui regorgent de victuailles. Une invitation à la consommation qui ne laisse pas les Maliens indifférents. Ils se pressent ainsi chaque année pour garnir leur table et choisir des présents à offrir à leurs proches, en particulier aux plus jeunes, auxquels on accorde une attention particulière pendant ces réjouissances. Même si Noël est à l’origine une fête chrétienne, les consommateurs musulmans ne boudent pas ces festivités, car la fête est universelle. « En général à Noël, ce sont les enfants qui poussent leurs parents à acheter. Un enfant ne comprendrait pas qu’un camarade ait des cadeaux et pas lui. Que ce soit pour Tabaski, le Ramadan, Noël ou la Saint Sylvestre, quand il y a fête, les Maliens sont au rendez-vous. Crise ou pas crise, ils consomment et encore plus à Noël », analyse Cissé Doucouré, responsable de rayon, au supermarché Shopreate à Badalabougou.

Ruée sur les supermarchés Les professionnels de la distribution et de la restauration l’ont bien compris et font tout pour attirer le client pour cette période stratégique en termes de chiffre d’affaires. Depuis le début du mois, les jouets, pâtisseries, gourmandises et chocolats, sont en bonne place pour attiser les convoitises et susciter l’achat. « L’année dernière on a eu du retard pour les fêtes et tout n’était pas exposé comme il faut. Cette année, nous avons les bons produits et nous sommes dans les temps », se réjouit Ismaël, responsable achat de Shopreate. Pour ces enseignes de la distribution bamakoise qui ne désemplissent pas pendant les fêtes, le produit qui marche le mieux est le chocolat décliné en boîtes, barres, cornets et ballotins. Viennent ensuite les jouets et en troisième position la charcuterie – halal ou non – et le fromage, qui termineront sur les tables des foyers maliens.

Si en 2015, la fréquentation des magasins était bonne, pour l’année 2016, les professionnels de la distribution sont encore plus optimistes, grâce entres autres aux signes d’une reprise lente, mais sûre. « Cette année il y a une amélioration par rapport à 2015, il y a plus de clients. En 2015, nous avions une seule caisse. On en a ouvert deux autres et c’est déjà l’embouteillage. En période d’affluence, les gens demandent d’ailleurs une quatrième caisse. On a importé aussi beaucoup plus en 2016. Le magasin qui ne fonctionnait plus qu’avec la partie alimentaire au rez-de-chaussée, par exemple, génère, à présent aussi des bénéfices avec le 1er étage où l’on trouve les cosmétiques, les produits ménagers, le bricolage, etc. », ajoute Ismaël qui a ouvert, en prévision des fêtes, un rayon de produits surgelés importés qui séduit la clientèle.

 Au menu Même son de cloche au niveau des restaurants, où les équipes sont déjà à pied d’œuvre pour concocter les menus gourmands de ces fêtes. « Il y a une augmentation de la clientèle, c’est vrai », confirme Simone la gérante du restaurant Comme chez soi, une table courue de la capitale. « Je pense que c’est dû à la confiance qui revient. Les gens oublient leur peur et retrouvent l’envie de sortir », explique-t-elle. Avec un menu raffiné, arrosé de vins fins ou de champagne, le restaurant se prépare à régaler les convives qui viendront sous sa paillotte pour la nuit de la Saint Sylvestre.

Cependant, nombreux sont ceux qui passeront ces fêtes chez eux, en famille ou entre amis, autour d’une table composée de plats locaux quotidiens, le tout allégrement arrosé de sodas, voire d’alcool. Maître des menus de fêtes, le poulet, dont les prix ont d’ores et déjà pris l’ascenseur, passant de 2 500 à 3 000 ou 4 000 francs CFA sur les marchés de volailles. Les pâtisseries qui ont fleuri un peu partout dans Bamako ces derniers mois leur proposent enfin divers types de desserts, avec ici aussi, une pièce de choix, la bûche de Noël. Il faudra débourser entre 10 et 15 000 francs CFA pour la déguster.

Se parer et fêter Le ventre bien plein, la seconde partie de soirée peut commencer. C’est souvent sur des rythmes endiablés qu’elle se poursuit, dans les soirées privées ou les boîtes de nuit de la capitale. Les dames, accompagnées de leurs cavaliers, sont d’une élégance étudiée. « Il est important pour faire la fête, de se faire belle », lance Salimata, qui a ses adresses pour se coiffer et confectionner sa tenue afin d’être en beauté pour sortir en soirée. Pour l’instant, sa seule inquiétude est, qu’avec la forte affluence, elle ne puisse pas avoir sa robe dans les temps. En effet, fin décembre, les coiffeurs et couturiers sont pris d’assaut, les commandes ne faiblissent pas et Pape, un couturier sénégalais, avec ses trois employés, sait déjà que les nuits vont être longues pour répondre à la demande. « Mais c’est bon pour les affaires », soupire-t-il dans un demi-sourire.

Les fêtes de fin d’année, c’est aussi l’occasion pour certains de boucler leur valise et de se rendre dans des pays de la sous-région comme Abidjan ou Dakar, des destinations qui ont le vent en poupe à cette période de l’année. L’Europe, avec en particulier Paris la capitale française, est aussi une destination prisée des plus fortunés. Qu’ils partent en famille ou entre amis, les Maliens sont de plus en plus nombreux à faire ce choix, alliant dépaysement au plaisir d’être ensemble. Il faut aussi souligner, dans le sens des départs, les milliers d’expatriés qui vivent au Mali, dont le nombre a explosé depuis la crise, et qui rejoignent pour la plupart leurs familles pour les fêtes.

Que l’on soit à Bamako, Ségou ou Paris, les fêtes de fin d’année restent avant tout l’occasion de célébrer les moments passés ensemble et de se projeter avec optimisme et enthousiasme dans l’année qui vient. Bonne chaire, convivialité, et bonnes affaires sont donc définitivement le mix idéal pour une fin d’année réussie.