Obama commue la peine de Chelsea Manning, WikiLeaks crie victoire

A trois jours de son départ de la Maison Blanche, le président américain Barack Obama a commué la peine de Chelsea Manning, condamnée à 35 ans de prison pour avoir transmis des documents confidentiels à WikiLeaks.

La militaire transsexuelle, qui s’appelait auparavant Bradley Manning, sera libérée le 17 mai. Elle avait été condamnée en août 2013 pour avoir transmis plus de 700.000 documents confidentiels au site WikiLeaks. »VICTOIRE », a immédiatement tweeté l’organisation spécialisée dans les révélations de documents secrets tandis que le camp républicain dénonçait une décision scandaleuse.

Selon la Constitution américaine, le président peut soit gracier un condamné, soit commuer sa peine, c’est-à-dire en raccourcir la durée sans effacer la sentence.

Louée par ses partisans pour avoir dévoilé selon eux les abus des Etats-Unis en Irak et en Afghanistan, Manning a été jugée pour avoir mis son pays et ses compatriotes en danger.

La femme soldat de 29 ans, qui a purgé près de sept ans de prison, avait tenté de mettre fin à ses jours en octobre, après une première tentative de suicide en juillet.

La semaine dernière, WikiLeaks a affirmé que son fondateur, Julian Assange, accepterait d’être extradé vers les Etats-Unis si Barack Obama faisait preuve de clémence envers Chelsea Manning.

Des responsables de la Maison Blanche ont affirmé qu’il n’existait aucun lien entre ce message et la décision de Barack Obama.

« Merci à toux ceux qui ont fait campagne en faveur d’une clémence pour Chelsea Manning. Votre courage et votre détermination ont rendu possible l’impossible », a indiqué Julian Assange dans un message transmis par son organisation. Il n’a cependant donné aucune indication sur ses intentions.

– ‘Un héros’ –

« C’est un héros dont le courage aurait du être félicité, pas condamné », affirme par ailleurs l’Australien dans un communiqué transmis à Londres par un des ses avocats. M. Assange appelle aussi le gouvernement américain à « mettre fin immédiatement à la guerre contre les lanceurs d’alerte, et ceux qui publient comme WikiLeaks et moi ».

Julian Assange, 45 ans, est réfugié à l’ambassade d’Equateur à Londres depuis juin 2012 pour éviter une extradition vers la Suède où des accusations de viol sont portées à son encontre et que le fondateur de WikiLeaks nie. Ce dernier craint d’être extradé par

Stockholm vers les Etats-Unis.

Ses avocats ont redemandé mardi que le département américain de la Justice de « l’inculpe pas » pour la diffusion en 2010 des documents confidentiels téléchargé puis envoyé au site WikiLeaks.

Washington a toujours menacé de poursuivre Assange mais ne l’a pas officiellement inculpé.

« Dans cinq mois tu seras libre. Merci pour tout ce que tu as fait pour tout le monde, Chelsea », a réagi Edward Snowden sur Twitter.

L’exécutif américain a toujours insisté sur la différence de taille entre le cas de Manning et de celui l’ancien consultant de la NSA réfugié en Russie, qui a rendu public des milliers de documents classifiés révélant l’ampleur de la surveillance des données privées mise en place par les autorités américaines.

« Chelsea Manning est quelqu’un qui a été jugé par la justice militaire, a été reconnu coupable, a été condamné et a reconnu ses torts », a expliqué Josh Earnest, porte-parole de l’exécutif américain.

« M. Snowden a fui dans les bras d’un adversaire et a trouvé refuge dans un pays qui, très récemment, a délibérément tenté d’affaiblir notre démocratie », a-t-il poursuivi. « Les divulgations d’Edward Snowden étaient beaucoup plus graves et beaucoup plus dangereuses », a-t-il ajouté.

‘Traitre’ traité en ‘martyr’

Si le président élu Donald Trump n’avait pas réagi mardi en fin de journée, nombre de ténors républicains ont exprimé leur mécontentement.

Furieux, le sénateur de l’Arkansas Tom Cotton a déploré qu’un « traître » soit traité comme un « martyr ». Il a affirmé ne pas comprendre « pourquoi le président aurait une compassion particulière pour quelqu’un qui a mis en danger les vies de nos soldats, de nos diplomates de nos agents de renseignement et de nos alliés ».

Le sénateur John McCain a dénoncé « une grave erreur » qui risque « d’encourager d’autres actes d’espionnage et d’affaiblir la discipline militaire ».

« C’est tout simplement scandaleux », a surenchéri Paul Ryan, président républicain de la Chambre des représentants.

L’organisation Amnesty International a salué une décision positive mais tardive, jugeant « extravagant » que Chelsea Manning ait passé tant d’années en prison.

Le cinéaste Michael Moore a réagi avec enthousiasme: « MERCI président Obama pour avoir commué la peine de prison de Chelsea Manning !!! Elle sera libérée en mai au lieu de 2045 !! MERCI ».

M. Obama a par ailleurs amnistié mardi son ancien « général favori », James Cartwright, un haut gradé qui avait fait une fausse déclaration au FBI lors d’une enquête sur des fuites concernant une attaque informatique que les Etats-Unis avaient lancée contre l’Iran en 2010.

James Cartwright avait menti aux enquêteurs en prétendant ne pas être à l’origine de la transmission à un journaliste du New York Times d’informations confidentielles, selon l’acte d’inculpation consulté par l’AFP.

Ce journaliste, David Sanger, a écrit un livre relatant les détails d’une attaque américaine à l’aide du virus informatique Stuxnet contre les installations nucléaires iraniennes.

Wikileaks : la transparence pour La démocratie ?

