Aoua Keita : une pionnière de la lutte pour l’indépendance du Mali

Première femme député du Mali, Aoua Keita, aujourd’hui disparue, est l’une des pionnières de la lutte pour l’indépendance du Mali. Membre de l’USRDA, l’Union Soudanaise du Rassemblement démocratique Africain, le parti de Feu Modibo Keita, cette femme née en 1912, à  Bamako, reste dans l’imaginaire collectif, l’une des femmes politiques maliennes les plus exemplaires en cinquante ans d’indépendance. Sage femme puis militante syndicale Son militantisme politique commence d’abord par le syndical. Elle l’exercera au Syndicat des Travailleurs du Soudan dans les années 50… Engagée dans l’indépendance du Soudan Français, Aoua Keita, rejoindra l’USRDA, le parti de Modibo Keita, en 1946, elle y sera d’ailleurs l’une des rares femmes qui en gravira les échelons pour être nommée membre du Comité Constitutionnel, puis députée en 1959 ; Une première dans les années post indépendances. Ensuite, Aoua Keita, s’engagera alors pour la cause des femmes et publiera un ouvrage « Femmes d’Afrique en 1975 et qui relate sa propre vie, racontée par elle-même. Aujourd’hui, elle représente une figure de proue du combat féministe, à  côté des Sira Diop ou Bintou Sanankoua, autre femme député du Mali Une tête bien faite Née en 1912 à  Bamako, Aoua Kéita est la fille d’un militaire originaire de Kouroussa (Guinée). Après des études primaires à  l’école des filles et Foyers de métisses, dans les années 20, Aoua Keita, poursuit des études à  l’école de Médecine et de Pharmacie de Dakar et obtient un diplôme de sage-femme, puis exercera à  Gao, en 5è région du Mali. En 1935, elle épouse M. Diawara, un médecin dont elle se sépare ultérieurement. Mais ce dernier l’encouragera dans ses actions politiques. De lui, elle dira dans son ouvrage :  » qu’il l’a toujours considéré comme son égale » et ce jeune médecin prenait plaisir à  partager ses idées politiques avec sa femme. En 1945, le couple s’engage dans l’Union Soudanaise – Rassemblement Démocratique Africain (USRDA) et bien qu’Aoua ne participe pas aux réunions qui, dit-elle, « se passaient alors entre hommes » (p.50), elle est régulièrement informée de ce qui se passe par son époux. Malheureusement, cette Union ne tiendra pas, faute d’enfants, Aoua Keita sera contrainte de quitter son mari. Militante progressiste et féminine « Les idées progressistes d’Aoua Kéita, ses opinions politiques et ses activités ne sont pas uniquement combattues par une élite politico-traditionnelle dominée par les hommes : il y a aussi de nombreuses femmes qui ne partagent pas ses vues et refusent d’embrasser les changements sociaux qu’elle préconise. Sa propre mère, par exemple, trouve non seulement que c’est « un scandale d’envoyer une fille en classe » (p.24) mais l’idée qu’Aoua puisse partir travailler seule à  Gao après avoir obtenu son diplôme d’infirmière, plutôt que de se marier, lui semble tout aussi déraisonnable. De même, les sages-femmes traditionnelles trouvent contraire à  leur déontologie de partager avec une jeune femme célibataire et sans enfants, un savoir qui se transmet traditionnellement de mère en fille. De plus, les associations féminines mises sur pied pour améliorer la condition féminine n’ont pas toujours les résultats escomptés. A preuve l’Intersyndicat des femmes travailleuses créé en 1957. Cette association ayant pour but de rassembler des femmes travaillant dans différents secteurs commerciaux et administratifs cherchait à  renforcer le pouvoir de ses membres mais d’habiles manœuvres permirent aux forces conservatrices d’en faire un élément de discorde entre la petite élite lettrée de Bamako et toutes les femmes qui n’avaient pas été invitées à  participer – c’est à  dire le 98%, celles qui ne savaient ni lire ni écrire. Contrairement à  ce qu’Aoua Kéita pensait, de très nombreuses femmes ne considéraient pas que les connaissances et manières de faire héritées du colonisateur – une structure politique rigide et la rédaction de procès-verbaux par exemple – étaient des éléments essentiels à  un développement