Le bourbier libyen

Pour la communauté internationale, rien ne se fera en Libye sans une reconnaissance du gouvernement d’union nationale qu’elle soutient, mais qui reste contesté. Il apparaît de plus en plus clair que l’intervention militaire contre Daesh viendra après la fin des divisions politiques.

Lever partiellement l’embargo sur les armes qui frappe la Libye depuis 2011 : cette demande de Faïez El-Sarraj, à la tête du gouvernement d’union nationale soutenu par la communauté internationale, a été approuvée par les délégations africaine, arabe, européenne, onusienne et américaine réunies, le lundi 16 mai, à Vienne. Ce qui pourrait permettre au gouvernement de recevoir armes et munitions pour stopper la montée en puissance de l’État islamique qui, fort de ses 3 000 à 5 000 combattants, s’est d’ailleurs emparé d’Abou Grein, localisée à l’ouest de Syrte, ville qu’il contrôle depuis juin 2015. Mais aussi faire face à l’immigration illégale. Les espoirs que cette décision pourrait faire sortir la Libye de l’enlisement sont maigres, notamment à cause des divisions politiques qui sont loin d’être réglées. En effet, le parlement basé à Tobrouk, dans l’est, s’entête à ne pas reconnaître El-Sarraj, malgré les sanctions à son encontre que la communauté internationale a promis de durcir. Résultat, les forces militaires des deux camps sont lancées dans la course pour combattre Daesh.

« Les possibilités de ce gouvernement restent limitées, tant que les conflits internes, la compétition entre deux pouvoirs rivaux ne sont pas surmontés », a d’ailleurs reconnu le chef de la diplomatie allemande, Franz-Walter Steinmeier. On imagine donc sans mal que le défi prochain pour la communauté internationale est de convaincre le Parlement de Tobrouk et son bras armé, le général Kalifa Haftar, de s’aligner derrière El-Sarraj. Car, estime Claudia Gazzini, analyste à International Crisis Group, « une opération militaire pour libérer Syrte requiert une plus grande coordination des forces de sécurité pour des raisons à la fois tactiques et politiques ». Il demeure tout aussi évident que la crédibilité de ce gouvernement d’union nationale ne sera assise qu’avec la guerre contre l’EI. Un autre défi consiste à sortir les Libyens de la précarité dans un pays en crise de liquidités depuis bientôt cinq ans, avec une population dont 40% se trouve en besoin urgent d’aide humanitaire.

Libye, 32 morts dans une offensive contre l’EI

Le mercredi 18 mai, le gouvernement d’union nationale dirigé par Faïez el-Sarraj et soutenu par la Communauté internationale, a lancé une offensive pour reprendre du terrain sur l’État Islamique (EI) à Syrte, son fief.

Trente-deux morts, c’est le bilan tragique de l’attentat à la voiture piégée et des combats ayant opposé, le mercredi 18 mai 2016, les forces du gouvernement d’union nationale libyenne à l’État islamique à l’ouest de Syrte, une zone que le groupe djihadiste a conquise, affichant du coup son ambition de plus en plus grande de renforcer sa position dans ce pays devenu défaillant depuis la chute de Muhammar Kadhafi, en 2011. L’attentat, qui a fait trente-deux morts et une cinquantaine de blessés, est intervenu à Bouairat El-Hassoun, un village à l’ouest de Syrte dont les forces du gouvernement d’union nationale disent avoir pris le contrôle.

L’offensive du gouvernement d’union vise à stopper et pousser dans ses derniers retranchements l’EI. Mais, grand paradoxe, il fait face à la concurrence des forces militaires menées par le général Kalifa Haftar, bras armé du Parlement basé à Tobrouk, qui ne reconnaît pas El-Sarraj, refuse de céder malgré l’épée de Damoclès des sanctions brandie par la communauté internationale qui pense que ces divisions politiques n’arrangent pas les efforts de lutte contre le groupe djihadiste.

Le lundi 16 mai, 21 nations réunies à Vienne, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité compris, ont décidé de lever partiellement l’embargo sur les armes pour permettre au gouvernement d’El-Sarraj d’avoir les armes et munitions pour affronter Daesh.

