Yambo Ouologuem : L’enfant terrible des lettres francophones

Yambo Ouologuem auteur du célèbre et dérangeant roman, Le devoir de violence, pour lequel il reçoit le prix Renaudot en 1968, s’est éteint le samedi 14 septembre chez lui (au Mali) à l’hôpital de Sévaré. Celui dont la mort littéraire secoue le monde du livre depuis quelques années, vient d’emprunter le chemin de l’au-delà, laissant deux fois orphelins une œuvre dense et riche.

Il y’a 49 ans un jeune malien fraîchement diplômé (Lettres, Philosophie et d’Anglais) venait jeter un pavé dans la mare de la négritude. C’est l’histoire de Yambo Ouologuem, l’histoire tragique d’un sacrifié sur l’autel de la littérature africaine. Un an après « Le devoir de violence » paraissait « Lettre à la France Nègre », un recueil de 13 treize pamphlets où : «  Noirs et Blancs jetés dans un même grand sac subissent la bastonnade, et seule la femme échappe peut-être à la correction, elle, la nègre de l’homme. »(Babelio). Des textes qui acculent ses deux rives : la France et l’Afrique. Le ton de l’enfant terrible, est posé, tout le monde en prendra pour son compte.

La consécration et la descente en enfer

En 1968 l’intelligentsia parisienne venait de consacrer une œuvre littéraire atypique, ainsi célébrait du même coup le premier auteur africain à accéder à un prix littéraire en France, le Renaudot. Le premier roman de Yambo tombe aussitôt dans un procès de plagiat qui pour finir, aura raison de la longévité littéraire de son auteur. Un talent mort-né. C’est le destin tragique de l’enfant du pays dogon, promu à un bel avenir. Yambo blessé dans sa chair se retire du monde moderne, décide d’un retour au pays, direction sa ville natale Bandiagara qui le vit naître un 22 août 1940.

Yambo Ouologuem, l’avant-gardiste  sacrifié sur l’autel de la littérature africaine

Accusé de plagiat, alors que le manuscrit est déposé à l’éditeur avec guillemets, le talent à peine découvert se trouve embarqué dans un tourbillon médiatique.

L’accusation de plagiat le poursuivra des années durant en France, avant d’être réhabilité. Il est établi que son manuscrit comportait une annexe recensant et expliquant chaque emprunt, allusion ou hommage, document que son éditeur décida simplement d’occulter. Le mal est fait, l’auteur aura tout le mal du monde à se défendre. Le romancier quitte plein d’amertume.

Du rejet de la France, Yambo opte pour le repli dans la religion musulmane et devient prêcheur-marabout à ses heures, devient hostile au monde extérieur. Des tentatives successives pour le ramener à la littérature échoueront, puisque du monde moderne il ne veut rien en entendre, encore moins de ses écrits. Et depuis 2012 un prix porte son nom au Mali.

Quand la négraille nargue antinomiquement la négritude

A l’époque où les lumières sont braquées sur la négritude, un jeune malien du nom de Yambo Ouologuem vient troubler les eaux tranquilles du tout nouveau courant littéraire porté par Senghor, Damas et Césaire. Avec fracas Devoir de violence, jette le pavé dans la mare de la négritude et la nargue de son concept de négraille, assumé par son concepteur à la négritude à fleur de plume.

Bousculer le lecteur dans ses retranchements, une fois que l’on referme Le devoir de violence, l’œuvre gêne tant elle est frontale. L’auteur n’épargne pas son lecteur bouleversé. De claque on en prend sur chaque joue. L’essence même de la littérature d’engagement. La plume de Yambo se veut de vérité. Son roman, une invitation à se regarder dans la glace de la réalité historique, cruelle telle qu’elle se présenta. Celle de la responsabilité de notabilités locales africaines dans la déportation de leurs congénères, pendant la traite négrière. Oui Yambo gênait.

Une fois que la quatrième de couverture se rabat sur la narration bouillonnante de Yambo Ouologuem, il est évident qu’on prend partie soit on l’aime, soit on se prémunit du reflexe primaire, cet écrivain a trahi l’Afrique, comment a-t-il pu oser ? Un comportement qui a scellé le destin de l’auteur et précipité sa chute. Dans les facultés de lettres africaines Yambo divise jusque dans les chaires de recherche.

Du devoir de violence, Y.O souffrit de la violence de dire la vérité. A nous, celui de rendre hommage à l’un des plus talentueux des écrivains d’Afrique, du Mali.

Le fils d’Amma vient de fermer les yeux chez lui à Bandiagara, qui le garda en son sein en mère nourricière quand le mondain l’expulsa de son antre. il existe des fils de leur époque, que l’époque rejette, Yambo l’a accepté avec dignité. Qu’Amma l’accueille les bras ouverts. « Verba volant scripta manet ».

 

A suivre un extrait de Le devoir de violence :

« Ce Saïf connut donc le bonheur d’avoir été assez habile pour jouer ce rôle de messie, où de nombreux fils de notables s’étaient escrimés en vain, et appauvris. N’est pas Christ qui veut. Pardonnez-nous, Seigneur, de tant révérer les cultes dont on vous habille…

… Lancées de partout en cette seconde moitié du XIXème siècle, multiples sociétés de géographie, associations internationales de philanthropes, de pionniers, d’économistes, d’affairistes, patronnés par les banques, l’Instruction publique, la Marine, l’Armée, déclenchèrent une concurrence à mort entre les puissances européennes qui, essaimant à travers le Nakem, y bataillèrent, conquérant, pacifiant, obtenant des traités, enterrant, en signe de paix, cartouches, pierres à fusils, poudre de canons, balles. (…)
Et ce fut la ruée vers la négraille. Les Blancs, définissant un droit colonial international, avalisaient la théorie des zones d’influence : les droits du premier occupant étaient légitimés. Mais ces puissances colonisatrices arrivaient trop tard déjà, puisque, avec l’aristocratie notable, le colonialiste, depuis longtemps en place, n’était autre que le Saïf, dont le conquérant européen faisait – tout à son insu ! – le jeu. C’était l’assistance technique, déjà ! Soit. Seigneur, que votre œuvre soit sanctifiée. Et exaltée. »