Trêve sociale: Bréma Ely Dicko répond aux questions de la rédaction

Il est sociologue, et accepté répondre aux traditionnelles « Trois questions  » de la rédaction. La trêve sociale telle qu’elle est vécue actuellement dans notre pays interpelle plus d’un. Bréma Ely Dicko, en quelques mots fait le tour de cette situation. 

 

La trêve sociale proposée par le Président de la République est-elle justifiée ?

Elle est justifiée, parce que la situation du Mali est très précaire. C’est l’existence même de la Nation qui est en jeu. Il faut juste voir les dernières attaques pour se rendre compte qu’il y a une extension du champ de l’insécurité. Aujourd’hui, le mal est tellement profond qu’il y a lieu d’unir les efforts autour de l’essentiel, c’est-à-dire d’abord comment faire en sorte qu’il y ait une certaine stabilité dans le pays.

Pourquoi ne semble-t-elle pas être acceptée par les syndicats ?

L’État demande quelque chose qui parait logique, vu le contexte du pays, mais en contrepartie il n’y a pas un effort de réduction de son train de vie, de la taille du gouvernement et de règlement des dossiers qui intéressent les Maliens. La surfacturation dans les achats de matériels militaires au niveau de l’armée ou encore le dossier de l’avion présidentiel. Il est donc difficile pour les travailleurs d’accepter la trêve dans ces conditions. Les revendications des différents syndicats sont légitimes, parce qu’elles portent sur des engagements que l’État lui-même a pris.

Quelles mesures faudrait-il pour apaiser le climat social ?

Pour le cas des enseignants, par exemple, il faut tout simplement appliquer la loi. Un État, ce n’est pas un individu. Il a toujours les moyens, avec ses partenaires. Au nom de l’avenir des milliers d’enfants maliens, qui est en train d’être hypothéqué, l’État doit impérativement respecter les engagements que lui-même a pris.

Trêve sociale : Dialogue de sourds pour un lointain mirage

À l’aube de la nouvelle année, le Président de la République avait appelé à l’observation d’une trêve sociale, une grande partie des ressources nationales étant absorbée par l’investissement dans la guerre contre le terrorisme. Alors que la mise en place d’un cadre formel d’échanges entre le gouvernement et les partenaires sociaux tarde à se concrétiser, les revendications vont grandissant. La trêve est donc pour l’heure encore lointaine.

« Je ne saurais terminer cette adresse sans une fois de plus en appeler à l’esprit civique, toutes et tous, quant à l’impérieuse nécessité d’une trêve sociale. Garant du bien-être individuel et collectif de nos concitoyens, je ne suis pas en train, ce faisant, de mettre en cause la légitimité ni la légalité des revendications matérielles, car aucune misère n’est acceptable, ni matérielle, ni morale, ni spirituelle », disait le Président Ibrahim Boubacar Keita, le 31 décembre dernier.

« Je sais que le Dialogue national inclusif a débattu de la question de la trêve sociale. Mais je vous soumets de nouveau la demande. Je vous la soumets en toute déférence, mais je vous la soumets avec insistance. Une conférence sociale est nécessaire ? Alors, allons-y ! Faut-il s’entendre sur un nouveau pacte de croissance et de solidarité, revu à la lumière de la nouvelle donne qui conditionne la survie du Mali ? Alors, allons-y ! », avait-il ajouté.

Malgré cet appel pressant aux différentes centrales syndicales et syndicats autonomes, le front social ne s’est pas pour autant apaisé. Les revendications touchent de plus en plus de secteurs. Éducation, santé, finances, administration publique, transports, sécurité intérieure, les annonces et mouvements de grève se multiplient.

Grèves incessantes

Réclamant depuis plusieurs mois l’application de l’article 39 de la Loi N°2018-007 du 16 janvier 2018 portant statut du personnel enseignant de l’enseignement secondaire, fondamental et de l’éducation préscolaire et spéciale, les syndicats de l’éducation signataires du 15 octobre 2016 (SYPESCO, SYNEB, SYNEFCT, SYNESEC, SYLDEF, FENAREC, COSES, SNEC) ont de nouveau entamé un débrayage de 20 jours, soit 480 heures, du lundi 17 au vendredi 21 février 2020, du lundi 24 au vendredi 28 février 2020, du lundi 2 au vendredi 6 mars 2020 et du lundi 9 au vendredi 13 mars 2020.

« Aujourd’hui, nous demandons l’application d’une loi. Cela n’a rien à avoir avec une quelconque trêve sociale. Cet appel du Président ne nous concerne pas. Nous ne sommes pas en revendication, nous demandons simplement l’application d’une loi », déclare Adama Fomba, porte-parole de ces syndicats.

Les travailleurs des collectivités territoriales menacent également de se faire entendre par une grève de 5 jours, à partir du 24 février prochain, si leurs doléances ne sont pas satisfaites. Et, dans un préavis en date du 6 février 2020, le Syndicat national des travailleurs des collectivités territoriales du cadre de l’administration générale (SYNTRACT) exige l’amélioration des conditions de vie et de travail des agents, évoquant 13 mois d’arriérés de salaires à la date du 31 janvier 2020.