harmonieux du RDA et des organisations féminines qui lui étaient affiliées. Comme le soulignait une militante lors d’une séance organisée par Aoua : « Nous te remercions pour tes femmes lettrées dont nous ne savons que faire. Elles se sont toujours mises à  l’écart, elles n’ont jamais voulu participer aux activités politiques. Pendant dix ans nous avons travaillé sans elles et leur absence ne nous a pas empêché d’avancer… ce que tu as en tête sera difficile à  réaliser ici. » (p.380). Mais Aoua Kéita n’était pas femme à  se décourager facilement et elle était convaincue que seule une solidarité féminine bien structurée et pérennisée par le RDA pouvait conduire à  des changements durables. C’est à  cette tâche qu’elle s’attela après avoir été élue Députée en 1959″, écrit l’universitaire Jean Marie Volet à  propos d’elle ». Envol politique Dès 1946, Aoua Keita milite dans les rangs du Rassemblement Démocratique Africain (RDA) qui a des ramifications dans toutes les colonies françaises de l’Afrique. Mutée à  Gao en 1950, elle renonce l’année suivante à  la citoyenneté française et prend une part active dans l’organisation des élections de 1951: à  la veille des élections, les fonctionnaires de la région de Gao militant dans le RDA ayant tous été mutés, Aoua Kéita, qui a échappé à  cette purge, joue un rôle prépondérant dans le succès remporté aux urnes par le RDA. Cela lui vaut d’être mutée à  son tour, pour raisons disciplinaires. Elle est envoyée successivement à  Bignona (Casamance) au Sénégal, à  Nara puis à  la maternité de Keti, près de Bamako, o๠elle fonde un Mouvement intersyndical féminin qu’elle représente en 1957 au Congrès constitutif de l’Union générale des travailleurs de l’Afrique noire. Membre de l’USRDA, lutte pour l’indépendance En 1958, elle est élue au Bureau politique de l’Union soudanaise du RDA dont elle est la seule femme. La même année, à  l’issue du référendum du 28 septembre, elle est nommée membre du Comité constitutionnel de la République soudanaise. En 1959 elle est élue député aux élections législatives et joue un rôle politique de premier plan jusqu’à  la chute de Modibo Kéita. Aoua Kéita a été honorée de plusieurs distinctions: Médaille d’or de l’indépendance du Mali, Ordre de la Perfection de la R.A.U., Mérite de la Croix-Rouge de l’Empire de l’Ethiopie; de plus elle a été élevée au rang de Grand Officier de l’Ordre National du Sénégal, de Grand Commandeur de l’Ordre de l’étoile d’Afrique du Libéria et d’Officier de l’Ordre National du Dahomey. Exil au Congo-Brazaville « L’autobiographie d’Aoua Kéita s’achève en 1960, au moment de l’accession du Mali à  l’indépendance. Toutefois, comme le dit l’auteure en guise de conclusion, si « l’indépendance politique fut le grand couronnement de nos efforts et des sacrifices de nos martyrs… la lutte n’était pas terminée pour autant. Elle continue et continuera encore longtemps pour la liberté, la démocratie et la paix universelle » (p.395). Malheureusement, le premier président malien, Modibo Kéita, ne réussit pas à  faire de la nouvelle République du Mali un paradis démocratique et son gouvernement autocratique fut renversé par un coup d’état militaire en 1968. Cela marqua la fin définitive de la carrière politique d’Aoua Kéita qui rejoignit son second mari au Congo Brazzaville en 1970 et ne rentra au Mali qu’en 1979, un an avant son décès à  l’âge de 67 ans. Elle s’éteint le 7 Mai 1980 à  Bamako. Une fin de parcours contrastant avec les espoirs de sa jeunesse et son engagement indéfectible au service de son pays ? Peut-être; mais aussi un exemple et une source d’inspiration pour les maliennes d’aujourd’hui qui, comme Aminata Traoré[1], continuent à  se battre avec courage et détermination contre les inégalités et les injustices qui renaissent de leurs cendres génération après génération », poursuit Volet. D’Aoua Keita, il restera cet ouvrage publié en 1975, et intitulé «Femme d Afrique : La vie d’Aoua Kéà¯ta racontée par elle même ». Sources : http://aflit.arts.uwa.edu.au/reviewfr_keita09.html www.africansuccess.org/