Départs conseillés : Quand la crise énergétique ravive les alertes sécuritaires

Depuis la fin octobre, plusieurs chancelleries occidentales ont recommandé à leurs ressortissants de quitter le Mali, sur fond de pénurie de carburant, d’attaques contre les convois et d’instabilité sécuritaire accrue. Ces avertissements traduisent une inquiétude grandissante quant à la capacité des autorités à sécuriser les corridors logistiques et à stabiliser la distribution d’hydrocarbures.

L’ambassade des États-Unis a été la première à conseiller à ses citoyens de quitter le pays tant que l’aéroport international reste ouvert, estimant les routes terrestres dangereuses en raison des attaques terroristes. Le Royaume-Uni a tenu le même discours, appelant ses ressortissants à partir « dès que possible par vol commercial s’ils jugent cela sûr ». L’Allemagne et l’Italie ont à leur tour lancé des appels similaires, évoquant une situation devenue imprévisible sur les grands axes routiers. Le Canada a averti que ses services consulaires pourraient être limités si la situation venait à se dégrader, tandis que l’Australie déconseille tout déplacement et demande à ses ressortissants de quitter le territoire sans délai. Selon plusieurs sources de sécurité, les appels au départ concernent principalement les diplomates, les travailleurs humanitaires et les employés d’entreprises étrangères opérant dans les secteurs minier ou énergétique. Des dispositifs d’évacuation préventifs ont été élaborés dans certaines ambassades, notamment à travers des points de regroupement proches de l’aéroport international Modibo Keïta Sénou.

Ces mises en garde s’inscrivent dans un contexte de crise énergétique profonde. Depuis septembre, les attaques répétées contre les camions citernes en provenance du Sénégal, de la Côte d’Ivoire et du Niger ont gravement perturbé l’approvisionnement national. Des centaines de véhicules ont été détruits ou saisis, provoquant une pénurie de carburant qui paralyse de nombreux secteurs à Bamako et dans les capitales régionales. Les transports publics tournent au ralenti, les écoles ont suspendu les cours et les files interminables dans les stations-service traduisent l’ampleur de la tension.

Les ports d’Abidjan, Dakar et Conakry constituent aujourd’hui les principales voies d’approvisionnement du Mali en hydrocarbures. Leur blocage partiel ou la destruction des camions sur ces corridors a réduit de près de 60% les livraisons depuis septembre, selon des estimations d’opérateurs du secteur. L’acheminement depuis la frontière nigérienne via Labbezanga est l’un des rares circuits encore partiellement opérationnels sous escorte militaire.

Asphyxie économique

Pour le chercheur Bakary Sambe, Directeur du Timbuktu Institute, ces actions s’inscrivent dans une logique « d’asphyxie économique » menée par la filiale sahélienne d’Al-Qaïda, à savoir le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM). Selon lui, le mouvement ne cherche pas un assaut frontal contre la capitale, mais une déstabilisation progressive du pays par l’étouffement des circuits d’approvisionnement et la fragilisation des institutions. Cette stratégie, explique-t-il, vise à provoquer un effondrement intérieur, à affaiblir la confiance du public et à créer un climat de découragement économique.

Ces attaques ont aussi visé plusieurs sites industriels et miniers, notamment dans la région de Kayes où des ingénieurs indiens et chinois ont été enlevés depuis le milieu de 2025. Le GSIM, selon des observateurs, cherche à prouver sa capacité à perturber les flux économiques tout en évitant l’affrontement direct avec les forces armées.

L’expert malien Aly Tounkara, du Centre des Études Sécuritaires et Stratégiques au Sahel (CE3S), nuance ces perceptions et juge hâtifs les appels au départ de certaines chancelleries. Il estime qu’il serait abusif de comparer la situation malienne à celle de la Syrie, soulignant la présence militaire accrue sur le territoire, les efforts d’équipement des forces armées et la résilience des populations. Pour lui, « les vrais amis d’un pays se comptent dans les moments de crise aiguë » et les États qui ont les moyens d’évacuer leurs ressortissants devraient plutôt contribuer à la stabilisation.

Prévention

Ces décisions diplomatiques, bien que préventives, interviennent à un moment où les autorités annoncent de nouvelles opérations de sécurisation des axes stratégiques et d’escorte des convois d’hydrocarbures. Mais la multiplication des alertes internationales relayées par les grandes capitales occidentales accentue la pression sur un gouvernement déjà confronté à une double crise énergétique et sécuritaire.

À mesure que les stocks diminuent et que les routes demeurent sous menace, la priorité est de garantir la continuité de l’approvisionnement tout en préservant la confiance interne et externe. En effet, au-delà des départs conseillés, c’est l’image d’un pays en quête d’équilibre entre souveraineté et vulnérabilité qui se joue désormais sur le terrain.

Massiré Diop

Guerre israélo-iranienne : La fragilité des alliances face à la Realpolitik

La récente escalade militaire entre Israël et l’Iran dévoile la volatilité des alliances internationales et les limites de la dépendance sécuritaire. Dans un monde où les intérêts priment sur les engagements, chaque État doit repenser sa stratégie pour garantir sa souveraineté.

Depuis le 13 juin 2025, l’Opération Rising Lion, menée par Israël contre plusieurs sites nucléaires et infrastructures stratégiques en Iran, a bouleversé l’équilibre régional. Près de 224 morts et plus de 1 200 blessés, selon les autorités iraniennes, témoignent de la violence de cette offensive, assumée publiquement par le Premier ministre israélien Netanyahu. Si l’appui discret des États-Unis à Israël a évité une riposte directe contre les forces américaines, il a paradoxalement renforcé la cohésion autour du régime iranien, loin d’isoler Téhéran sur la scène internationale. Ce raid, l’un des plus importants depuis l’attaque iranienne par drones du 13 avril dernier, vise selon Tel-Aviv à prévenir un réarmement stratégique de son principal ennemi régional.

Cette séquence révèle la fragilité des alliances traditionnelles. La Russie, tout en dénonçant les frappes israéliennes comme « illégales », propose une médiation sans véritable engagement, illustrant la prudence de Moscou à s’impliquer dans un conflit qui pourrait menacer ses propres intérêts. Les États du Sahel, récemment tournés vers la Russie pour compenser le retrait occidental, découvrent que ces partenariats restent conditionnés et instables. La Realpolitik domine, dans la mesure où les alliances se font et se défont au gré des rapports de force et des intérêts immédiats.

Les États-Unis, convaincus de la faiblesse stratégique de l’Iran, soutiennent l’offensive israélienne, mais ce calcul pourrait se retourner contre eux. La réaction iranienne, marquée par une résistance farouche et la menace d’un réarmement nucléaire, montre que la pression extérieure peut parfois renforcer la détermination d’un régime plutôt que le fragiliser. En Israël, la dimension politique interne n’est pas absente, dans la mesure où la gestion de la crise sert aussi à consolider le pouvoir de Netanyahu face à ses détracteurs.

La leçon pour les États tiers, notamment au Sahel, est limpide. En effet, la sécurité ne s’achète pas sur étagère et ne se délègue pas sans risques. Miser sur des alliances extérieures sans investir dans ses propres capacités revient à s’exposer à l’imprévisible. Dans un monde multipolaire, la souveraineté et l’autonomie stratégique restent les meilleurs remparts contre l’instabilité et la dépendance. C’est aussi un avertissement pour d’autres régions en crise.