Grande interview avec Mamadou Sinsin Coulibaly, « agitateur économique »

à€ presque 60 ans, Mamadou Sinsin Coulibaly, entrepreneur multirécidiviste, a été élu le 10 octobre à  la tête du Conseil national du patronat du Mali (CNPM). Avec un total de 109 voix sur 119, le nouveau patron des patrons est un homme discret, qui a bâti en quelques décennies un empire diversifié pesant plusieurs milliards au Mali, avec des participations dans des entreprises leaders en Afrique et en Europe. Son secret : se lancer des challenges, les relever, puis investir encore et toujours pour fructifier le capital mais aussi créer de l’emploi. Le patronat, suite logique de la carrière de ce businessman averti, va donner de belles marges à  manœuvre, à  celui que les intimes appellent « Coulou » et qui entend remettre l’entreprise au C’œur de la relance économique du Mali. Environnement des affaires, réformes, investissements, il y a tout à  faire. Mamadou Sinsy Coulibaly nous a accordé une interview exclusive le samedi 17 octobre dans ses bureaux du Quartier du fleuve. Rencontre avec un homme humble et décomplexé, riche d’une expérience hétéroclyte. Journal du Mali l’Hebdo : Mamadou Sinsin Coulibaly, vous êtes un grand entrepreneur malien. Est-ce que se diversifier, C’’est la clé de la réussite ? Mamadou Sinsy Coulibaly : Non, pas forcément. Je suis un homme très créatif, mais ce n’est pas un modèle de réussite absolu. Si je me suis diversifié, C’’est parce qu’il y a des hommes et des femmes derrière moi. Un homme seul a toujours besoin de compétences pour l’accompagner. Savoir déléguer, C’’est aussi très important. Vous avez lancé de nombreuses sociétés, Malivision, le groupe Kledu, Tam Voyages, Imprim Color,… Vous naviguez également dans les TIC. De quoi êtes-vous le plus fier ? Je suis fier, de toutes ces entreprises créées, au fil des ans. Chaque challenge relevé est un bonheur pour moi, mais ma ligne est de passer le flambeau aux autres. Je vais vous confier une chose : en réalité, je ne suis pas un si bon gestionnaire. Par contre, je sais relever les challenges. Une fois cela fait, le capital doit produire pour être réinvesti à  nouveau. Il y a des personnes plus outillées que moi et qui ont une formation plus adéquate pour gérer la suite des choses. Quel patron êtes-vous ? Comment vos employés vous perçoivent-ils ? Mes employés me prennent en réalité comme un collaborateur, et peuvent ne pas me voir pendant des mois, tout simplement parce que mon attention est ailleurs. Si une activité marche, alors je passe à  une autre. l’idée de gagner, d’avoir une profitabilité de l’investissement, C’’est très important. En quelque sorte, je suis un agitateur économique. Comment être un bon capitaine de navire face à  ses collaborateurs ? Si l’entreprise est en difficulté, alors J’interviens. Tout dépend du choix des hommes. Je peux me tromper dans le choix de ceux qui doivent faire marcher l’entreprise. Dans ce cas, il faut prendre des décisions stratégiques, en remplaçant ou en mettant au défi les collaborateurs. Vous savez, il n’y a pas que des succès, mais aussi des échecs, beaucoup d’échecs. Mais C’’est un aspect qu’on ne voit pas. Souvent, ils sont plus nombreux que les réussites. Entreprendre au Mali, est-ce si facile ? Je pense que oui. Pour entreprendre, il ne s’agit pas que de capital ou d’investissements. Aujourd’hui, avec l’ère du numérique, tout est virtuel avec l’ordinateur, et il est bien plus facile d’entreprendre qu’il y a 20 ans. Tout est là , tout a été inventé. Il faut juste aujourd’hui savoir innover et avoir un esprit très créatif, y compris dans les domaines de l’agro-business, l’agro-industrie, l’agro-transformation, dont on parle beaucoup, et qui constituent des innovations. Celui qui ne sait pas prendre le train du numérique, sera un paria dans les dix années à  venir et n’aura pas sa place dans le monde ! Le CNPM, vous en rêviez ? Est-ce une consécration dans votre carrière ? Je vois cela comme une consécration. Cela fait trente ans que je milite au patronat. Même si je n’en suis pas l’un des pères fondateurs, J’ai été à  leurs côtés, y compris Moussa Balla Coulibaly, président d’honneur de notre organisation, que nous souhaitons garder avec nous le plus longtemps possible. Toutes ces années, J’ai été patient. Aujourd’hui, je n’ai pas été surpris par cette nomination, mais je tiens également à  dire que je n’ai pas fait de porte-à -porte, ni tenter d’influencer qui que ce soit, ni versé de l’argent pour que l’on vote pour moi. Sur 119, J’ai eu 109 voix et tout s’est joué dans la salle. Alors si vous deviez faire le bilan de votre prédécesseur, Mamadou Sidibé, à  la tête de