Autonomisation des femmes : un vaste programme

Processus complexe destiné à permettre aux femmes d’accéder à la jouissance de plusieurs droits, l’autonomisation est souvent malheureusement réduite à l’exercice d’activités génératrices de revenus. Ce qui entrave encore plus la possibilité pour les femmes d’espérer une amélioration de leur situation.

Grand acquis pour les femmes afin de s’épanouir, l’autonomisation est un programme leur permettant non seulement de se prendre en charge mais aussi d’être utile à toute la société, estime Madame Bouaré Bintou Founé Samaké, Présidente du réseau Femmes, droit et développement en Afrique (Wildaf Mali).

Il faut donc une véritable politique étatique, capable de mettre en œuvre toutes les problématiques relatives à l’accès des femmes à leurs droits. « Ce n’est pas une question d’argent », insiste Madame Bouaré. Car il faut aborder les questions de l’éducation, de la santé de la reproduction et de l’entrepreneuriat ensemble afin d’y apporter des réponses globales.

Au Mali, plus de 77% des femmes vivent en milieu rural, selon le 4ème Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH). Malgré un très faible accès aux ressources, comme la terre ou le crédit, elles représentent 49% de la population active agricole et assurent plus de 70% de la production alimentaire. L’appui à la réalisation d’activités génératrices de revenus à l’endroit des femmes n’est donc qu’un volet du vaste chantier de l’autonomisation.

Plusieurs facteurs défavorables hypothèquent l’émergence économique et sociale des femmes. Dans un contexte marqué par l’insécurité alimentaire et le changement climatique, les appuis consistent à leur offrir des moyens innovants de réduire non seulement la consommation des ressources naturelles, sources d’énergie, mais aussi la réduction du temps consacré aux tâches ménagères, afin de donner plus de temps à la production.

Violences persistantes

La question de l’autonomisation des femmes ne peut être abordée sans celle des violences, qui subsistent, surtout dans le contexte conjugal « lorsque tout repose sur une personne et que celle-ci n’arrive pas à tout résoudre », explique la Présidente de Wildaf. Résoudre les violences à l’égard des femmes constitue donc un pas réel vers l’autonomisation. Mais le défi, dans un environnement difficile marqué par de nombreuses crises, est d’assurer non seulement la pérennité des investissements réalisés, mais aussi de garantir une participation efficace des femmes à la vie sociale et leur épanouissement . Une étape essentielle pour l’atteinte de l’Objectif 50-50 d’ici 2030.

Violences basées sur le genre : Changer les mentalités

Définies comme « tout acte préjudiciable commis contre la volonté d’une personne et fondé sur les rôles différents des hommes et des femmes que leur attribue la société », les Violences basées sur le genre (VBG) inquiètent de plus en plus les acteurs sociaux. À Bamako, au mois de juin, 2 cas de violences conjugales ayant conduit aux meurtres de deux épouses ont choqué l’opinion publique. Face au phénomène, les autorités ont entrepris la mise en place de certains dispositifs destinés à renforcer la lutte, en plus d’un processus de sensibilisation pour changer les comportements. Car ces violences, qui sont très peu dénoncées, sont très souvent bien tolérées, ce qui aboutit à leur banalisation.

« C’est l’application de la loi qui pose problème en matière de VBG. Surtout quand cela se passe en famille. C’est très difficile de sévir contre le chef de famille. C’est aussi une question culturelle, parce que le fait d’amener ces affaires devant les juridictions n’apaise pas la situation », explique Madame Bouaré Bintou Founé Samaké, Présidente de Wildaf Mali.

En effet, oser dénoncer ces violences au sein d’un foyer aggrave souvent le sort de la victime et crée une situation d’impasse. Et, malheureusement, « ce n’est que lorsque l’irréparable survient que tout le monde se mobilise », déplore Madame Bouaré.

