« L’Afrique des laïcités », vue par Naffet Keita

L’ouvrage « l’Afrique des laà¯cités », Etat, religion et pouvoirs religion au Sud du Sahara » coédité par les éditions Tombouctou et l’IRD, l’Institut de recherche et de développement, a été codirigé par deux experts. Gilles Holder et Moussa Sow, qui ont édité plusieurs écrivains, et universitaires pour évoquer le concept de laà¯cité en Afrique, plus particulièrement en Afrique Subsaharienne, au Burkina, en Côte d’Ivoire ou au Sénégal. Naffet Keita, enseignant d’unversité à  Bamako, est l’un d’eux. Entretien. Journaldumali.com : Quelle est la genèse de cet ouvrage collectif auquel vous participez professeur ? Naffet Keita : Cet ouvrage est le fruit de plusieurs énergies, et de plusieurs rencontres. Gilles Holder dirigeait un programme de l’IRD sur l’Afrique des religions et lors d’un séjour au Mali, il nous a contactés pour savoir si on pouvait engager une réflexion commune sur la religion. Avec des collègues sénégalais, burkinabè, ivoiriens et d’autres pays africains, nous avons eu à  organiser un colloque en 2010 et cet ouvrage est la réunion de plusieurs contributions issues de ce colloque. Vous diriez qu’il y a une laà¯cité ou des laà¯cités en Afrique ? L’Afrique est diverse et le Mali l’est tout autant. Mais quand on parle de laà¯cité en Afrique, c’est plutôt au niveau de l’Etat et des religions et à  ce niveau, on feint d’ignorer les religions du terroir. Chacun de ces pratiquants de ces religions du terroir adopte une posture en rapport avec l’Etat ou commerce avec l’état. Idem pour toutes les religions révélées qui essaient d’adopter une forme de commerce avec l’Etat. C’’est au détour de ces relations là  que la laà¯cité, se décline, soit au singulier ou soit au pluriel. Les exemples divergent selon les pays, mais au Mali, on sent depuis l’épisode du Code de la famille une montée en puissance du religieux dans la sphère politique ? En réalité, le religieux s’est toujours manifesté dans l’espace public malien, l’un des premiers mouvements religieux que l’Etat a eu à  interdire était celui des Wahhabites, qui a occasionné de nombreux conflits fratricides entre Maliens, je prends l’exemple de la ville de Nioro du Sahel, o๠les wahhabites se sont affrontés aux malékites, avec mort d’hommes et jusqu’ à  présent, ces traces là  restent entre grandes familles, qui ne se fréquentent plus. Mais lorsqu’on regarde le rapport entre les religieux et l’Etat ces 40 dernières années, C’’est l’Etat qui a été à  la base de la réunion des différents courants religieux en un seul front. Le Haut conseil islamique découle notamment de la volonté politique de l’Etat. Donc l’Etat a de tout temps cherché à  gérer la sphère religieuse, malheureusement, ces derniers temps, le religieux a essayé de prendre une distance avec la chose politique. Ce qui a eu pour effet de dénaturer le fond laà¯c du Mali. Cette implication croissante des religieux ne découle t-elle pas du manque d’éducation, cela ne joue t-il pas sur la laà¯cité en question ? Ce n’est pas fondamentalement la question de l’éducation à  mon sens, mais plutôt la culture de l’Etat. Dans ces pays, nombre de Maliens sont dans la posture de l’Etat providence et lorsqu’il y a rupture, la seule ressource devient la religion. Mais face aux divergences entre religieux avec l’islam wahhabite dirigé par des lettrés en arabe contre un islam malékite beaucoup plus dominé par l’islam confrérique, avec les prêches populaires, les rapports entre marabouts et individus, on voit que C’’est plutôt l’influence wahhabite qui prévaut. Le Maroc va former 500 imams maliens aux rites malékites dans le sens d’un islam plus modéré face au fondamentaliste religieux qui gagne dans notre pays, est-ce parce que la laà¯cité a fait défaut au plan politique ? Je ne questionnerai pas l’intégrisme religieux, mais je préfère m’en référer à  l’épisode du code de la famille et des personnes, lorsqu’un imam de Kati s’est insurgé contre la posture du Haut conseil islamique et qu’il a été banni de la communauté religieuse et qu’aucun imam, aucun musulman, ni membre de la classe politique, n’ait eu à  dire un mot, en réalité, le ver était déjà  dans le fruit. Qu’espérez-vous de cet ouvrage, Cet ouvrage va davantage éclairer les Maliens sur ce qu’est la laà¯cité, comment elle se pratique sous d’autres cieux et pas seulement au Mali. J’ai pour ma part signé un texte dont le titre est assez provocateur : « Les forces religieuses musulmanes et le débat politique en République laà¯que » et je suis parti des lieux communs et des différentes incursions du religieux dans l’espace public, pour montrer que C’’était à  ce moment là , qu’il fallait tirer la sonnette d’alarme et dire qu’un changement était entrain de s’opérer mais nous n’avons pas été écoutés. Peut-on espérer une laà¯cité totale au Mali, en vertu des ces influences religieuses ? En réalité la laà¯cité est fondamentalement une forme d’organisation de l’Etat et la religion en tant que pratique collective, relève fondamentalement d’une affaire individuelle. Donc, de ce point vue, la religion ou les religions quelque soit la pratique démocratique d’une majorité, ne pourraient s’imposer à  d’autres. Parce que la religion qui voudrait s’imposer à  d’autres, n’est pas celle pratiquée par tous les Maliens. On doit respecter la religion des autres. Les protestants, les catholiques, les religions du terroir. Parce qu’en faisant le tour de chaque rond point, on se rendra compte que notre islam en Afrique est en réalité beaucoup plus syncrétique qu’il n’est postulé.