Développement industriel : Comment faire autrement au Mali ?

Au début du mois de mars, deux évènements ont attiré l’attention du public sur le monde industriel : le premier était la tenue de la rentrée annuelle du Réseau des entrepreneurs de l’Afrique de l’ouest au Mali (REAO-Mali). Ces derniers avaient choisi comme thème « Quelle politique industrielle pour un développement accéléré du Mali ? ». Une activité qui a accueilli décideurs politiques et acteurs du monde économique, dont de nombreux industriels, qui n’ont pas manqué de souligner les difficultés auxquelles ils sont confrontés. Dont le sujet du second évènement du mois, la fourniture d’électricité. Quelques jours plus tôt, en effet, en raison de perspectives pessimistes pour la production d’énergie en cette période de chaleur, il leur avait été demandé de ne pas allumer leurs machines la nuit, afin d’économiser l’électricité au profit des ménages. Une requête très mal accueillie par certains industriels. Alors que la volonté politique s’affiche de plus en plus en faveur d’une industrie plus dynamique, quelles pistes pour qu’elle se bâtisse sur des bases qui en assurent la pérennité et le succès ?

C’est l’une des questions au cœur du Salon international de l’industrie du Mali, qui s’est tenu du 19 au 21 avril. Il a en effet été, non seulement le lieu de démontrer encore une fois tout le potentiel du pays dans le domaine, mais aussi un espace de réflexion sur le devenir de ce secteur de l’économie, sur lequel le pays veut pouvoir appuyer son développement. En organisant cet évènement, le ministère de Développement industriel (MDI) et ses partenaires veulent booster les industries, qui stagnent encore bien en-deçà des 10% de contribution au PIB, moyenne sous-régionale (zone UEMOA). Depuis une dizaine d’années, les actions se multiplient et « n’eût été la crise de 2012, les résultats, déjà existants, auraient été encore plus visibles », explique-t-on au MDI, où l’on ne se lasse pas d’énumérer les réalisations des dernières années. Le jeune département, qui a été créé en juillet 2016, s’enorgueillit d’avoir renoué le dialogue avec les professionnels de l’industrie. « Notre collaboration sur des évènements comme le SIIM démontre que nous allons dans le même sens et que les perspectives ne peuvent qu’être positives », se réjouissait le ministre Mohamed Ali Ag Ibrahim lors de la rentrée du REAO-Mali. L’adoption par le gouvernement d’un document de Politique de développement industriel participe de l’élan « pour changer et inverser la structure de notre économie au profit d’un secteur industriel fort, ordonné, rapide et durable, à travers une stratégie de croissance accélérée ».

C’est surtout le secteur de l’agro-alimentaire qui tire la locomotive de l’industrie malienne. La plupart des unités réalisées ces dernières années misent sur la transformation de la production locale. Pour s’imposer sur un marché fortement concurrentiel, et où les produits importés prennent la plus grande part, elles comptent sur le « branding ». « C’est ce que vendent les grandes entreprises », explique le Dr Carlos Lopez, enseignant-chercheur à l’Université de Cape Town, en Afrique du Sud. L’emballage, première étape d’une communication réussie sur le produit, est en effet l’une des problématiques auxquelles font face les industriels maliens, contraints, pour la plupart, de s’approvisionner à l’extérieur du pays, augmentant ainsi les coûts de production, et donc de vente. « Mais il faut faire ce choix si nous voulons rester dans la course. C’est fini les produits dans des sachets blafards, collés au fer à repasser dans un coin de la cuisine », confirme une jeune entrepreneure. Il suffit pour s’en convaincre de faire un tour dans les rayons des supermarchés de Bamako et d’ailleurs dans le monde, où l’on n’est plus surpris de tomber sur de la mangue séchée du Mali ou de la pâte d’arachide, dans des conditionnements de qualité. Mais, avant le « branding », cet art de donner une identité (visuelle et même sonore) à un produit, il faut le fabriquer. Et là, les obstacles sont presque aussi nombreux que les opportunités.