C’est pourquoi, « il faut gérer le phénomène en amont », préconise-t-elle. Aussi bien au sein de la famille, de la société ou chez les personnes censées appliquer la loi, la vigilance doit être de mise et l’action immédiate. C’est pourquoi, lorsqu’il y a eu les premiers décès dus à des « féminicides », Wildaf Mali a alerté l’opinion et rencontré plusieurs autorités, y compris les leaders traditionnels et religieux. Cette « veille », indispensable, doit être menée par tous les acteurs sociaux et amener à agir et à dénoncer dès qu’un cas de violence est signalé, même s’il intervient dans une famille, « parce la violence ne doit pas être la norme ».

Ancré et consacré, le principe selon lequel  les femmes doivent être soumises tend à rendre la violence normale. En effet, sous prétexte qu’elle fait ou ne fait pas quelque chose, une femme peut être battue. Pourtant, « il peut arriver que l’homme agisse mal ou qu’il ne s’acquitte pas par exemple de ses devoirs, mais ce n’est pas pour autant qu’il est battu », ajoute Madame Bouaré. La violence ne peut donc se justifier, mais plusieurs facteurs peuvent contribuer au phénomène.

Causes multiples

Ces violences basées sur le genre sont en réalité des « violences faites aux femmes (VFF) », explique Madame Marie-Thérèse Dansoko, Point focal genre au ministère de la Justice et des droits de l’Homme, et elles ont toujours  existé.  Dans certaines traditions, par exemple, le trousseau de la jeune mariée contenait un fouet, destiné à son mari pour « la corriger » au besoin. Cette acceptation du phénomène contribuait à banaliser les actes de violence « grâce à la supériorité des hommes », explique Madame Dansoko.

Mais ce qui a exacerbé le phénomène, selon elle, ce sont les assassinats, qui se sont multipliés. L’une des causes de cette violence latente est à rechercher dans « l’effritement » de notre éducation. Aussi bien celle des filles que des garçons. Ces derniers, appelés donc à se réunir pour former un foyer, ne peuvent le faire, car ni « préparés, ni formés » à cet effet. Les ravages des stupéfiants, dont la consommation connaît une progression fulgurante dans notre société, fait aussi partie des facteurs d’augmentation des cas de violence. Le stress et la pauvreté  contribuent aussi à l’aggravation de ces violences.

Le phénomène, qui ne s’installe pas brusquement, est « un long processus qui naît de conflits mal gérés », note Madame Dansoko.  Puisqu’il est demandé aux femmes de tout accepter, elles essayent de gérer la situation à leur niveau, jusqu’à ce que cela les dépasse.

Même si « les violences faites aux femmes se gèrent au cas par cas », « il faut alerter lorsque l’on se sent en insécurité », conseille Madame Dansoko.

Intensifier la lutte

La lutte contre ces actes, qui portent atteinte aux droits et souvent à la vie des femmes, peut s’avérer difficile dans un contexte social où les réticences sont grandes, mais les autorités ont « pris les devants, avec la mise en place de Points focaux genre au niveau de chaque unité de police », indique Madame Dansoko. Et la police a adopté un plan d’action stratégique 2018 – 2020 qui prévoit notamment le renforcement de la capacité organisationnelle et institutionnelle de la structure au plan national.

Mais la difficulté principale de la lutte réside dans le fait que les plaignantes risquent une réprobation de l’entourage et, au pire, un divorce, ce qui fait qu’elles hésitent, notent plusieurs acteurs. Le plus dur est que « l’entourage du mari peut même considérer cette dénonciation comme une humiliation. Or, il a le devoir de protéger la femme », déplore Madame Dansoko. C’est donc aux « femmes, qui sont les premières concernées », de dénoncer les faits pour être prises en charge.

« Les hommes, sans distinction de classe sociale, commettent des actes de violence. Il faut les sensibiliser aussi », relève pour sa part Madame Bouaré. D’autant que ces violences ont des conséquences néfastes sur les enfants, qui ne pourront être les citoyens modèles que nous souhaitons.

Même si ces actes ne doivent pas rester impunis, la répression n’est pas forcément la solution, ajoute Madame Dansoko. « Il faut un processus de plaidoyer, de sensibilisation et de formation pour faire comprendre aux hommes que ces violences ne sont pas banales et sont des violations de droits ».

