» Je pensais que la République était une et indivisible »

« Permettez-moi, votre Excellence Monsieur le Président, de vous faire part de ma colère et de mon indignation par rapport aux incidents graves dont ma famille et moi-même avons fait l’objet. Mon étonnement est que les services de sécurité et militaires et peut être vous-même – car je ne peux pas penser un seul instant que vous n’êtes pas au courant de ce qui allait se passer – n’ayez pris aucune disposition pour anticiper. Je suis en droit de me poser la question que si pour faire taire vos sœurs et épouses militaires, vous avez préféré nous livrer à  la vindicte populaire. Alors que vous m’avez toujours appelé « ma sœur », et mon mari votre « maà®tre ». Vous avez choisi la même voie que mes voisins et amis de la ville de Kati, à  qui j’ai donné respect et amitié pendant dix ans de bon voisinage. Au moins, ça a le mérite d’être clair et concis. Entre amis, parents, on se regarde en face et on se dit la vérité. Cela n’a pas été le cas avec mes voisins ni avec vous, l’autorité suprême, de qui je ne m’attendais pas à  une telle connivence. Je pense donc que j’ai eu tort de croire à  la fraternité et à  l’amitié. J’ai eu tort de vous faire supporter ma présence, car il n’est pas poli de s’inviter soi-même à  une table à  laquelle vous n’êtes pas convié. Ce n’est pas la première fois que ce qui s’est passé arrive, contrairement à  ce que beaucoup pensent et font croire que nous sommes les gâtés de la République. En 1991, au vu et au su de toute la garnison de Diabaly et des autorités de cette ville, c’est toute ma famille qui a du se réfugier en Mauritanie après l’assassinat sauvage de mon oncle à  Sokolo, le pillage de toutes nos maisons et de nos biens, qui ne nous ont été jamais restitué. C’était aussi, le décès de ma sœur et de ses trois enfants tentant de fuir les atrocités. Voyez-vous, votre Excellence Monsieur le Président, nous avons souffert et continuons de souffrir autant, sinon plus, car nous, Monsieur le Président, on ne nous reçoit pas à  Koulouba pour nos doléances et on ne daigne même pas nous demander de ce qu’il advient de nous. Quand on pille, vol, viole les Touaregs, c’est une vengeance et c’est normal; dites-nous, Monsieur le Président, que c’est malgré vous que nous sommes vos citoyens et nous comprendrons. C’est plus simple et ça évitera des milliers de morts et des souffrances inutiles. Dans cette affaire, nous souffrons la République et cela n’a pas commencé aujourd’hui. Oui en effet, votre Excellence Monsieur le Président, j’ai été sidérée de voir qu’aucune autorité habilitée ne s’est inquiétée de notre sort après le pillage de notre maison et des menaces à  notre encontre. Contrairement à  ce que l’on apprend aux Maliens, nos pères et nos mères se sont battus et ont donné de leur sang pour que le Mali soit. Nous-mêmes, les nouvelles générations, avons fait de notre mieux pour avoir l’estime de nos amis, concitoyens et de la République. Je ne peux m’empêcher en ces moments difficiles pour mes enfants et moi de penser à  mon grand frère, qui a subi le même sort que moi, et qui a quitté le Mali dans des conditions similaires, en 1991, après que sa maison ait été pillée et vandalisée et qu’il ait été menacé de mort. Avec toute sa famille et ma grand-mère, morte après près de 20 ans d’exil. Je ne peux m’empêcher de penser à  mon cousin, le défunt Mohemedoun Ag Hamani, le grand frère de «votre ami», qui fut sauvagement assassiné à  Tombouctou. Je ne peux m’empêcher de penser à  ma sœur Zeinabo, dont le domicile, la clinique et la pharmacie ont été vandalisés et pillés le même jour. Pourquoi a-t-on laissé les gens lui faire vivre ce cauchemar ? Personne à  Kati, ne peut dire que Zeinabo lui a un jour porté tort. Elle en est simplement incapable. Sa récompense a été cet acte sauvage et inhumain, 4 heures passées avec son fils dans ce cauchemar. Ces moments me font penser aussi aux proches de mon mari, les Kel Essouk de Gao, pour lesquels la République n’a jamais rendu justice alors qu’ils se battaient pour la paix. Pourquoi n’avez-vous pas dit et expliqué cela à  mes sœurs de Kati quand elles sont venues vous voir? Cela aurait peut-être atténué leur douleur, car le malheur n’est l’apanage de personne, malheureusement. Entre citoyens républicains on se regarde en face et on se dit, ce qui ne va pas. Je pensais que la République était une et indivisible, mais je découvre avec beaucoup de regrets que cela dépend de votre origine et de votre couleur. Malheureusement, Monsieur le Président, c’est le faciès qui détermine les égards que l’on doit : C’est «eux» et «nous», et cela dure depuis 50 ans maintenant. Monsieur, le Président, entre républicains on doit se dire la vérité, on ne peut pas mentir à  son pays et à  ses amis, sinon quel est donc le sens que l’on peut donner à  ces deux grands mots ? Je suis sûre, votre Excellence Monsieur le Président, qu’un jour des Maliens, dignes fils respectueux des valeurs, feront rejaillir cette vérité. Je saisis cette occasion pour remercier tous ceux de mes amis qui ont bien voulu nous apporter leur soutien et leur amitié sous de multiples formes. Je vous prie de bien vouloir accepter, votre Excellence Monsieur le Président de la République, mes très hautes et distinguées salutations. Zakiyatou Oualett Halatine. Ancienne Ministre