Songhoy Blues passe à la résistance

Trois ans après la sortie de leur 1er album, « Music in Exile », le quatuor malien Songhoy Blues, après avoir sillonné la planète, revient avec un nouvel opus teinté des influences musicales glanées sur la route, au gré des rencontres, et qui vient enrichir les sonorités blues-rock et ensorcelantes de ces quatre fils du désert malien. Aliou Touré, le chanteur du groupe, a répondu aux questions de Journal du Mali, sur « Résistance » qui sort le 16 juin prochain.

 Quelle est la genèse de ce nouvel album ?

On a commencé à réfléchir à cet album depuis la sortie du premier, « Music in exile ». Certains titres de ce nouvel album ont été écrits sur la route, dans les aéroports, à l’hôtel, une sorte de conception itinérante. On y retrouve les différentes inspirations qui ont nourri notre musique. Les genres musicaux ne sont pas du tout les mêmes que dans le premier album. Chaque musique diverge de la chanson précédente, que ce soit dans le tempo, le style de musique ou le groove. On s’est aussi ouverts à d’autres tendances musicales.

Pourquoi le titre « Résistance » pour ce nouvel album ? Êtes-vous en résistance ? 

On ne parle pas de notre résistance à nous mais de celle du peuple malien qui résiste à travers nous. Dans l’album, il y a différents thèmes qui sont abordés et quand tu les décortiques, tu aboutis à une conclusion de résistance. Cet album a aussi vocation à appeler le peuple à la résistance. Quand vous prenez le premier single, qui s’appelle «Bamako», dans les lyrics, il y a une partie où ont dit : « Qu’un seul arbre tombe et le bruit fait scandale, mais pour la forêt entière qui pousse on n’entend que dalle ». Ça veut dire qu’il y a un ras-le-bol des mauvaises nouvelles que les médias véhiculent pour faire de l’argent sur le dos du peuple malien. Les attentats, les coups d’État arrivent partout dans le monde. Nous étions à Paris le jour de l’attentat du Bataclan. Le lendemain les gens étaient dehors, ils continuaient à vivre pour résister justement. On veut dire qu’il ne faut pas se fermer à l’intérieur, ne pas vivre la vie.

Justement le single « Bamako » parle de la fête et de la musique dans la capitale. Votre musique peut-elle éveiller les consciences malgré ces temps sombres ? 

Bien sûr, c’est d’ailleurs relevé dans ce premier single. On dit dans cette chanson que « Nordistes, Sudistes, on s’éclate sur la même piste ». Quand tu sors à Bamako, dans n’importe quel cabaret ou club, tu trouveras un Touareg, un Songhai, un Dogon, un Bambara, etc. Mais ce n’est pas le cas autour des tables de négociation et sur la scène politique. La vraie vie, on la retrouve dans la nuit, dans les rues de Bamako, partout ailleurs.

De quoi parle le morceau « Nord-Mali » en collaboration avec le rappeur londonien Elf Kid ?

Dans ce morceau, on a abordé un thème qui était aussi cher à Elf Kid : les réfugiés et les immigrés, parce que l’immigration vient de ce qui se passe ici. Il n’y a jamais eu autant de migrants venant de Libye avant la chute de Kadhafi. Cela va de pair avec le cas du Mali. Tous ces réfugiés qui sont dans des camps, ceux qui traversent le Sahara jusqu’à la mer pour aller en Europe trouver une vie meilleure, beaucoup ont perdu leur vie dans le désert. C’est ce sujet qui est abordé dans ce morceau.

Vous êtes très appréciés à l’étranger, mais vous vous produisez rarement au Mali. Pourquoi ?

Vous savez, normalement ce sont les médias qui parlent et propulsent les artistes, mais la presse malienne ne fait pas ça. Pour apparaître dans la presse malienne, il faut payer. Est-ce que c’est la presse qui va vers l’information ou est-ce que c’est l’information qui doit solliciter la presse ? C’est la question. Ensuite, notre musique n’arrange pas tout le monde. Nous avons un morceau qui s’appelle « Votez », où l’on dit que les gens ne votent pas. Le clip de cette chanson ne pourrait pas passer sur l’ORTM parce que ça dérange. Quand tu allumes ta télé, dans les clips, il n’y a que des fesses, on fume de la ganja, on boit de l’alcool, on montre du sexe. Cette promotion de la perversité apparaît sur toutes les chaînes actuellement. Ce n’est pas la musique que nous faisons. C’est un moyen pour eux de faire diversion parce que le noyau du peuple c’est la jeunesse. Quand on fait cette diversion, on peut faire ce que l’on veut, personne ne s’en rendra compte. Mais nous ne regrettons rien, parce que c’est un choix.

 

 

 

Songhoy Blues : la « ballade » des rockeurs du désert

Après une tournée autour du monde en 2015, les Songhoy Blues sont de retour et posent leurs valises au pays pour deux mois.

Leur premier album « Music in exile », conçu entre Londres et la capitale malienne en 2015, a propulsé sur la scène mondiale leurs sonorités électro-rock, nourries de musique mandingue et songhaï. « Le public occidental apprécie la musique malienne qui n’est plus à  présenter. Des grandes figures nous ont précédé, comme Ali Farka Touré, Amadou et Mariam, Tinariwen. Nous, on apporte notre touche pour que ça soit compatible avec la nouvelle génération », explique Aliou Touré, le chanteur du groupe. Cette « ballade » de 180 dates à  l’étranger a été pour eux une « exploration de l’univers musical » et leur a permis de « promouvoir la culture malienne ».

Ces garçons du désert, qui ont fui en 2012 le nord du Mali tombé sous la coupe d’islamistes opposés à toute forme d’expression musicale, sont issus de cette génération de musiciens maliens enrichis d’influences internationales. Ces « musiciens en exil » prônent une musique sans frontières : « tu prends la note do au Mali, ça te donnera do aux États-Unis, do en Inde et partout dans le monde. Chaque musique peut nous inspirer ». L’inspiration justement, il en sera question pour 2016, après une série de concerts en Europe en février, ils reviendront au Mali pour concevoir leur deuxième album, mûri sur la route et au gré des rencontres.

En attendant ce nouvel opus et durant ce break de création, des concerts au pays seraient envisageables. « Nous on attend que ça, jouer au Mali devant un grand public. Les portes de l’art sont fermées tant qu’il n’y a pas de stabilité, et si la situation actuelle du Mali le permet, pourquoi pas ! ». Pourtant, d’autres artistes, nationaux et étrangers, se produisent dans le pays, tels Akon, le 16 janvier à  Bamako.