Adapter les solutions

Actuellement en service, un numéro vert permet d’alerter les autorités compétentes, mais il faut qu’il « couvre le territoire entier et qu’on lui donne un certain pouvoir », suggère la présidente de Wildaf Mali. Afin que les agents, lorsqu’ils  sont sollicités, ne se limitent pas à un constat. Ils doivent pouvoir prendre des mesures conservatoires, comme mettre la victime en sécurité. Une insuffisance également déplorée au niveau de la justice. « Les moyens doivent être renforcés pour garantir la protection de la victime », qui n’est pas souvent à l’abri, même après la sortie de prison de l’auteur des violences, selon Madame Samaké Oumou Niaré, magistrate, Point focal genre au Tribunal de Première Instance de la commune III.

Il faut aussi une amélioration dans la formation pour la prise en charge des victimes. « Il faut des lois spécifiques, comme c’est le cas pour la traite des personnes, dans laquelle on trouve des dispositions relatives aux VBG », note Madame Samaké. Ce dispositif, qui n’est pas formel, devrait « être  institué au niveau de chaque juridiction », selon la magistrate, ce qui permettrait d’inscrire dans la durée la lutte, qui est un processus de longue haleine.

« La loi est dissuasive et protectrice », relève Madame Bouaré, c’est pourquoi l’adoption d’une loi spécifique, très attendue par les acteurs, peut renforcer l’arsenal juridique existant, qui s’appuie sur de textes généraux, comme le Code pénal, par exemple.

Même si les « VBG ne sont pas une question de statut social », l’autonomisation des femmes constitue l’une des pistes de solutions. En effet, selon Madame Dansoko, Point focal genre au ministère de la Justice, certaines études ont démontré que les femmes qui contribuent aux charges du ménage rencontrent moins de problèmes de violence.

En attendant la mise en place des Comités d’institutionnalisation genre, les Points focaux genre sont installés dans les départements ministériels. Leur objectif est de promouvoir la Politique nationale genre (PNG) dans leur structure. Ils s’occupent notamment des questions concernant l’égalité homme – femme et surtout de lutter contre les violences basées sur le genre.

La CAFO se déchire

Constituée d’une cinquantaine de démembrements à travers le Mali et de près de 4 000 associations membres, la Coordination des Associations et ONG féminines du Mali (CAFO) semble traverser une crise existentielle. Elle a été créée en 1994, mais au moins deux tendances réclament aujourd’hui la présidence de la structure.

Samedi 30 décembre 2017. Une assemblée générale de la CAFO se tient à Bamako et met en place un bureau de 23 membres, avec comme Présidente Madame Dembélé Ouleymatou Sow, ancienne Secrétaire générale, suspendue de ses fonctions en 2010 par le bureau de l’époque. Quelques jours plus tard, le bureau intérimaire, dirigée par Madame Kéita Fatoumata Cissoko, déclare nul et non avenu ce bureau. L’assemblée générale ayant élu Madame Dembélé n’a aucune légitimité, soutient la Présidente par intérim, car elle n’a pas respecté pas les règles de l’organisation qui prévoient au moins 2/3 des membres pour convoquer une assemblée générale. Or, selon elle, seuls 5 membres sur 23 ont adhéré à cette assemblée.

Cette crise au sein de la CAFO n’était-elle pas prévisible, après le départ de sa Présidente, Madame Traoré Oumou Touré, nommée ministre de la Promotion de la femme en avril 2017 ? Si elle refuse de parler de crise, la Présidente par intérim assure que si un bureau n’a pu être mis en place depuis c’est en raison de la situation sécuritaire du pays. « Mais les instances au niveau local sont en train d’être renouvelées. D’ici fin janvier, nous pourrons élire le nouveau bureau », promet-elle. Mais l’image de la CAFO en aura pris un coup et ceci est regrettable, selon certains acteurs.

