Société : ces enfants nés le vendredi

La naissance représente dans la vie du couple un moment unique, em-preint d’une très forte charge affective et émotionnelle. Souvent, elle est l’occasion de raviver et de resserrer les liens au sein de la famille étendue, au-delà  du seul couple. Dans les sociétés africaines, le jour de la naissance occupe encore une place primordiale au sein de la société. Chaque jour de la semaine secrète son enfant avec sa personnalité propre. Il en de même de chaque mois et de chaque année. Selon le jour de la naissance, la personnalité, les chances de succès dans la vie se déterminent. Pendant des siècles dans le Mali des empires du Ghana, Mali, Songhoy et des royaumes, Ségou, Macina, Kaarta, Sikasso etc…, les croyances culturelles divisaient la semaine en trois jours fastes et quatre jours néfastes. Les trois jours fastes étaient le dimanche, le lundi et le mardi. Les quatre jours moins chanceux étaient le mercredi, le jeudi, le vendredi, le samedi, selon les témoignages du sociologue Facoh Diarra. Le jour crucial était le jeudi. Il était retenu pour procéder aux festivités de circoncision des adolescents du même groupe d’âge. Dans l’imaginaire collectif de l’époque le jeudi était favorable pour verser le sang et célébrer les rites d’initiation des jeunes aux secrets de la nature et de la vie en communauté. Naturellement le jour qui suit le jeudi est le vendredi. Avant l’arrivée de l’Islam ce jour était craint pour les manifestations extraordinaires de la malédiction qui frappait les entreprises humaines au cours de son déroulement. Les prières étaient refusées par les esprits et l’échec couronnait les actions projetées. La hantise des parents était de ne pas enregistrer de naissance ce jour fatidique. l’opinion croyait dur comme fer que l’enfant qui naà®t dans le vendredi est marqué par une sorte de signe indien. Il ne fait rien comme les autres. Aujourd’hui encore dans le Mali moderne, certaines mères sont convaincues que leur enfant né un vendredi est particulier au sein de leur progéniture. Le témoignage de Mme Fanta Diallo est éloquent à  ce sujet.  » Mon deuxième garçon est né un vendredi. Dès qu’il est arrivé au monde, après la première toilette, il a attrapé une forte fièvre qui a duré toute une semaine. Il pleurait jour et nuit sans arrêt. Toute la première journée le bébé a refusé le sein. Ses aà®nés au contraire se jetaient littéralement sur le sein. Au fur des années J’ai constaté que ce fiston avait la tête dure. Il conteste tout et se soumet difficilement à  l’autorité de ses aà®nés ». Le couple Diallo continue toujours à  accorder une attention particulière à  « leur garçon du vendredi » qui se révèle très intelligent. Dans toutes les familles africaines l’avenir des enfants nés le vendredi préoccupe les parents. La société traditionnelle avait des antidotes pour contrecarrer le mauvais sort qui les frappe. Ainsi des sacrifices de sang, de cola, des décoction d’écorces de tronc d’arbres, amulettes et des incantations diverses auraient le pouvoir d’éloigner la guigne des enfants du vendredi. Les préjugés sont tellement fortement ancrés dans les esprits que beaucoup de parents refusent même de faire leur baptême si ce jour heureux tombe sur le vendredi. bien accueilli. Les Maliens sont généralement réceptifs à  certaines croyances anciennes. Les préjugés qui entourent les enfants nés le vendredi colportent que « l’enfant du vendredi » ne grandit pas au milieu de ses deux parents génitaux. La vieille Mamou Sacko soutient que cet enfant perd un de ces parents ou les deux pour cause de divorce ou de décès. Elle raconte que dans son village d’origine « la tradition recommande au père, après la naissance de l’enfant du vendredi, sans qu’on dise la raison, de faire des sacrifices. Le père doit donner en aumône les habits qu’il portait le jour de la naissance, ou l’équivalent en or ou en argent du poids des cheveux de l’enfant à  sa naissance. Les parents sont contraints aussi de faire d’autres sacrifices selon leurs moyens. l’enfant, quand il sera adulte, fera des sacrifices », a expliqué le sociologue Baye Coulibaly. Dans certaines sociétés le baptême de  » l’enfant particulier » est fait sans manifestations de joie contrairement à  celui des autres enfants. Le temps fait toujours son effet sur les mentalités. La pénétration des idées islamiques sur nos terres a introduit des valeurs positives musulmanes. Le vendredi est béni dans l’Islam, le vendredi est saint. C’’est le jour de la grande prière hebdomadaire qui regroupe tous les fidèles dans la joie, dans la foi, dans la piété. Au cours de ce jour, le malheur ne peut tomber sur la tête des bébés qui arrivent au monde. Les valeurs musulmanes ayant balayé les croyances fétichistes traditionnelles, l’enfant du vendredi est désormais bien accueilli dans les familles devenues musulmanes. Les prénoms « Guediouma » C’’est -à  -dire « né un vendredi » chez les bamanan, « Al diouma » chez les peuls, « Porpio » chez l’ethnie mianka , « Adiouma » chez les dogons, ont un caractère inter-ethnique. Mais il faut reconnaà®tre que l’influence a été vraiment imposée avec l’arrivée de l’islam dans nos pratiques anciennes. l’itinéraire de ce périple est bien connu, il a été minutieusement reconstitué et transmis grâce aux dépositaires de la tradition. Il regroupe en fait les acteurs traditionnels tels que (griots, notables, Ulémas, chefs traditionnels, associations diverses. De nos jours, dans le subconscient de l’imaginaire populaire, un enfant né le vendredi est un enfant béni, mais il est toujours réputé drainer dans son sillage une cohorte de problèmes. Le vendredi dans le calendrier musulman est un jour béni de Dieu, un jour de clémence et de miséricordieux, selon Yaya Haà¯dara, maà®tre d’une école franco-arabe de Daoudabougou. l’idée dans le contexte actuel est purement religieuse. Dans l’islam le vendredi est le jour de la congrégation. Il a été prédestiné pour la fin du monde. C’’est un jour spécial et de contraste souligne le maà®tre coranique. Le maà®tre Yaya Haà¯dara soutient que quand le père de l’enfant né le vendredi apprend la nouvelle, il doit aussitôt faire un sacrifice selon ses moyens, lié à  la sainteté de cette journée, mais aussi pour amoindrir un peu la « lourdeur » des signes astrologiques qui se manifestent au cours de la journée. Mais après la prière du vendredi les présages redeviennent normaux. La réalité culturelle est fluctuante à  cause des nouvelles idées reçues d’ailleurs. Le « vendredi noir » des temps fétichistes anciens est devenu « le vendredi saint » de l’ère islamique explique le Pr Facoh Diarra. La vérité d’hier est devenue un mensonge d’aujourd’hui, parce que la vérité est relative. Il faut situer les choses dans leur contexte. Aujourd’hui tous les jours sont favorables à  la naissance. Aucune auréole noire ne ceint désormais la tête des « enfants du vendredi ». Ce changement de mentalité est du aux effets de la modernisation et de l’ouverture de toutes les civilisations du monde les unes aux autres.