De leur côté, les agents financiers de l’État, regroupés dans la Coordination des comités syndicaux des DAF, des DRH, des CPS et des DFM de la Primature et des départements ministériels, sont aussi mécontents et envisagent d’observer 19 jours de grèves, du lundi 2 mars 2020 à 7h30 au vendredi 20 mars à 18h, pour la non relecture des décrets N°2018-0451/P-RM du 5 juillet 2018 et N°2018-0653/P-RM du 8 août 2018,  dont ils réclament l’élargissement en intégralité à leurs corps.

Et suite aux échecs des négociations avec le gouvernement, le Syndicat national des chauffeurs et conducteurs routiers du Mali (SYNACOR) a également maintenu son mot d’ordre de grève de 72h, du 19 au 22 février, sur toute l’étendue du territoire, réclamant entre autres le respect de l’arrêté N°006/M6-DB portant régularisation de la circulation et du stationnement des gros porteurs dans le District de Bamako, la protection des personnes et de leurs biens par l’aménagement de parkings de stationnement des gros porteurs aux frontières du Mali et la création de conditions d’accessibilité des chauffeurs aux logements sociaux.

Des préalables fondamentaux

Si la demande de trêve du Président de la République ne semble pas pour l’heure freiner les syndicats et créer des conditions d’apaisement du climat social, cela est dû à plusieurs facteurs.

« Je pense qu’il y a un préalable à remplir. C’est d’appeler les partenaires pour que chacun étale ses préoccupations. En fonction des échanges, on pourra aboutir à une trêve ou non. Mais il est fondamental que cette première rencontre ait lieu », dit Hamadoun Amion Guindo, Secrétaire général de la Confédération syndicale des travailleurs du Mali (CSTM).

« Il ne s’agit pas d’accepter ou de rejeter la demande du Président de la République. Il faut un cadre formel d’échanges. On n’annonce pas une trêve sur une antenne sachant qu’il y a beaucoup de demandes sur la table du gouvernement non satisfaites.  L’approche choisie n’est pas la meilleure », ajoute-t-il.

À l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), dans un communiqué daté du 6 janvier 2020, la centrale s’est dite disposée à observer une trêve pour permettre à l’État de faire face aux exigences de mise en condition des forces de défense nationale, dans l’intérêt suprême du peuple malien. Mais elle n’a pas manqué de poser certaines conditions.

« Accepter une telle trêve suppose évidemment une trêve aussi dans la violation des droits et des libertés reconnus aux citoyens, dont la liberté syndicale, le droit à un emploi, à une vie matérielle et morale décentes. Elle signifie aussi une trêve au train de vie ostentatoire de l’État, d’une catégorie de citoyens, et non l’acceptation vile des injustices sociales, des inégalités et discriminations ».

À en croire Karimou Diarra dit Togola, 1er adjoint au Secrétaire général de l’UNTM, si les mouvements continuent, cela s’explique par deux faits principaux. « D’abord, la trêve ne veut pas dire un arrêt total des activités syndicales et la renonciation totale à l’ensemble des acquis. Ensuite, bien souvent l’État ne respecte pas certains de ses engagements. Il y a des acquis qui ne nécessitent pas forcément des décaissements financiers, mais qui ne sont pas respectés ».

Une pacification durable ?

« La demande du Président de la République est un appui de taille à un programme de travail du département. Il s’agit de la Stratégie de pacification durable du climat social. L’exécution de cette stratégie, qui se fait de concert avec les partenaires sociaux, a déjà commencé », assure Mamadou Konaté, Conseiller technique au ministère du Dialogue social, du travail et de la fonction publique.

Selon lui, après la non tenue du Dialogue social en 2018 et de la Conférence sociale en janvier 2019, qui a également avorté à cause du calendrier du gouvernement, notamment la tenue du référendum, et du fait qu’il fallait avoir l’adhésion de toutes les parties prenantes, les préparatifs pour la tenue de cette conférence ont à nouveau repris, mais cette fois-ci dans un cadre plus global.

« Une trêve ne se décrète pas, elle se négocie. Elle passe par un processus qui peut prendre du temps »,  conclut M. Konaté.

 

 Quelques dates et Chiffres 

31 décembre 2019 : Proposition de trêve sociale faite par le Président IBK

6 janvier 2020 : Communiqué de l’UNTM acceptant la proposition de trêve, mais sous certaines conditions

20 : Nombre de jours de grève annoncé par les syndicats de l’éducation signataires du 15 octobre 2016

: Nombre de jours de grève annoncés par le SYNTRACT

3 : Nombre de jours de grève annoncés par le SYNACOR

19 : Nombre de jours de grève annoncés par la Coordination des comités syndicaux de la DAF, des DRH, des CPS et des DFM de la Primature et des départements ministériels

24% : Pourcentage du budget national consacré à l’investissement dans la guerre

Germain KENOUVI