Même si elle n’est pas membre de la CAFO, cela inquiète Madame Bouaré Bintou Founé Samaké, Présidente de Wildaf Mali et de la Convergence des Femmes du Mali, une structure qui gère un projet avec la CAFO. « Parce que, suite à la crise, le partenaire a souhaité cela ». Tout comme la CAFO a été capable de désigner des membres pour ce projet, les deux tendances peuvent et doivent s’entendre pour mettre en place une instance consensuelle, estime Madame Bouaré. Car, « si la CAFO ne marche pas, c’est une perte pour toutes les femmes du Mali. Pour résoudre la crise, il faut revenir aux textes et c’est aux structures membres de le faire ». Mais, malheureusement, « lorsque les femmes adhèrent à une association, elles ne s’informent pas des droits et devoirs. Quand il y a crise, celles qui veulent se prononcer se rendent souvent compte qu’elles ont perdu leurs droits de membre », constate Madame Boiré.

« De l’ombre à la lumière »: l’expo photo sur les VBG

Le thème de cette campagne est: «De la paix chez soi à  la paix dans le monde : mobilisons-nous contre les violences basées sur le genre ». Ceci est d’une grande actualité au Mali. En effet, la crise qui a débuté en janvier 2012 a entrainé des formes de violences basées sur le genre liées au conflit armé. En particulier les femmes ont été victimes directes de ces violences, telles que les viols et mariages forcés perpétrés par les groupes armés, les violences physiques et sexuelles subies lors du déplacement des populations, les châtiments physiques dérivant de l’imposition d’une interprétation stricte de la loi islamique. Aujourd’hui l’augmentation de la prostitution et du risque d’exploitation sexuelle suite au déploiement massif des forces militaires dans les trois régions du nord est une préoccupation majeure. Aà¯cha Maà¯ga est ressortissante de Goundam, elle est victime de mauvais traitement de la part de son mari « il a épousé une deuxième femme beaucoup plus jeune et m’a délaissée » témoigné-t-elle. Elle est venue assister au vernissage de l’exposition au centre culturel « La Médina ». Pour elle, ces violences sont quotidiennes et cachées « au début je n’avais pas le courage mais après je suis partie exposer mon problème auprès de Wildaf ». « De l’ombre à  la lumière » parce que « ces violences sont perpétrées dans l’ombre et sont souvent cachées. Mais aujourd’hui, grâce à  l’aide d’organisations, les femmes commencent à  en parler et des combats sont menés pour reconnaitre les droits des femmes » explique Vincent Trémeau, chargé de communication à  Oxfam et chargé de cette exposition, il est aussi artiste photographe. Les photographies seront tout au long des 16 jours reproduites et exposées en grand format dans différents lieux publics de Bamako. l’exposition se tiendra également à  Gao et Tombouctou au cours des deux prochaines semaines pour prendre fin le 10 décembre, date de commémoration de la journée internationale des droits de l’homme. « Cette exposition est une occasion non négligeable pour nous car elle permettra de mettre au grand jour les difficultés vécues dans l’ombre et nous aidons à  mettre en évidence pour que chacun puisse y voir une réalité à  prendre en compte dans les combats de tous les jours » éclaire Bintou Founé Samaké, directrice de Wildaf, un réseau panafricain qui œuvre dans les droits des femmes. L’exposition photo se termine sur des portraits et femmes et d’hommes actifs dans la lutte contre la violence basée sur le genre. C’est le cas de Bintou Founé Samaké, directrice de Wildaf. Cette exposition photographique veut donc donner une image et une voix aux victimes de violences basées sur le genre mais aussi aux leaders qui s’engagent pour que cessent ces injustices et que toutes les composantes de la société soient également impliquées dans la reconstruction du Mali. Avec la volonté d’aller à  la rencontre du public en s’exposant dans les rues de Bamako, cet évènement est également un clin d’œil à  la Biennale africaine de la photographie qui aurait dû se tenir dans la capitale malienne en ce moment même. La campagne de sensibilisation met en évidence pendant 16 jours les liens entre la violence contre les femmes, les droits de la personne et la promotion de la paix. Elle a débuté le lundi 25 Novembre, journée internationale pour l’élimination de la violence à  l’égard des femmes pour se terminer le 10 décembre, journée des droits de l’Homme. Depuis 1991, plus de 5 167 organisations dans 187 pays y ont participé.