Mali : 27,500 milliards de FCFA dans les caisses du trésor public

La Direction nationale du trésor et de la comptabilité publique du Mali a levé  le 24 juin 2020 un montant de 27,500 milliards de FCFA (41,250 millions d’euros) au terme de son émission simultanée d’adjudication de bons assimilables du trésor (BAT) à 12 mois et d’obligations assimilables du trésor (OAT) à 36 mois sur le marché financier de l’Union monétaire ouest africaine (UMOA).

Les fonds levés sont destinés à assurer la couverture des besoins de financement du budget de l’Etat du Mali. Dans ce cadre, au titre du mois de juin 2020, les intentions d’émission de titres publics exprimées par les autorités étatiques maliennes se chiffrent à 80 milliards de FCFA.

Pour l’émission du 24 juin 2020, le montant global mis en adjudication était de 25 milliards de FCFA. A l’issue de l’opération, l’agence UMOA-Titres a répertorié 61,200 milliards de FCFA de soumissions globales provenant des investisseurs, soit un taux de couverture du montant mis en adjudication par les soumissions de 244,80%.

Source: Financial Afrik

L’État malien manque-t-il d’argent ?

Depuis début octobre, les informations se suivent concernant l’éventuelle incapacité du gouvernement à faire face à certaines sollicitations financières.  À la correspondance du Secrétariat général de la Présidence adressée au personnel, relative à la suspension de la dotation en carburant, s’ajoutent la subvention impayée au  groupement des  professionnels du gaz butane et celle des promoteurs des écoles privées, toujours fermées. Au même moment, le bras de fer entre l’État et les magistrats sur l’amélioration de leurs conditions de vie se poursuit.  Les caisses  sont-elles vides ?

2 330,778 milliards de francs CFA. Tel était le budget prévisionnel en dépenses de l’État en 2018. Des grands axes sont inclus dans ce chiffre, notamment la Loi de programmation militaire, la Loi de programmation du secteur de la sécurité intérieure, la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation et l’allocation de 15% au secteur du développement rural. La somme devait servir au fonctionnement de l’État et aux investissements de celui-ci. Alors que l’année n’est pas encore bouclée, certaines se demandent de plus en plus si les caisses de l’État ne sont pas à la peine.

Suspicions

Depuis octobre, certains signes laissant croire à des difficultés financières de l’État apparaissent. Dans une lettre en date du 8 octobre, le Secrétaire général de la Présidence notifiait au personnel de l’institution la suspension de la dotation hebdomadaire en carburant, ajoutant que la « situation reviendrait à la normale sitôt que les contingences financières seront améliorées ». Une information rare, qui a suscité des interrogations sur la santé financière du pays, d’autant que le budget alloué à cette structure n’a pas été revu à la baisse. Ce n’est pas tout. Dans un courrier en date du 25 septembre, le Groupement des professionnels du gaz domestique (Sodigaz, Fasogaz et Sigaz) informe le ministre de l’Économie et des finances de l’arrêt de l’importation et de la distribution du gaz butane. Le groupement rappelle le retard accusé sur le règlement de sa subvention. La somme impayée s’élèverait à 3,584 milliards de francs CFA, « y compris les crédits non engagés faute de budget disponible à cet effet ». Depuis, le syndicat est dans l’attente; sans importer de gaz ni aller en grève. Les conséquences de cet arrêt impactent les consommateurs et, au même moment, le prix du gaz flambe de façon clandestine sur le marché. À ces problèmes en suspens s’ajoute le mécontentement de l’Association des promoteurs des écoles privées agréées du Mali, en grève depuis le début de la rentrée scolaire pour non-paiement des subventions par l’État. Depuis plusieurs mois déjà, le Syndicat autonome de la magistrature (SAM) et le Syndicat libre de la magistrature (SYLMA) sont en grève illimitée pour exiger la relecture du statut des magistrats et la revalorisation de la grille salariale avec un indice 3 500.

Toutes ces situations sont réelles et les spéculations sur l’utilisation abusive des ressources de l’État lors de la campagne présidentielle vont bon train. « Lors de la présidentielle, on a utilisé l’argent comme on le voulait pour que le Président soit réélu. Les fonds distribués sont sortis de la caisse, mais ce n’était pas prévu », estime Zoumana Fomba, comptable de formation. Pour l’organisation de la présidentielle et des législatives, maintes fois reportées, la Loi des finances avait pourtant prévu environ 45 milliards de francs CFA. Seuls 28 milliards auraient été utilisés pour la présidentielle, assure une source sous anonymat.  