Portrait: Mouammar Kadhafi, le Guide qui s’est perdu

Un jeune capitaine de l’armée libyenne est apparu à  la tête d’une junte militaire le 1er septembre 1969 qui a renversé le vieux roi Idriss sans effusion de sang. Le monde découvrait Mouammar Kadhafi, beau gosse, svelte, fringuant officier supérieur très vite promu colonel pour diriger ce vaste pays riche en ressources pétrolières et sous-peuplé. Très tôt, Kadhafi impose un style. Le monde arabe qui trouvait en Nasser, le président égyptien, un père de la nation voyait en Kadhafi une relève assurée pour l’affirmation d’une identité arabe dans un monde agité et o๠la guerre avec l’Etat hébreu allait focaliser toutes les attentions. Le jeudi 20 octobre 2011, après huit mois d’insurrection et de guerre civile, Mouammar Kadhafi est arrêté à  Syrte, par les rebelles qui ont mis fin à  son règne sans partage de près de 42 ans. Ce dirigeant hors norme, a suscité tour à  tour beaucoup d’admiration, d’irritation, puis de haine. A la tête d’une révolution, il a su mobiliser des sympathies par un régime progressiste soutenant tous les mouvements de libération dans le monde et plus particulièrement en Afrique. Son évolution en politique fut méthodique et calculée avant que l’homme à  qui tout réussissait ne verse dans une effrayante mégalomanie. Sa révolution au début des années 70 était dans l’air du temps. Décolonisation, guerres d’indépendance, la question palestinienne, étaient un fonds de commerce infaillible. Socialiste, il a vite eu de l’écho à  ses appels du refus de l’ordre établi. Le bloc de l’Est, à  l’époque, était un mur sur lequel le président libyen pouvait monter pour observer le monde. Cette posture était pour lui un moyen de menacer l’Occident. Presqu’une obsession. Son pays est devenu la Jamahiriya arabe libyenne et socialiste et marque le profond changement que le leader libyen impose à  son pays. Un mélange de genre entre « centralisme démocratique communiste » et pratique traditionnelle de commandement, le tout érigé en système de gouvernement. Mouammar Kadhafi n’est plus président mais plutôt « Guide de la révolution ». Et, l’air de rien, le pouvoir devient personnel. Il n’est plus exercé par les « masses » qui confient leur destin au Guide éclairé. Mais le culte de la personnalité, déjà  présent, est noyé dans un flot de revendications identitaires et d’affirmation de soi dans un monde bipolaire. Le début de la dérive Devant les débâcles des armées arabes face à  Israà«l les populations se convainquent qu’un leader fort et intransigeant devrait relever l’honneur des nations et des peuples arabes humiliés. Kadhafi a incarné, un temps soit peu, cette image. Il a pensé la renforcer en s’opposant violemment à  toute tentative de négociation avec Israà«l. Le 6 octobre 1981, le Guide libyen s’est félicité de l’assassinat du président égyptien Anouar el Sadate appelant même à  un jour férié pour saluer « l’action héroà¯que » qui a consisté à  éliminer celui qui a trahi la nation arabe en engageant un processus de paix avec Israà«l. Extrémiste, il applique la stratégie de l’ouverture Porté par les foules, l’homme s’est senti habité par un destin universel. Il écrit le « Livre vert » qui en quelques vérités fortes devrait ouvrir les portes d’une nouvelle voie autre que celles des Occidentaux ou encore des Soviétiques. Le Livre vert, pensait-il, devrait envoyer aux archives de l’histoire toutes les théories tiers-mondistes. Dans ce livre le concept de la victoire du peuple inéluctable sur l’oppression, l’impérialisme, par tous les moyens était déjà  un prélude au soutien du terrorisme comme moyen d’abattre l’ennemi. La mise en pratique de cette théorie est déjà  son implication dans le conflit tchadien en 1973. Ses troupes avaient occupé la bande d’Aouzou dans le nord du Tchad avant d’en être délogées par les forces françaises qui ont appuyé l’assaut conduit par l’armée de Hissène Habré en 1982. Ses engagement et soutien sur tous les fronts contre les intérêts occidentaux lui ont valu, en représailles, des bombardements américains sur la capitale Tripoli en 1986. Le guide y a perdu une de ses filles adoptives. Mais le Guide libyen s’est aussi illustré par son soutien financier et militaire à  l’African National Congress (ANC) en Afrique du Sud pendant les années d’apartheid. Grâce à  ses moyens, les dirigeants de l’ANC ont pu voyager dans le monde pour faire entendre la voix de la résistance et de la liberté. Nelson Mandela, après sa libération lui avait d’ailleurs publiquement rendu hommage. l’homme ne se donnait plus de limite. Son bras armé était visible dans l’attentat contre le Boeing de la Pan Am au dessus de Lockerbie et qui avait fait 270 morts en 1988. Un avion DC-10 de la compagnie française UTA avait explosé en vol au dessus du désert du Ténéré au Niger en 1989 ; 170 morts. Là  encore les services libyens sont mis en cause. Un embargo international frappe le pays de 1992 à  1999. Kadhafi avait consenti à  remettre à  la justice internationale ses agents impliqués dans les attentats et à  indemniser les victimes. C’’est le retour de la Libye sur la scène internationale avec son Guide qui a regagné le droit de fréquenter les plus grands de ce monde. Et, par ces temps de crise les dirigeants occidentaux ne voulaient pas « cracher sur les pétrodollars libyens ». Achats d’équipements, d’avions et autres constituaient pour les pays industrialisés une importante manne qui enlève toute odeur au fric libyen. Futé, il ne voulait pas seulement avoir par l’argent un droit de cité. Il voulait toucher l’opinion occidentale au C’œur. De 1999 à  2007, l’affaire des infirmières bulgares, condamnées pour avoir contaminé volontairement, selon les autorités libyennes, des enfants par le virus du sida, a servi de monnaie de change au Guide libyen qui a finalement gracié les inculpées. En 2003, à  la surprise générale, Kadhafi annonce le démantèlement de tous ses programmes secrets d’armement. Il instaure une politique d’assouplissement de la réglementation libyenne en matière économique permettant l’ouverture du marché local aux entreprises internationales. Le réchauffement des relations avec certains pays européens, comme le Royaume-Uni, la France, l’Espagne et l’Italie est effectif. Il déclare qu’il entend désormais jouer un rôle majeur dans la pacification du monde et la création d’un Moyen-Orient sans armes de destruction massive.