Chronique du vendredi : Quel bilan pour cinquante ans de culture ?

On parle donc de cultures. Et d’emblée, on peut dire que premier grand résultat de notre politique culturelle, en dépit des oscillations, C’’est bien d’avoir protégé cette diversité, même quand l’Etat central se heurtait à  ce qui, à  l’époque, était qualifié d’irrédentisme et non d’aspiration à  la décentralisation. Les semaines de la jeunesse ou les biennales artistiques étaient, avec les internats des écoles, le creuset d’une nation nouvelle unie et diverse mais dont la diversité ne contrariait pas l’unité. En soi, cette idéologie du brassage n’a pas rencontré d’obstacles. La preuve se trouve un peu dans le mouvement d’ensemble auquel la jeunesse était si fière de participer sous la direction de Mani Djénépo, une des illustrations imposantes d’une époque admirablement volontariste avec des produits emblématiques. Banzoumana Cissoko, Fanta Damba, Mokhontafé Sacko et l’inusable Tata Bambo, entre autres, tous tendus vers le seul rayonnement du Mali, complices conscients ou involontaires d’un leadership qui comprenait bien le rôle de levain de la culture pour une nation en construction. Le changement de régime à  partir de 1968 ne mettra pas en cause les grands équilibres mais les semaines de la jeunesse feront place aux biennales artistiques culturelles et sportives. La période produira ses icônes même s’ils seront le produit du show-biz en balbutiement que les bébés-éprouvettes des labos d’Etat. C’’est durant aussi cette ère de parti unique que l’ensemble instrumental national et les ballets nationaux connaà®tront leur apogée mais aussi leur déclin. Vingt trois ans, il faut le dire, peuvent avoir raison de toute forme de résilience quels que furent les dédicaces de grands patriotes comme Massamou Wélé Diallo ou Harouna Barry. On déplorera aussi de cette période, la carence d’une politique du livre de la part de l’Etat. N’eut été la résistance d’un noyau d’intellectuels autour de la coopérative Jamana, l’édition aurait été un trou noir. Le péril sera-t-il conjuré plus tard, avec l’avènement de la période démocratique ? Ni pour la musique, ni pour le livre, on ne peut se prosterner devant les réalisations de l’Etat. La vague pluraliste qui balaya l’Afrique dans les années 1990 avait tracé ses grandes orientations et ses conditionnalités. l’Etat organise et régule, mais il laisse libre cours à  l’initiative privée et à  la loi du show-biz. Couveuse et pouponnière de temps à  autre, mais pas question d’être un auspice. Evidemment, la stratégie ne manquera pas de résultat. Les plus grands ambassadeurs de notre pays datent de cette période libérale. La création artistique, notamment musicale, est sans commune mesure avec le passé. La stylisation de notre art, encore perfectible, est lancée. Nous dansons de plus en plus « malien » dans les night-clubs. Quatre Grammys, Ali Farka deux fois, Toumani Diabaté, Mamadou Diabaté, un Salif Keita au sommet de son art et de la célébrité, Oumou Sangaré qui est peut-être la femme du cinquantenaire, Amadou et Mariam, Rokia Traoré, la liste est loin d’être close, sont autant d’astres qui défendent les couleurs nationales. Mais qui doivent tout à  eux-mêmes, au flair des managers et à  l’audience captive d’une Word Music qui, ceux qui la dénoncent ont raison – peut conduire à  la désincarnation des cultures nationales. l’apport de l’Etat est donc de savoir organiser la résistance sociale, imposer « l’exception culturelle ». Le choc entre l’individu et la collectivité, en somme. La partie n’est pas gagnée, ne nous leurrons pas. Top Etoiles et Maxi Vacances ne sont pas des digues suffisantes à  cet égard. Surtout, si pour plaire, elles doivent reproduire la gestuelle du coupé-décalé, les singeries du dombolo ou les saccades étranglées du hip-hop. La culture est le levain de la nation. Et pour la nation, le rendez-vous avec le journal télévisé national doit être un grand moment. Or C’’est le moment que choisit notre jeunesse pour zapper sur Trace TV. C’’est tout dire.