Phénomène récurrent?

« Personne ne peut nier qu’il y a des difficultés, surtout vers la fin de l’année. Ce n’est pas au Mali seulement, c’est partout », concède une source voulant rester discrète. Mais elle ne rejette pas en bloc toutes les hypothèses énoncées. Selon la même source, tous les promoteurs des écoles privées des les régions ont reçu leurs subventions. Sur 32 milliards d’arriérés, 25 milliards auraient été versés. Le reliquat de plus de 6 milliards pour les 665 établissements privés du District de Bamako serait en suspens en attendant la fourniture des états de payements individuels par  les promoteurs. Mais le Secrétaire général de l’Association des écoles privées agrées du Mali (AEPAM), Abdoul Kassoum Traoré, désapprouve la procédure mise en place. « Le payement doit être intégral. La première tranche devait être payée au mois de mars et la deuxième en mai, mais nous sommes aujourd’hui fin octobre sans avoir rien touché ». Selon lui, les pièces justificatives demandées par le Trésor ne sont « qu’une diversion ». « On nous a demandé de produire des états de payement individuels alors qu’il y avait un accord de principe différent. C’est à la dernière minute qu’ils nous ont demandé de les déposer. Malgré tout, à la date du 2 octobre, toutes les écoles avaient fourni leurs états », se défend t-il.  «Dès demain, si on nous paye, nous allons reprendre le service », poursuit-il, indiquant vouloir éviter les « discussions stériles ».

Pour Khalid Dembélé, économiste au Centre de recherche et d’analyse politique et économique (CRAPES),  les arguments selon lesquels l’État manque de fonds sont à prendre avec des pincettes. « Si on regarde la manière dont l’argent a coulé à flot pendant l’élection présidentielle, on pourrait soutenir cette thèse de manque d’argent, mais aucun poste ministériel n’a été supprimé et tous les fonctionnaires reçoivent leurs salaires ». Concernant le duel entre le gouvernement et les syndicats de magistrats, Khalid Dembélé déplore l’absence de discussions. « Il y a aujourd’hui une crise du dialogue entre l’Exécutif et les syndicats », constate-t-il. Au-delà même d’un possible manque de moyens, le Professeur d’université se demande aujourd’hui « si l’Exécutif à une culture de négociation et de persuasion, parce qu’il faut pouvoir amener les gens là où, au départ, ils ne voulaient pas aller », suggère-t-il. Les répercussions de ce débrayage interpellent pourtant. 

Budget mal réparti ?

Troisième économie de la zone UEMOA, le Mali enregistre une croissance annuelle de 5%. Malgré cela, toutes les couches socioprofessionnelles ne cessent de réclamer l’amélioration de leurs conditions de travail. Des sommes faramineuses sont réservés chaque année au fonctionnement des institutions et autres structures étatiques. « Il y a une bonne croissance économique, mais la répartition des  richesses n’est pas à hauteur de souhait. Les gens pensent  que l’État a de l’argent et qu’il refuse de le donner », analyse Khalid Dembélé, indiquant que la plus grande partie du budget est dévolue à une minorité : le Président, le Premier ministre et les députés. Ce qui pousse souvent les syndicats à être inflexibles dans leurs revendications. À titre d’exemple, le budget de fonctionnement du palais présidentiel est estimé à 12 milliards de francs CFA, et il y a 15 milliards pour l’Assemblée nationale et 12 milliards pour la Primature. « Ce n’est pas l’argent en soi qui est le problème, mais la façon dont il est réparti entre ceux qui participent à la création des richesses », estime le Professeur d’université. Pourtant, l’adoption du budget offre une photographie de toutes les dépenses de l’État  qui devront être effectuées pendant l’année. D’où la nécessité de moraliser les dépenses publiques et de lutter contre les détournements de fonds.

Nouvelle donne ?

En 2019, les dépenses s’élèveront  à 2 410 milliards de francs CFA, contre 2 331 milliards dans le budget 2018, soit une augmentation de 3,42%. Validé par le Conseil des ministres, ce budget n’a pas encore été adopté par les élus de la Nation. Mais cette hausse, en dehors des défis à relever, n’aura pas d’impact manifeste sur le quotidien des Maliens. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA), plus de 4 millions de personnes sont menacées par la faim dans le pays et la situation d’insécurité dans le nord et le centre a déjà fortement éprouvé les populations.