On croyait que l’arrivé de l’âge de l’informatisation avait donné un coup définitif aux pratiques secrètes des hommes d’à‰tat, au moins dans les pays supposés être démocratiques. C’’était malheureusement de l’optimisme naà¯f : grâce aux efforts d’un simple site internet comme Wikileaks l’opinion publique du monde entier a eu la chance de voir comment les politiciens d’aujourd’hui ne s’éloignent pas des pires intrigues de palais et qu’ils sont prêts à  utiliser n’importe quel moyen pour arriver à  leurs fins. l’aventure de Wikileaks commence en décembre 2006 : les fondateurs du site se définissaient alors comme un groupe de « dissidents chinois, journalistes et mathématiciens venants des Etats-Unis, de Taiwan, d’Europe, d’Australie et d’Afrique du Sud ». Le site était représenté publiquement par Julian Assange, qui se définissait simplement comme son porte-parole. A l’origine, l’objectif du site consistait en l’exposition des actes illégaux des à‰tats des pays postsoviétiques, asiatiques et africains et – alors dans une moindre mesure – les problèmes des pays démocratiques. Il est intéressant de rappeler comment le monde « dictatorial » va devenir en réalité l’ennemi secondaire d’Assange. Car très tôt, le site obtenait les informations plus intéressantes sur les silences des grands pays occidentaux : par exemple, avec l’exposition des listes de membres des partis politiques de l’extrême droite anglaise et des détails sur les procédures illégales commises à  Guantanamo. Après avoir révélé des interceptions en relation avec le scandale Petrogate, le site se concentrait sur les banques : il publiait des détails sur la crise bancaire islandaise et sur les responsabilités des opérateurs, à  côté d’un rapport sur les activités de Barclays, que la banque elle-même aller faire supprimer du site du Guardian. Avec 2010 arrivent les vrais grands coups médiatiques … soit les confirmations qu’on attendait depuis le début des guerres en Afghanistan et Iraq : Wikileaks commence à  publier des documents officiels du Département de la Défense américain concernant des actes irréguliers commis par les forces armées des Etats-Unis. Situations de « tir ami », attaques sur des journalistes pris pour terroristes, violations des normes sur la détention des prisonniers… et aussi un dossier sur « comment combattre la publication de documents confidentiels sur le site Wikileaks ». A la fin de juillet, plus de 92.000 documents classés confidentiels sur la guerre afghane ont été publiés sur le site. Tandis que Washington continuait à  chercher comment arrêter la diffusion de ces infos, à  la fin novembre arrivait le coup de grâce : la publication des C’bles diplomatiques américains, dans lesquels on trouve de nombreux points de vue pour le moins intéressants sur les rapports avec les pays européens, sur les rapports italo-russes, sur l’espionnage d’officiels de l’ONU, pour ne citer que les exemples les plus croustillants. La vraie force d’action d’Assange ne réside pas dans le fait d’avoir parlé des « embrouilles » et de la corruption de politiciens, mais dans le fait qu’il a trouvé des preuves matérielles pour dénoncer cela. Il est très commun de dire qu’un politicien est corrompu ou que des actions militaires semblent conduites par des débutants : mais cela constitue un véritable « coup » de pouvoir dire, avec les documents officiels, que des décisions économiques ont été prises pour satisfaire des intérêts privés des chefs d’Etat, ou que les vies de soldats et de civils ne sont que des pions sur l’échiquier géostratégique. Les à‰tats font bien, en effet, d’avoir peur : les découvertes de Wikileaks ont attiré l’attention sur de nombreux sujets qui – à  l’époque des faits – étaient négligés. Les « accidents » pendant les guerres aux Moyen-Orient et une longue série de détails embarrassants sur les intérêts privés en jeu pendant les nouvelles stratégies énergétiques européennes sont seulement les premiers sujets que la presse ordinaire va avoir à  réexaminer. La ligne de défense du gouvernement américain a suivi l’exact contraire de la transparence : pour eux, il faut couvrir avec le secret d’à‰tat tous les sujets qui peuvent mettre en péril la sécurité des militaires et des citoyens dans les théâtres de guerre comme sur le territoire national. Washington n’a pas expliqué de quelle manière cacher la vérité sur des accidents et des violations de la loi internationale pouvait « sauver des vies humaines » : il est clair que C’’est surtout l’intimité des politiciens qui est en péril, politiciens qui encore aujourd’hui en 2010, ont besoin d’agir en secret pour éviter le jugement des citoyens qui les ont élus. Un certain niveau de secret est admissible seulement en situations de danger confirmé, mais dans les cas exposés par Wikileaks on voit une extension excessive du droit à  maintenir le silence sur des informations stratégiques. La sécurité des citoyens devient l’excuse pour cacher une longue série de magouilles qui n’ont rien à  faire avec les objectifs stratégiques d’un pays, mais seulement avec les objectifs stratégiques des portefeuilles des politiques. Un gouvernement qui agit de cette manière donne la preuve de n’avoir aucun respect pour ses électeurs et ses citoyens : il démontre être une organisation déterminée à  atteindre ses buts privés en utilisant la façade des besoins stratégiques. Donc, on voit que la quantité d’informations obtenues grâce aux efforts d’Assange nous démontre qu’il faut faire encore beaucoup de travail pour obtenir un gouvernement transparent. Le secret d’à‰tat a toujours été une mesure inacceptable. Sans un gouvernement transparent, le processus de la démocratie représentative s’écroule : les électeurs doivent avoir la possibilité d’examiner tous les éléments possibles pour juger l’action des hommes d’à‰tat. Assange a fait le travail qu’un journaliste doit faire, au moins idéalement : dire la vérité sans censure. Il faut comprendre l’importance de la grande route ouverte par Assange, et s’engager pour la continuer.