Peur à Gao

La ville de Gao est dans l’inquiétude. La disparition de deux jeunes arabes, puis la découverte de leurs corps dans la commune de Soni Aly Ber a déclenché la tension entre arabes et sonrhaïs. Le premier soupçonne des éléments armés songhoy d’être auteur du forfait. En représailles, ils ont ciblé un village habité majoritairement par des sonrhaïs, blessant plusieurs personnes. Mercredi soir, un garde succombe après une attaque des individus armés. La grogne s’intensifie et le pire est à craindre.

Mercredi 28 février, à la tombée de la nuit, la ville de Gao, centre névralgique du Nord du Mali renoue avec les tensions communautaires. Des pneus sont brulés, des tirs entendus, un cortège des motos dans un brouhaha inquiétant déborde les rues. « Il y a deux arabes qui ont été retrouvés morts, leurs corps dans des sacs, repêchés du fleuve. Tout est parti de là. Les arabes ont dit que c’est Gandakoy qui est derrière cela », raconte cet habitant de Gao, d’une voix inquiète. En effet, le 25 février, les corps sans vie de deux arabes enlevés le 21 du même mois à Taboye ont été découverts. Cette divulgation a eu lieu dans le village de Barisadji, commune de Soni Ali Ber toute proche de la ville de Gao. Les arabes ont indexé immédiatement les forces de Gandakoy, essentiellement composée de sonrhaï, d’être auteur de ce crime. « Pour eux, le mode opératoire porte la signature des mouvements armés de la vallée, mais nous avons dit que les mouvements n’ont rien avoir avec la population civile », corrobore Moussa Boureima, ancien porte-parole de la coordination des mouvements de résistance civile de Gao. Des négociations ont eu lieu pour donner une suite pacifique à l’affaire mais la fébrilité du tissu social a eu raison de la patience des arabes . Ainsi dans la matinée du mercredi, des hommes armés ont attaqué ledit village soupçonné, blessant trois personnes dont deux filles. Des cases auraient aussi été brulées dans cette riposte. « On pensait que c’était fini, mais il y a eu des hommes en moto qui sont partis dans un village, ont brûlé des maisons et blessé de gens. C’est certainement en rapport avec la mort de leurs proches », explique Ibrahim Mohamed, agent d’ONG à Gao. « Il y avait eu une réunion entre les deux communautés et des agents du gouverneur pour retrouver en 24 heures les auteurs de l’assassinat, mais depuis rien n’a été fait », proteste ce jeune arabe de la région. « La commission a auditionné des personnes impliquées dans la mort de deux arabes, mais il n’y a pas eu une grande communication », précise Issa Boncana, président de la fédération des organisations des mouvements de résistance de Gao. Selon lui, la fragilité de la justice, ‘’amène les populations souvent à vouloir se rendre justice elles-mêmes’’.
Tension au comble
À peine les blessés de l’expédition punitive admis à l’hôpital aux environs de 18 heures, des jeunes mécontents commencent à s’attrouper devant l’édifice. Vers 19 heures, et à quelques mètres de l’hôpital, un militaire du nom de Abdou Katia Touré, garde du corps du procureur du tribunal de Gao est pris pour cible par des hommes armés à moto. Blessé, il succomba dans la soirée. L’écho s’est propagé dans la ville. De partout, des jeunes affluaient. Des tirs retentissaient par endroits. La situation prit une tournure alarmante jusque tard dans la nuit. « C’était la panique totale. Les gens se disent de faire la guerre à toute peau claire. C’est pire qu’en 2012 », regrette Annara Ag Mohamed, habitant de la ville. Dans un audio posté sur le réseau social WhatsApp, un habitant lance « un appel à tous les sonrhaï pour qu’ils se donnent la main, car selon lui, ce qui va se passer, les gens le verront. Ça suffit maintenant », prévient-il. Des appels au calme des sages ont tempéré le mouvement. Ayant lancé dans la soirée une invitation à la place de l’indépendance, les jeunes sonrhaïs ont ce matin répondu à l’appel. La police et la Minusma se sont déployés devant le gouvernorat pour empêcher tout débordement. Malgré tout, les jeunes se sont dirigés vers le quartier d’Aljanabandja, fief des arabes. Cinq blessés ont été enregistrés parmi les manifestants. « Il a fallu l’intervention de la fédération des organisations de la résistance civile pour faire rempart entre les arabes et les jeunes. Il y a aussi des endroits où les arabes ont fui, laissé leurs femmes et enfants, et là-bas aussi la fédération a empêché les jeunes de descendre sur ces familles », raconte Moussa Boureima.


Calme précaire
« La situation est calme cet après-midi. On ne sait pas ce qu’il en sera ce soir et demain », souligne Moussa Boureima, ancien porte-parole de la coordination des mouvements de résistance civile de Gao. Les démarches entreprises par la fédération des mouvements civils de résistance, (qui remplace la coordination des mouvements de résistance) ont finalement eu un impact sur la suite des évènements. « La fédération des mouvements de résistance s’est investie pour calmer les esprits. On est sorti avec le chef du cabinet du gouvernorat pour aller parler aux jeunes qui ont fini par rentrer », rapporte-t-il. « Dieu merci, vers 14 heures, on a pu désamorcer la tension, mais cela a failli dégénérer et nous amener vers une guerre qu’on a évité », salue-t-il, jugeant urgent le désarmement de tous les mouvements. Selon une dernière information, les jeunes sont sur pied pour piller les biens des arabes. « Tout de suite, on nous informe des rassemblements sur le terrain d’Aljanabandja, quartier considéré comme la base des communautés arabes. En face, l’armée malienne essaye de sécuriser les boutiques et les populations », déplore Issa Boncana, après tous les efforts entrepris dans la journée.
Nonobstant cette situation qui reste critique, des initiatives sont prévues pour éviter le pire qui se profile à l’horizon. Des messages d’apaisement ont été relayés selon le président de la fédération, estimant que la solution à la violence n’est pas la violence. Les autorités aussi ont fait un communiqué appelant au calme le matin, témoigne-t-il. « Tous les chefs d’état majors des groupes armés, les leaders communautaires et des jeunes ainsi que le gouverneur se réuniront demain vers 10 heures pour trouver une solution », espère-t-il.