Malgré les suspicions, l’État assure toujours le fonctionnement normal de ses services

Détournement de recettes douanières à Sikasso : 1,7 milliard de pertes

C’est une hémorragie financière qui se chiffre à plus d’un milliard de francs CFA, détourné par tout un circuit, à la Direction régionale du Trésor de Sikasso. Un système qui perdurait depuis des années et qui, selon certains, n’est pas spécifique à la 3è région.

1,714 milliard de francs CFA, c’est la somme détournée depuis plus de 3 ans par le receveur des Douanes de Sikasso, avec la complicité du trésorier payeur. Les deux hommes ont été arrêtés par la gendarmerie, puis déférés en début de semaine dernière au Pôle économique de Bamako, dans une affaire au parfum de scandale financier.

 Système bien huilé Au cœur de cette histoire, des collusions entre opérateurs économiques et hauts fonctionnaires du Trésor, de la corruption, de l’incompétence et un système faillible qui a permis cette fraude massive. Dans cette affaire, les investigations effectuées ont permis de mettre un évidence un large système de fraude concernant les chèques que les opérateurs économiques, au niveau des douanes, remettent pour faire sortir leurs marchandises. Ces chèques sont normalement enregistrés par le service du Receveur des Douanes, qui doit ensuite les déposer sur le compte du Trésor. Mais, à Sikasso, les chèques étaient enregistrés et encaissés par le Receveur des Douanes et le Trésorier payeur. Ces « manipulations d’écritures » se faisaient grâce à la duplicité de certains opérateurs économiques.

« Les gros importateurs de produits au Mali parviennent, grâce à ce système, à damer le pion aux autres opérateurs économiques. Car, lorsqu’ils n’ont pas le cash pour sortir leur marchandise, ils font un chèque en blanc. En complicité avec le receveur, ils peuvent faire sortir leur marchandise et l’écoulent avant que les autres puissent faire sortir leurs containers. Quand ils ont l’argent, ils le déposent sur le compte et le receveur le touche », confie une source proche du dossier.

Au niveau du Trésor, la division chargée du contrôle n’y a vu que du feu pendant de longues années. Après enquête, il s’avère que les chèques étaient bien signalés dans le registre, mais impossible à retrouver sur le compte. « Une négligence, ou au moins une très grande incompétence, qui peut faire douter de la probité de ce service », avance  notre source, qui assure que tout le système, à la direction du Trésor de Sikasso, est corrompu.

Le détournement a cessé quand l’un des protagonistes, le trésorier payeur, a dénoncé le receveur à la gendarmerie, qui a constaté, après enquête, des versements sur le compte du trésorier allant de 50 à 250 millions de francs CFA, pour, au final, un gap de plus d’un milliard. « Des bruits de couloirs disaient que le receveur allait être nommé Trésorier payeur, et que celui qui était en place, son complice, devait partir à la retraite dans deux ans. Cela a été une manière pour lui de se débarrasser de la menace et de ne pas perdre son poste, mais il s’est fait prendre », ajoute notre source.

 Une pratique généralisée ? Le détournement massif de fonds destinés au Trésor de Sikasso n’est pas un cas isolé. A Kayes, il y a environ un mois, le receveur auprès des Douanes a réussi à détourner, en l’espace de 3 mois, pas moins de 450 millions de francs CFA. Rien que pour Kayes et Sikasso, le manque à gagner pour l’Etat malien s’élève à un peu plus de 2 milliards. « 450 millions en 3 mois ! Vous imaginez la somme s’il avait pu se servir toute l’année ! Ces détournements ont toujours cours, ça se pratique même à Bamako, où c’est bien pire. Beaucoup, à présent, vont faire profil bas, avec ces arrestations », s’exclame un fonctionnaire, qui considère que le problème vient d’abord du système mis en place au niveau des receveurs des Douanes, qui présente de grosses failles permettant aux gens d’en profiter.

Pour ce comptable bamakois, des mesures simples pourraient être prises pour que cela n’arrive plus. « Il faut dire aux opérateurs économiques de verser directement leur dû sur le compte du Trésor puis d’amener le reçu du versement pour prouver que le chèque a bien été déposé et endossé sur ce compte. Il faut arrêter de donner ces chèques à un agent du Trésor, qui les enregistre et les dépose lui-même. Cela favorise les fraudes. Ces pratiques fragilisent encore plus l’économie malienne, mais le problème ici est que, quand les gens sont arrosés, ils en oublient tous sens du devoir et deviennent sourds, aveugles et muets », conclut-il.