Littérature : « Pour que dorme Anselme »

Le 15 avril 2013, le jeune collégien de 12 ans, Anselme Sindaré, a été abattu par balles par un gendarme à  Dapaong, au nord du Togo, au cours d’une manifestation d’enseignants qui réclamaient une augmentation de salaire. Le 18 avril, c’est-à -dire 3 jours plus tard, le Premier ministre togolais Arthème Ahoomey-Zunu, répondant aux questions de Christophe Boisbouvier dans « Afrique matin », avait promis que toute la lumière sera faite sur cet assassinat odieux. En réalité, au Togo, la mort d’un enfant de la plèbe, du Togo d’en bas, n’a aucune valeur aux yeux du pouvoir. C’’est juste un fait divers qui ne mérite pas une ligne dans la rubrique des chiens écrasés. Anselme Sindaré est mort, il y a 3 ans, sous les balles d’un gendarme qui n’a jusqu’ici pas été inquiété. Il est mort, mais son âme ne peut pas reposer. Pour qu’il dorme enfin en paix, David Kpelly a pris la plume pour dénoncer les actuels maitres du Togo qui semblent avoir bonne conscience, pour les tirer de leur quiétude devant tous les crimes restés impunis : des centaines de Togolais tués par balles en 2005, Tavio Amorin assassiné il y a 20 ans, Atsoutsè Agbobli tué il y a cinq ans, Etienne Yakannou incarcéré dans l’affaire des incendies et mort… Recueil de lettres ouvertes Pour que dorme Anselme est un recueil de lettres ouvertes publiées chaque mois sur Internet, adressées au Premier ministre Arthème Ahoomey-Zunu, pour lui rappeler sa promesse de mener l’enquête sur la mort du petit Anselme. Douze lettres en guise d’uppercuts assenés au premier ministre. Tout a commencé par une lettre publiée sur Internet par un étudiant togolais vivant en Guinée. Il y apostrophe les internautes togolais, en particulier David Kpelly, dont il ne comprenait pas le silence devant l’agitation de la vie sociopolitique togolaise. Il confiait sa déception de voir David Kpelly ne s’intéresser qu’à  la situation malienne. Gêné, il l’était Kpelly. Lui qui ne se considérait que comme « un citoyen révolté, chassé de son pays par le chômage, et vivant dans des conditions difficiles au Mali. », et qui n’écrivait que pour se « soulager », « crier » ses « frustrations » et ses « attentes ». « J’ai, avant tout, envie de parler pour moi. », tonne t-il dans la préface. C’’est ainsi qu’il a décidé d’écrire des lettres au premier ministre afin de lui rappeler sa promesse. Kpelly sait que devant la mort non élucidée de tous les martyrs togolais, celle du jeune Anselme n’est qu’une goutte d’eau dans la mer. Mais pour sa mère, cet enfant est tout. « Il compte pour sa mère plus que vous ne comptez pour la vôtre. Ces femmes, ces ménagères livrées à  leur dure réalité quotidienne ne placent leurs espoirs que dans leurs enfants. Elles voient en eux la réalisation de tous les rêves qu’elles n’ont pas pu réaliser elles-mêmes. Ce n’est donc pas un enfant que vous avez tué, C’’est le rêve d’une femme, l’avenir d’une famille, que vous avez fracassé. Ce petit Anselme était tout pour sa mère. Elle y voyait tout son avenir, comment devenu grand, cet enfant fera vivre le paradis à  la vieille femme qu’elle sera devenue. », écrit-il. Lamento d’un citoyen l’auteur, dans ce livre qu’il considère comme « le lamento d’un simple citoyen qui crie avec une famille éplorée, réclamant justice pour un frère innocent, un énième frère innocent, tué trop gratuitement, trop atrocement, sur la Terre de ses aà¯eux, la Terre de nos aà¯eux. » réussit l’exploit d’écrire joliment. Son style est imagé, sobre et simple, certainement pour rendre le texte accessible au public qui en sera sensiblement touché. Une écriture à  la Sami Tchak. Un humour dans l’art duquel il est près de passer maà®tre. Le tout mâtiné de proverbes dont l’utilisation pour nous autres Africains atteste du savoir-parler et de la sagesse du locuteur. Le régime togolais en prend pour son grade. Kpelly l’accuse d’empêcher les Togolais de vivre dans « la joie, cette joie de vivre qu’on a quand on est chez soi, mais ne la trouvent pas. », d’acheter lors des élections « des vois, de corrompre les délégués des opposants, de payer des délinquants pour perturber les rencontres des opposants, de distribuer des gadgets aux électeurs à  la veille des élections… pour qu’on vote pour vous. » Ce régime qui, malgré les efforts faits sur le plan des infrastructures, continue d’être boudé par le peuple qui a souffert et continue de souffrir. Il est scandalisé par les naufrages à  Lampedusa en 2015 et pousse le cynisme jusqu’à  comparer le Togo à  cette à®le car, pour lui, « Le drame de ces hommes sans espoir, ayant vécu dans la misère, les larmes, les humiliations… et qui sont morts dans la plus grande atrocité, les yeux rivés sur une pâle lueur d’espoir, est aussi celui de la majorité du peuple que vous dirigez, le peuple togolais » l’affaire Anselme Sindaré est pour Kpelly une TRAGEDIE. Une tragédie parce qu’il s’agit d’un enfant exécuté en plein jour dont l’assassin court toujours. Une tragédie pour une mère, une famille, un village, une région et tout un peuple qui réclame justice. Pour que dorme Anselme, Lettres ouvertes à  SEM Arthème Ahoomey-Zunu, Premier ministre togolais, sur la mort d’Anselme Sinandaré, David Kpelly, Editions Awoudy, 2015