Ouaga-Tripoli : Le ballet diplomatique d’ ATT

C’est un véritable ballet diplomatique que le chef de l’état Malien vient d’effectuer en l’espace de quelques jours dans deux pays. D’abord le Burkina Faso, o๠il a rencontré son homologue le Président Blaise Compaoré, puis en Libye o๠le guide Mouammar Kaddafi l’a accueilli. S’agissait-il seulement de simples visites d’amitié, rien n’est moins sur, quant on sait qu’elles font suite à  la conférence des ministres d’Alger relative à  la sécurité dans la bande sahélo-saharienne. Ballet diplomatique L’on ignore pas que le président Malien reste attaché à  son idée d’un sommet sur la sécurité dans la bande sahélo-saharienne ? ATT cherche t-il le soutien de Ouaga et de Tripoli, face à  la frilosité d’Alger et de Nouakchott ? Avec le Mali, la Mauritanie, l’Algérie et le Niger sont les principaux pays touchés par la menace sécuritaire mais leurs dirigeants demeurent insensibles à  la tenue de ce sommet tant réclamé par le président Malien, un sommet qu’ATT ne saurait orchestrer seul. Est-il donc allé chercher du soutien du côté de Ouaga ? Quant on connait les qualités de médiateur de Blaise Compaoré dans la plupart des conflits de la sous-région(Guinée, Côte d’Ivoire) et même dans la libération d’otages détenus par Al Qaeda, la question mérite d’être posée. Le président Burkinabè aurait même joué un fin rôle de négotiateur dans la libération de l’otage espagnole Alicia Gamez de concert avec Madrid et travaillerait activement à  celle de sa compatriote Philomène Kaboré. Alors on peut se demander si ATT, qui souffre d’une image ternie, après l’affaire Camatte, est allé prendre quelques leçons de médiation chez son homologue Blaise, au delà  des questions habituelles de coopération et de développement économiques sous régionales. ATT enfin soutenu ? Le président Blaise lui est pour la tenue de ce sommet. Et il préconise Bamako pour la circonstance. D’un point de vue géographique, le Nord Mali reste le lieu de détention de la plupart des otages d’AQMI(Al Qaeda au Maghreb Islamique). Après la conférence d’Alger qualifiée de simulacre par beaucoup, qu’apporterait enfin ce sommet voulu par ATT ?  » La définition de mesures sécuritaires de poids, le concours d’experts, la prise de décision unanimes, une avancée dans le processus et non un semblant de huit-clos dont on sait que l’issue n’aura rien apporté de nouveau à  la question du terrorisme, mis à  part un réchauffement des relations diplomatiques entre le Mali et ses voisins directs « , affirme un observateur. ATT malgré tout persiste dans son initiative et aurait lancé un vibrant appel à  son homologue mauritanien depuis Ouagadougou et en dépit de la récente brouille diplomatique entre les deux pays. Son appel sera t-il enfin entendu ? Tripoli impliqué ? De retour de libye, ce lundi soir, des sources affirment qu’outre les intérêts économiques qui lient les deux pays, le président Touré et le Frère Guide auraient évoqué le sujet brûlant de l’insécurité dans la bande sahélo-saharienne avec son lots de prises d’otages, de trafics en tout genre. Kaddafi sera t-il sensible au sort d’otages, quant on connait le passé peu glorieux de la libye en matière de terrorisme et de prises d’otages. Peut-on faire confiance au guide pour apporter une aide, un début de solution à  ces questions sécuritaires. ‘Le Mali et la libye sont des pays amis et partagent des intérêts’, juge un éditorialiste Malien de la place. Reste à  savoir ce qu’ATT a pu dire au guide dans la perspective d’une implication hypothétique de la Libye dans la tenue de ce futur sommet ? Ce qui reste sûr, c’est que la question des investissements a été remise sur la table, avec la présence du ministre du Tourisme dans la délégation d’ATT. La longue croisade du président Malien Si ATT arrive à  organiser ce sommet, cela sera au bout d’un longue croisade. Quant on voit les multiples sommets organisés ça et là , pour des raisons moins urgentes que le terrorisme au Nord Mali, on se demande pourquoi il a tant de mal à  organiser cette conférence du seul fait de son influence? Justement, c’est peut être là  que la bât blesse. Quant un Compaoré arrive à  réunir autour d’une même table, des frères rivaux (Soro vs Gbagbo vs Alassane dans le cas de la Côte d’Ivoire) ou (Forces vives de Guinées vs CNDD pour la Guinée), on ose imaginer qu’il peut être un fin médiateur dans la question sahélo-saharienne, en réunissant à  la même table, les dirigeants des pays de la bande sahélo-saharienne. Mais son influence va t-elle aussi loin ? Alger a la dent dure et la Mauritanie idem. Quant à  ATT, il lui faudra user de patience et de ruse pour convaincre ses pairs. L’on attend de voir…

