Veuves de militaires : La difficile reconstruction

 

Ils ont fait don de leurs vies à la défense du pays. D’eux, on ne retient le plus souvent que des chiffres, et, dans le meilleur des cas, leurs noms et les honneurs les accompagnant dans leur ultime voyage. Eux, ce sont aussi des pères, des maris, des fils, des frères, qui laissent derrière eux une famille éplorée. Comment vivent ces veuves, qui, toute jeunes, pour la plupart se sont vu arracher leurs maris à leur affection, ont vu leurs enfants privés de père et leurs lits vides et froids. Nous avons choisi de vous raconter l’histoire de l’une d’entre elles, qui a connu le sinistre de la perte et des lendemains difficiles, avec comme appui le seul soutien de ses proches, qui lui permet de tenir.

« Je vais au poste. Je ne suis pas de service, mais l’un de mes jeunes effectue son dernier jour aujourd’hui. Je vais lui tenir compagnie… Un ami m’accompagne…  Attends, j’aperçois des personnes sur une moto qui foncent sur nous. Je pense que ce sont eux. Raccroche, je te rappelle ». Intriguée, elle s’empresse de demander « eux qui ? ». Trop tard, la liaison est coupée. Elle ne sera plus jamais rétablie. Ceci est la retranscription d’une conversation téléphonique entre le sergent-chef Salif Diatigui Koné, en poste à Ménaka, et son épouse, le 30 juin 2016. La dernière. Il était 19 heures au moment où des assaillants firent feu à plusieurs reprises sur Koné et son ami. Son épouse, inquiète, ne cessera de le rappeler, sans réponse. Se refusant toutefois à céder à la fatalité, elle gardera espoir, croyant en la bonne étoile de son époux. Deux fois par le passé déjà il avait été fait prisonnier par les djihadistes, avant d’être à chaque fois libéré sans une égratignure. « Je n’ai pas pensé une seule seconde que c’était une attaque, et qui plus est qu’il y laisserait la vie », avoue-t-elle. Ce n’est que le lendemain, après avoir reçu un appel de son beau-frère, qu’elle apprend la terrible nouvelle. Son mari, avec qui elle a trois enfants, venait de tomber au front à 33 ans.

Sombres lendemains

Courroucée par le peu d’informations reçues de la part de l’armée, elle mène son enquête et découvre, auprès du compagnon d’infortune de Koné, qui a survécu à l’attaque, que son époux n’est pas mort sur le coup. « Il était blessé à une côte et à une jambe, mais il n’a pas été secouru à temps. Ce n’est que vers 22 heures, 3 heures après l’attaque, qu’ils sont venus le chercher, il s’était déjà vidé de son sang et il rendit l’âme au centre de soins », accuse-t-elle.  Le corps sera inhumé sur place, à Ménaka, sans aucun membre de la famille. « Ce n’est qu’après l’enterrement que nous avons été prévenu du décès. Dans ces conditions, il était impossible que qui ce soit puisse y aller. Je sais qu’il voulait être dans l’armée, il avait fait ce choix, mais un minimum d’égards, ce n’est pas trop demander », ajoute la veuve, les yeux embuées. Même décidée à contenir ses larmes, elle ne le put et finit par craquer. Parler de son défunt mari lui est très pénible. Elle s’y refuse le plus souvent. Dans toute sa peine après le décès, une scène l’a particulièrement marquée. Alors que les visites de condoléances se font nombreuses dans la maison familiale, leur ainé, qui a sept ans à l’époque, lui pose une question à laquelle elle n’était pas encore préparée. « Papa a duré. Quand va-t-il revenir ? Certaines personnes disent qu’il est décédé. Quand une personne meurt, cela signifie-t-il qu’elle ne reviendra plus ? ». Son sang n’a fait qu’un tour, mais elle ne dérobera pas. L’innocence de l’enfant, ne saisissant pas encore la portée de la tragédie, l’a certainement confortée dans sa démarche. Mais elle appréhende le jour où elle devra, à leur maturité, évoquer avec ses enfants le décès de leur père.

Remontée de pente difficile

Elle sera longtemps déboussolée, car c’est une partie de son monde qui s’est effondrée ce triste jour de juin 2016. Le goût de la vie est devenu pour elle très acide. Plus d’un an et demi après ce sinistre évènement, elle tente péniblement de reprendre le dessus. Les circonstances de la mort de sa moitié, et ce qui s’en est suivi, ne l’aident guère dans cette entreprise. La perte est d’autant plus dure à accepter pour elle que le sergent-chef Koné, lors de leurs derniers échanges, lui faisait part de son intention de démissionner de l’armée dès la fin de sa mission à Ménaka. « Ce n’est pas simple quand je repense qu’il voulait passer plus de temps avec nous. Mais la vie même ne l’est pas. C’est au-delà de notre volonté à tous et je me dois de relever la tête, ne serait-ce que pour nos enfants », philosophe-t-elle, toujours en larmes. L’armée lui avait promis de continuer à verser le salaire de son mari, jusqu’aux 21 ans révolus des enfants. La promesse ne tiendra que … six mois. Remplacée depuis par une pension mensuelle de 105.000 francs CFA. « C’est ce à quoi nous avons droit après 10 ans de service », fulmine notre interlocutrice, non sans une certaine ironie. Alors même que la nouvelle Loi d’orientation et de programmation militaire prévoit que le combattant tombé au front se voit automatiquement élevé au grade supérieur, selon le colonel Diarran Koné. Ses ayants-droits, du coup, bénéficient d’un salaire plus conséquent que ce qu’il percevait de son vivant, et ce durant 10 ans. Mais, pour l’heure, ce n’est une réalité que dans les textes. « Avant le 20 janvier, les premiers bénéficiaires devraient avoir accès à cette aide sociale. C’est une priorité du Président, il en a émis le souhait. Même si ça ne concerne qu’une ou deux personnes, cela se fera » assure le colonel.  Avant d’hypothétiquement faire partie des élues, c’est auprès de sa famille que la veuve Koné a trouvé la force de regarder vers l’avant.

