Les enfants terribles du rap malien

Longtemps boycotté par la presse, incompris, voire réprouvé par la société, et en manque de moyens, le mouvement rap du Mali revient de loin. De sa naissance dans les années 90 à nos jours, le nombre de rappeurs et groupes a explosé, pour le plus grand bonheur d’un public jeune. De conscient, le rap est devenu « festif » ou « egotrip ». En dépit du peu de bien qu’en pensent ses détracteurs, et malgré les attitudes parfois excessives de ses enfants terribles, il n’en demeure pas moins que ce mouvement, né dans les ghettos new-yorkais, conforte sa position de genre majeur au Mali.

Mars 2006. Le premier titre de l’album « Révolution » du groupe Tata Pound, intitulé « Monsieur le maire », fait fureur dans les rues de Bamako. Le trio Ramsey, Dixon, Djo Dama, s’en prend aux maires qui, à peine élus, se lancent dans toutes sortes de commerces illicites et mettent ainsi au placard les promesses faites aux électeurs. Le même registre de la dénonciation est repris dans le second titre « Yèlèma » (changement), où sont indexés, la crise du football malien, l’emploi des jeunes, la santé. Cet album marquera un tournant pour le mouvement rap malien, grâce à ses textes engagés. qui caractérisaient le début du mouvement rap, né avec les contestations populaires de mars 1991 et l’avènement de la démocratie. « Ces deux concepts, démocratie et hip-hop, sont arrivés au Mali quasiment en même temps et très vite, l’un a commencé à dénoncer les imperfections, les travers, les manquements, les tares et surtout la mauvaise application de l’autre », selon Abba Samassekou, ancien animateur de l’émission Génération 21 sur l’ORTM, qui a accompagné le rap malien.

Mouvement en évolution Parmi les pionniers, des noms connus comme Rokia Traoré, Lassy King Massassi. Mais aussi les groupes Zottos Boys, Rabba Boys, Tata Pound, Diata Sia, Fanga Fing, les Pharaons, les Escrocs, Magic Black Men, Rage… Plus tard viendront les Buba Djim, Ménez, Kisto Dem, Amkoullel, One Dog et autres Doudou Soul. « Ce qui caractérisait la première génération, c’était la soif de démocratie et d’expression. C’était une jeunesse positive, qui croyait en l’avenir. Aujourd’hui, avec l’éducation qui a baissé, le rap n’est que l’expression de la désespérance », explique Yéli Mady Konaté dit Yéli Fuzzo, leader du groupe Fanga Fing. Le paysage du rap a depuis explosé, et la jeune génération compte des noms comme Mylmo, Master Soumi, Penzy (qui ont formé Frère 2 la rue), Iba One, Tal B (qui sont à la base du groupe Génération Rap Respect ou GRR), Gaspi (ancien membre de Ghetto K’fry) et Weii Soldat. La liste est loin d’être exhaustive, et aujourd’hui ces jeunes sont sous les feux des projecteurs. L’influence du rap au sein des couches défavorisées, principalement chez les jeunes, s’est accrue grâce aux textes dont la plupart touchent à la réalité sociale.

Les « conscientiseurs » De son vrai nom Mamadou Soumounou, Mylmo, 29 ans, vise les politiques et la société. Avec son concept « Rameur » (rap moraliste), il prône un rap qui « suscite l’éveil de conscience, construit, et éduque. » En 2014, dans l’album « Le retour de Bandiougou », il s’en prend pourtant à cette jeunesse qu’il dit dévoyée, devenue experte dans l’art de consommer de l’alcool, qui se livre à la débauche et se fourvoie dans les dédales de la médiocratie. L’ « Occident » est aussi une cible régulière, comme dans le single « Pompier pyromane » : « Tu as poussé Kadhafi dans le dos, étouffé les Libyens, accaparé tout le pétrole de Tripoli (…) Depuis que tu es venu au Nord, tu as remonté le MNLA contre nous, sinon au temps de Moussa Traoré, nous, nous ne négocions pas avec les rebelles ! (…) », rappent Mylmo et Master Soumi en 2014.

Clashs et rivalités « Le rap malien a évolué depuis un certain temps, explique Master Soumy, 32 ans, de son vrai nom Ismaël Doukouré, qui s’est assigné comme mission d’éveiller les consciences et de provoquer des réflexions. Et selon lui, le rap va aujourd’hui droit dans le mur. « La plupart des textes sont dépourvus de message, de contenu ». Une allusion directe aux « clashs », dans lesquels deux ou plusieurs rappeurs s’affrontent par joutes verbales, portés à leur paroxysme par les groupes GRR et Ghetto K’fry avec des textes crus et des paroles vulgaires. « C’est violent, vilain et agressif parfois, mais cela démontre les frustrations de la jeunesse », estime Yéli Fuzzo. Le clash a créé une rivalité féroce qui a opposé plusieurs rappeurs, Gaspi, Iba One et Talbi, Oxbi, Moobjek, et a viré à une confrontation physique dont le jeune rappeur Snipper (Saïbou Coulibaly) a fait les frais en 2014. La rivalité a été particulièrement rude entre Youssouf Traoré, alias Tal-B, et Mamadou Gassama, dit Gaspi, véritable icône du genre.

Professionnalisation Ancien du groupe Ghetto K’fry, nominé rappeur de l’année 2015, « Wara Gaspi » se caractérise surtout par son originalité. Lui, qui ne fait que des singles, accapare l’attention, surtout des plus jeunes, fait le plein des stades et des salles des grandes villes maliennes. Résultat, difficile d’échapper dans les rues de Bamako à des expressions comme « je suis dableni », « je m’en kidada » (titres de ses morceaux) que certains arborent sur des t-shirts ou des casquettes. Son dernier single « An tayan bobara yé » a fait polémique, mais Gaspi répond qu’« il ne s’agit pas de s’accrocher au titre, mais plutôt au contenu du morceau, à ce qui se dit dedans. Ce sont des conseils et beaucoup de choses importantes ». Dans la même veine, Dounanguè Coulibaly, alias Weii Soldat, 23 ans, membre du collectif Morroco Gang, semble prêt à prendre le relais, avec le tempo de ses sons, mélange de rap et de beat propre à la « trap ». « Avec de plus en plus de studios d’enregistrement, la conception d’albums et de singles est facilitée, surtout grâce à l’arrivée de labels qui ont permis au mouvement de se professionnaliser », conclut Boubacar Dia, dit Boolby, créateur du site consacré au Hip-Hop malien « RHHM ». Grâce à ses stars d’aujourd’hui, il continue de faire rêver les jeunes, tant pour sa liberté de parole que pour les ouvertures qu’il offre sur le monde. Le rap fait aussi vivre son homme, grâce notamment aux concerts et contrats avec les entreprises comme Orange et Malitel. À en croire Tal B, les cachets peuvent aller de centaines de milliers à des millions de francs CFA.