Sommet de Syrte : le compte à rebours des Etats-Unis d’Afrique?

Décidément le guide de la révolution libyenne n’en finit pas de surprendre ses pairs africains. Ses positions radicales dans les réunions suscitent toujours de violents débats autour des questions politiques à  l’échelle continentale. A Syrte, les surprises s’annoncent grandes pour cette 13e conférence des Chefs d’Etats et de Gouvernement. Car il défendra à  tout prix son projet des Etats-Unis d’Afrique. Un projet qui dort dans sa valise depuis plusieurs sommets. Dimanche, il a reconnu qu’il y avait des hésitations sur l’Afrique unie. C’’est donc un dossier qui reviendra sur la table lors du sommet. « Quand on dit non à  quelque chose, il faut s’expliquer », a lancé le frère Guide. Une idée qui ne cadre pas avec le sens que veut donner le président de la commission de l’UA à  la rencontre. Jean Ping veut plutôt parler de paix et de sécurité. De résolutions de conflits. A la réunion préparatoire, il a énuméré « la longue liste des coups d’états et des changements de constitution envisagés. La situation à  Madagascar, au Niger, en Guinée Conakry, en Guinée Bissau… a été évoquée par le président Ping. Sur la question électorale en Guinée Bissau, Jean Ping n’a pas caché ses inquiétudes. Il a déploré l’assassinat du président Vieira qui est le 31e chef d’Etat assassiné en Afrique en moins de 40 ans. Un vide remarquable… La question des Etats-Unis d’Afrique est le sujet principal qui divise les leaders africains. Partisans et non partisans défendent à  chaque sommet leur position. Mouammar Kadhafi a réaffirmé la sienne. Il propose la disparition de tous les organes de l’UA au profit d’une « autorité africaine exécutive ». Le vide pressenti à  la réunion de syrte sera sans nul doute l’absence du Président gabonais Omar Bongo Odimba, partisan des Etats-Unis d’Afrique et grand acteur de la Françafrique. Son décès le 8 juin dernier, est une perte énorme pour l’UA, car il a été un médiateur estimable dans plusieurs conflits sur le continent. Il aurait pu apporter son expertise à  son compatriote Jean Ping, quant aux questions de paix et de sécurité. ATT que l’on considère également comme un sage en Afrique, peut-il dès lors se proposer de jouer ce rôle et appuyer jean Ping dans ce sens ? Autour de la question, Jean Ping multiplie les contacts avec ses émissaires. Jeudi, il s’est entretenu avec le Président du conseil exécutif de l’UA, le Dr Ali Triki. Les échanges ont porté sur la situation politique et sociale dans les pays du continent. La Mauritanie et le Soudan étaient au centre des débats. Il a été aussi question de la réussite de ce 13e sommet. Une réussite qui passe forcement par une convergence des idées et des idéaux à  défendre. Apparemment on est encore loin de cette atmosphère. Si l’hôte des chefs d’Etats et de Gouvernements se focalise à  ressortir son dossier des Etats-Unis d’Afrique. Tout laisse à  croire que ce ne sera pas facile, car après Khadafi, C’’est Khadafi.