Le premier réside en une vision de l’industrie propre aux Etats africains, si l’on en croit le Dr Lopez. Le patron de l’Organisation patronale de l’industrie malienne, Cyril Achcar, la traduit très bien : « on attend tout de l’industrie, mais on ne lui donne presque rien ». Les attentes sont en effet très nombreuses. Le secteur, créateur de richesses et pourvoyeur d’emplois est bien en deçà de son potentiel au Mali. « On cite le coton, les mangues, etc… Oui, nous avons tout ça, mais les importateurs ont la mainmise sur l’économie et l’État n’est pas assez volontaire pour protéger nos investissements et nous favoriser sur le marché. Aucun investisseur n’est suicidaire, nous mettons de l’argent pour en gagner. Aujourd’hui, c’est difficile d’y arriver », se désole un industriel malien, sous couvert d’anonymat. Ce dernier, présent sur le marché depuis une dizaine d’années avec des produits manufacturés, assure que l’industrie du Mali « aura du mal à être compétitive et à dépasser, pour la grande majorité, l’étape de l’artisanat sans une transcription dans les faits des engagements politiques. Repenser l’industrie malienne, on l’a déjà fait. Il faut maintenant mettre en œuvre ce que nous avons décidé de faire ».

Faire autrement Les « vieilles » unités maliennes qui résistent l’ont compris et elles investissent dans l’innovation pour durer. L’exemple de la Société Nationale des Tabacs et Allumettes du Mali (SONATAM-SA) est illustratif de cette volonté. L’entreprise a entrepris ces dernières années de moderniser son outil de production, tout en signant des partenariats gagnant – gagnant avec des partenaires étrangers, dont la présence à ses côtés est gage de dynamisme et de compétitivité. Il existe d’autres exemples, dont s’inspirent les nouvelles unités « pour ne pas reproduire les erreurs du passé et avoir un modèle sur la durée ». Selon les experts en développement industriel, sur le continent africain, les acteurs ont pris « conscience que le contexte international est très différent (des années 60 – 80, ndlr). Avec près de 90 % d’Africains qui dépendent encore en grande partie du secteur agricole, une industrialisation axée sur les produits de base est de nature à tirer le meilleur de ce qui fait notre force. En outre, elle offre la possibilité de créer d’emblée de la valeur ajoutée et d’exploiter de multiples façons les filières ainsi ouvertes », peut-on lire dans un article de la revue de l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel « Making it ».

La question énergétique reste une épine dans le pied des industriels maliens. Le déficit de production impacte grandement leurs activités et ce ne sont pas les tarifs « spéciaux » ou la production d’électricité, encore marginale, à partir de déchets agricoles, qui inversera la tendance. Là encore, les acteurs pointent le doigt vers les politiques. « Il faut chercher à faire un pas de géant sur le plan technologique », répond l’expert, pour qui la production à partir de sources d’énergie renouvelables ou encore avec des machines consommant moins doivent être des pistes d’action. Autre défi de l’industrie malienne, les ressources humaines. Tout un chantier…

Opération séduction L’industrie malienne a besoin d’investissements et elle le fait savoir. Outre les différentes zones industrielles créées avec un succès mitigé dans plusieurs régions du pays, les autorités veulent mettre à la disposition des opérateurs des Zones Économiques Spéciales (ZES). Elles devraient permettre aux porteurs de projets d’entreprises dans les secteurs prioritaires de produire et de commercialiser dans des conditions (foncier, fiscalité, accès à l’électricité et à l’eau, etc.) adaptées. Les participants au tout premier salon consacré à l’industrie au Mali pourront en découvrir le détail, entre autres sujets abordés lors des trois jours d’échanges, d’expositions, de démonstrations, du 19 au 21 avril. En invitant la Turquie, 7ème puissance économique européenne et 16ème mondiale, une usine géante pour le monde entier, ses organisateurs ont un message : l’industrie du Mali veut apprendre des succès des autres, pour avancer vers la prospérité que lui promet son potentiel.