Proches et frères d’armes

Habitant déjà dans la maison familiale au moment du décès de son époux, elle a pu rapidement compter sur le soutien à la fois moral et financier de ses proches. C’est d’ailleurs dans un deux pièces au confort modeste qu’elle nous a reçu. Elle y vit avec deux de ses enfants. L’ainé, lui, est chez son oncle. Au-delà de la famille, les camarades de promotion de son défunt mari l’appellent régulièrement et lui rendent visite dès que l’occasion le leur permet. Envers eux, elle n’a que des propos dithyrambiques. « Après le décès, ils ont tous cotisé pour me remettre une somme d’argent et ils font très souvent des petits cadeaux aux enfants. Ce sont des gestes qui comptent énormément, l’un d’eux m’a même apporté une vidéo de la sépulture de mon époux ». Une manière de garder une part de lui auprès d’elle et de ses petits. Un mari peu bavard et aimant et un père bienveillant et attentionné avec sa progéniture, c’est aussi ce qu’elle garde de lui comme souvenir, et qu’elle essaie de transmettre à leurs deux fils et à sa fille. En dépit de toute la bonne volonté de ses proches, son quotidien n’est pas rose. Partagée entre son travail de technicienne en dessin bâtiment et son rôle de mère, elle se démène pour assurer le minimum à ses enfants et défendre leurs droits.

Quid des aides sociales ?

Des allers-retours, elle en fait beaucoup au Service social des armées. Le plus souvent sans voir ses attentes comblées. Il lui aura fallu une année pour bénéficier du capital décès de son mari. Pupilles de la Nation ? Elle n’a que peu d’informations sur le sujet. Rien d’étonnant, car le régime social pour les enfants ayant perdu un parent dans l’exercice d’une mission pour l’Etat n’est pas encore fonctionnel (voir page suivante). Avant que cela ne soit, l’alternative pour ces enfants est le parrainage. C’est ce qui a été proposé à la veuve Koné. Mais cela fait plus d’une année maintenant qu’elle attend, avec une certaine amertume, qu’une éventuelle bonne âme veuille bien parrainer ses enfants

 

Veuves de guerre, survivre malgré tout

Elles sont les femmes dont les époux et parents sont tombés sur les champs d’honneur, à la guerre au Nord, dans des embuscades ou en opération. Elles, ce sont les veuves de guerre et leurs familles, qui au-delà de la peine, doivent continuer à vivre.

Aïssata se souvient de la douleur, des pleurs, quand elle a appris la mort de son mari dans un attentat à Kidal. La douleur passée, le vide s’est installé avec l’ombre sporadique de l’absent qui hante la maison, mais qui n’est plus là pour l’aider à subvenir au quotidien de la famille. Ces veuves de guerre et leurs enfants sont le symbole de la douleur d’un pays et des séquelles de la guerre. De la jeune mariée à la mère de famille nombreuse, toutes doivent faire face à la vie, à la responsabilité de l’éducation de leurs enfants et surtout aux choix à faire pour leur avenir.

Leur nombre est tenu secret. La directrice générale du service social des armées, le Lieutenant-colonel Mariétou Samaké, faisait état en 2015 de plus de 700 veuves répertoriées dans leur fichier. Pour les aider, l’armée et son service social répond aux besoins les plus urgents. Des dispositions existent pour venir en aide à ces familles. Quand un militaire meurt sur un théâtre d’opération, on lui accorde une pension équivalente au grade supérieur, à partir de laquelle est calculée la pension de reversion qui sera octroyée aux familles, généralement inférieure à 80 % du salaire, jusqu’au décès de la conjointe du militaire. De plus, en attendant que le dossier de pension soit constitué, la famille continuera à percevoir le salaire du défunt pendant environ 6 mois.

Sans logis Auparavant logée par l’armée, la famille du soldat décédé doit quitter le camp, après un certain délai, et trouver un autre logement ainsi qu’un travail pour subsister. « Voilà ce que vivent ces femmes, souvent jeunes, qui n’avaient pas imaginé un seul instant que leur mari puisse disparaître », explique un employé d’une association d’aide aux veuves de guerre, qui met en place des projets sous forme des programmes sociaux, notamment au niveau de la formation à un métier, pour les aider par des actions ponctuelles, par de l’aide utile, à rehausser leur moral et les réinsérer dans la vie.

Depuis le 21 septembre 2016, les enfants de ces veuves, souvent déscolarisés, peuvent espérer intégrer les « Pupilles de la nation », qualité accordée aux enfants mineurs des personnels des forces armées et de sécurité, morts au service de la nation. Ils peuvent ainsi bénéficier de la prise en charge sanitaire, des frais de scolarité, d’apprentissage, et de l’octroi d’une bourse entière de l’enseignement secondaire ou de l’enseignement supérieur.