l’institution ? Le bilan de l’ancienne équipe est honorable. Ils ont maintenu notre association en vie à  une période critique de notre évolution économique. Ce qui est important est de consolider leurs acquis depuis le début. l’entreprise malienne doit être connue. Le citoyen malien, les politiques et tous les acteurs économiques, doivent savoir que l’entreprise est au début et à  la fin de tout. Le développement d’un pays passe obligatoirement par l’entreprise. Nous devons renouer avec les entrepreneurs, les écouter davantage. Cela est dû à  l’option politique prise, et finalement, on n’a jamais vraiment fait confiance aux entrepreneurs depuis l’indépendance… N’est-ce pas la faute des entrepreneurs ? Ne sont-ils pas trop dépendants des politiques ? Non, je dirai que cela est dû à  tous ces choix politiques pris depuis la première République jusqu’à  nos jours. On a opté pour le libéralisme absolu, et cela va dans tous les sens. Les dirigeants politiques doivent prendre conscience du rôle de l’entreprise pour réformer l’économie. Ce ne sont pas que des subventions ou des programmes qui vont changer la donne. Il faut aujourd’hui des réformes ambitieuses pour faire bouger les choses, et ce sont les entrepreneurs qui doivent dire à  l’à‰tat ce qu’il faut pour produire. Les subventions ne mènent à  rien et mettent en danger la vie même de l’entreprise, parce que le jour o๠elles vont s’arrêter, l’entreprise va tomber. l’à‰tat doit mettre en place les infrastructures et aider à  sécuriser et à  protéger l’entreprise. Quels types de réformes ? Je vous donne l’exemple de l’agriculture, un domaine o๠il s’agit de créer des vraies filières. Est-ce qu’on veut faire de l’arachide ou du riz ? Prendre en compte tout ce qui concerne la commercialisation, le conditionnement, la consommation, etc. Faut-il subventionner l’engrais ou les semences ? Donc vous comprenez, il y a tellement de questions qui se posent, qu’il faut réformer l’approche de l’à‰tat dans ce secteur. Pour en revenir au CNPM, il y a aujourd’hui des grands patrons réunis en son sein, tout comme des représentants de petites PME en besoin de financement. Que prévoyez-vous pour leur développement ? Vous savez, même nous qui sommes considérés comme de grands patrons, ne sommes que des dirigeants de PME. Il n’y a pas au Mali de très grandes entreprises et de toute façon, l’avenir de ce pays, ce sont les PME et PMI. l’économie française est tenue aujourd’hui par des centaines de PME, qui sont mondialement reconnues, championnes dans leur catégorie et qui fournissent les grandes sociétés mondiales. Mais dans notre pays, le tissu des PME est très restreint. Beaucoup ne survivent pas. Est-ce lié au manque de financement ? Non, pas seulement. Il y a surtout une part de responsabilité de l’entrepreneur. Il existe des solutions alternatives à  tous les problèmes. Nous sommes dans un monde hyper concurrentiel. Il ne s’agit plus de concurrence nationale mais africaine, voire internationale. On dit toujours aux entrepreneurs que les outils numériques ne sont pas adaptés à  leur contexte. C’’est faux ! Il y a quand même un sérieux problème de connectivité au Mali, qui limite le plein accès à  l’ère du numérique… Et pourtant, elle s’améliore. Chez moi, J’ai la fibre optique. Le droit d’entrée coûte cher certes, mais C’’est une nécessité pour se développer. Au lieu de construire un bâtiment pour se vanter d’avoir un siège, faà®tes de la location et payez la fibre optique ! C’’est aussi ça l’esprit entrepreneurial ! Donnez-nous trois axes forts des réformes que vous allez entreprendre au CNPM. D’abord, sécuriser et protéger nos entreprises. Veiller à  ce que les grandes entreprises de distribution, et même celles qui évoluent dans le numérique, soient incitées à  venir s’installer au Mali. C’’est cela notre ambition première pour les cinq prochaines années. Sur le climat des affaires, le guichet unique, les réformes, êtes-vous satisfait malgré la crise récente ? Le problème est lié au fait que malgré de bons textes, tels que le guichet unique ou le Code des investissements, on doit encore œuvrer à  la simplification de l’accès à  ces outils, pour le plus grand nombre. On pourrait confier le guichet unique à  un privé par exemple ! Quant au Code des investissements, il doit être simplifié pour les entrepreneurs, pour éviter qu’ils continuent d’être à  la merci de certains fonctionnaires, sur bien des aspects. Par exemple, si vous avez droit à  une exonération fiscale, ce n’est pas à  l’à‰tat de gérer, cela doit être automatique, car la loi l’autorise ! Il faudrait donc trouver les bons mécanismes pour simplifier les facilités d’investissements.