Transport : Le règne de l’informel

Depuis la crise de 2012, le secteur du transport au Mali souffre de nombreux maux, tels que l’insécurité, la fluctuation des prix et la corruption. Toutes choses qui s’épanouissent dans une gestion en grande partie informelle. Tour d’horizon d’un secteur qui représente moins de 5% du PIB national, malgré les nombreuses opportunités de développement.

Hamadou (le nom a été changé) est un opérateur économique très connu dans le milieu du transport routier. Il détient à lui seul une cinquantaine de gros camions qui relient les pays de la sous-région, Togo, Ghana, Nigéria, Sénégal et Côte d’Ivoire, chaque semaine. « L’import-export est ma vie. Je connais tout le monde dans le secteur », dit-il. Son carnet d’adresse très fourni est le secret de sa réussite. « C’est la jungle. Il faut avoir beaucoup d’amis pour avancer », affirme ce directeur d’une entreprise informelle vieille de plus de dix ans. C’est seulement en 2015 qu’il a trouvé un siège à son entreprise. Le plus important étant de rester en contact permanent avec ses clients, il n’était donc pas « nécessaire que j’attire les yeux des gens sur moi », déclare Hamadou, amusé.

Comme lui, nombreux sont ceux qui se lancent dans le secteur du transport sans remplir les conditions préalablement nécessaires à la création d’une entreprise. Ils évoluent donc pour la plupart dans l’ombre et ne paient ni impôts ni de frais de douane à la frontière. « Les véhicules arrivent très tard dans la nuit. Les responsables de camions connaissent bien les agents de douane. Il leur donne leur part pour que les camions passent. C’est tout », tranche ce commerçant qui détient une boutique à Zégoua, à la frontière entre le Mali et la Côte d’Ivoire près de laquelle stationne en moyenne une centaine de semi-remorques par jour.

Ces dernières années, le transport informel a connu une explosion faisant du formel, le maillon faible de la chaîne. Au Mali, le secteur du transport représente moins de 5 % du PIB national, alors que la part de ce même secteur dans le PIB est soit égal soit supérieur à 13 % dans les pays européens et de 16 % en Chine. Un chiffre qui témoigne du fait que le Mali souffre d’un déficit logistique, doublé d’une concurrence déloyale en pleine expansion sur l’ensemble du territoire national.

Insécurité de transit Problèmes de disponibilité, équipements vieillissants, tracasseries routières dans les couloirs de transit, déperdition financière et insécurité sont autant de problèmes qui touchent le secteur du transport au Mali, tout particulièrement celui par voie routière. Avec la crise de 2012, le secteur du transport en général et le transport routier en particulier a été constamment confronté à de véritables problèmes d’insécurité, notamment dans le septentrion du pays. Plusieurs compagnies ont stoppé le transit dans les régions de Gao, Tombouctou et Kidal craignant de tomber dans une embuscade ou sur des mines. Les infrastructures routières sont aujourd’hui encore insuffisantes, avec seulement 3 000 km de routes goudronnées qui couvrent les principaux axes routiers d’échange (Dakar et Abidjan). La réalisation du projet de construction d’un nouveau chemin de fer qui reliera Bamako à Dakar étant toujours à la phase des études, la plupart des marchandises qui partent de Dakar transitent par l’unique voie ferroviaire qui date de la période coloniale, aujourd’hui inadaptée.

Le transport fluvial autrefois très prisé par les commerçants dans la région de Mopti et Tombouctou, a également perdu l’engouement qu’il suscitait. Toutes les marchandises exportées vers le Mali, nécessitent, à partir des ports de la sous-région, des transports par route ou rail. Seule la voie aérienne semble être sécurisée cinq ans après le déclenchement de la crise. Autorités et populations sollicitent tous l’aide de la force onusienne au Mali (MINUSMA) pour se rendre dans les régions du nord. Quant au transport maritime, on rappelle que plus de 90 % du commerce international sur le Mali est effectué par mer, à travers les ports ouest-africains : Dakar au Sénégal, qui couvre 60 % du volume de trafic d’exportation, Abidjan en Côte d’Ivoire, Lomé au Togo, Nouakchott en Mauritanie, Conakry en Guinée et Tema au Ghana. Le transport par voie maritime, certes plus long, reste le moins cher. Pour permettre aux entreprises maliennes et aux sociétés internationales d’acheminer les produits et marchandises depuis et vers le monde entier, de nombreux acteurs proposent des services de transport et logistique, à l’import comme à l’export. Des transporteurs d’Afrique du Nord et d’autres régions africaines offrent également des services de fret, mais avec une capacité de chargement plus limitée. À Bamako, l’essentiel du fret aérien utilise les vols commerciaux des compagnies aériennes comme Air France, qui fait aussi des vols cargo.

Des prix instables Dans le transport formel, les prix de dédouanement ainsi que les charges annexes sont au préalable définis. Ils dépendent donc de la qualité, du poids et du volume des produits qu’on souhaite importer ou exporter. Pour cette Française qui a ouvert son entreprise de logistique à Bamako il y a quelques années, les procédures d’acheminement des marchandises sont parfois longues et difficiles dans le formel. Les prix sont également très élevés. « Du coup rares sont les entreprises qui passent par la voie légale », affirme-t-elle. Pourtant, certains leaders comme la danoise Damco (anciennement Maersk), 1ère compagnie maritime mondiale, MSC, numéro 2, associée à Necotrans le 2ème réseau de logistique en Afrique, ou encore CGA CGM, 3ème compagnie mondiale, et Delmas, filiale de Bolloré Africa Logistics, qui domine le transport terrestre, proposent des prix plus bas aux clients en cumulant le volume et en négociant des tarifs avec les agences de transport.

Dans le secteur informel en revanche, la réalité est différente. La majorité des transporteurs ne disposant pas de camions de transport, ils s’associent pour négocier à la fois les prix de location des camions et les tarifs douaniers. « Les propriétaires de camions savent quand un transporteur a besoin de recevoir sa marchandise en urgence. Ils profitent donc pour fixer les prix. On l’accepte parce qu’on n’a pas de choix », estime une autre source. Et d’ajouter en exemple que pour l’importation d’une glace ou neige carbonique dans le secteur formel, il faut débourser environ 190 000 francs CFA, contre seulement 100 000 francs CFA dans le secteur informel. Il est clair que le système de transport et de logistique au Mali est entravé par des contraintes d’efficacité, de capacité et d’infrastructures, notamment routières et ferroviaires, qui alourdissent les frais, le temps et l’incertitude. Toutes choses qu’évitent les acteurs du secteur informel tel que Hamadou. « Pourquoi me soucier avec les histoires de papiers à n’en point finir et les va-et-vient à la douane quand je peux régler le problème en offrant de l’argent à un douanier ? ». La lenteur administrative conjuguée au marché informel pénalise la compétitivité et les exportateurs doivent souvent négocier des paiements irréguliers pour libérer la marchandise, ou pour qu’elle continue son chemin. Les prix sont quant à eux fixés sur place et l’argent payé cash.

 

Les métiers informels pour lutter contre le chômage au Mali

En 2015, le taux de chômage au Mali est passé à 11,3% contre 10,8 en 2014. Le gouvernement à travers le ministère de l’emploi, de la formation professionnelle et de la construction citoyenne a mis le cap sur la promotion des métiers tels que la maçonnerie, la plomberie et tout autre métier pouvant aider à lutter contre le chômage.

L’ambiance sur le tronçon de Médina-Coura est particulière en ce début de journée. En face du stade Modibo Kéita, un car de soixante-dix places attend sagement de faire le plein de clients. Des voyageurs négocient sous le soleil de midi le prix des bagages avec les responsables du car.

Assis non loin, une bande de jeunes discute. « Certains sont ramasseurs les fers qui ne servent plus dans les maisons, d’autres vendent des objets et produits de première nécessité », explique un homme. Âgés entre 12 et 18 ans, une vingtaine de jeunes, tous vêtus d’un jean troué, un T-Shirt délavé et de sandales, ne semblent pas presser.

À seulement 15 ans, Amadou Togo, est ramasseur d’objets en fer et possède, au bout de 7 ans d’exercice, une solide expérience dans sa profession de fortune. « Je sillonne toutes les communes du district pour ramasser la ferraille que je trouve. Je les revends ensuite à 15 FCFA le Kg », explique-t-il.

Comme lui, Amidou Nantoumé, marchand d’objets de première nécessité (brosse à dents, chaussures, ardoises etc.) exerce son métier depuis un certain temps. il devra s’interompre un mois pour retourner au village se marier, mais il sait déjà qu’il reviendra vite à Bamako, pour y exercer son travail et gagner sa vie.

Ces jeunes évoluent dans le secteur informel. Certains dans la cordonnerie, d’autres dans la maçonnerie, plomberie, menuiserie etc. Ils se disent satisfaits de leur travail. « Moi je collecte des ordures depuis 3 ans. Grâce à ça j’envoie chaque mois de l’argent à mes parents au village », déclare un autre, resté silencieux jusque-là.

Pour eux, évoluer dans le secteur informel est un remède au chômage qui frappe les jeunes, ça leur permet de se prendre en main et d’aider leur famille. Pour lutter contre le chômage, l’État à travers le ministère de l’emploi, de la formation professionnelle et de la construction citoyenne a initié une campagne pour sensibiliser et motiver les jeunes à s’impliquer davantage dans les métiers de la construction au Mali. Financée par la Banque Mondiale, la campagne fait la promotion des métiers tels que la menuiserie, la maçonnerie, l’électricité, etc.

Lancée il y a quelques semaines, la campagne est en cours dans les six communes du district dans un premier temps, pour ensuite s’étendre dans les régions du Mali. Pour M’barakou Amedeniato, économiste, le secteur informel nourrit plus de 80% de la population active. Selon lui, le secteur aurait besoin que l’État s’y investisse davantage.