Dr Ayissi Jacques Degbelos « Ce qui manque, c’est la valeur ajoutée locale »

En charge de la section Afrique, le conseiller à la division de l’examen des politiques commerciales de l’OMC livre son analyse sur la question.

Qu’est-ce que c’est qu’une politique commerciale ?

Une politique commerciale, c’est une stratégie que le pays met en place afin d’optimiser sa performance commerciale, c’est-à-dire pour promouvoir ses exportations et rendre plus optimales ses importations. Cela suppose que le pays connaisse bien ce qu’il veut, quels sont ses besoins et qu’il mette en place une panoplie de mesures pour atteindre cet objectif.

On critique souvent la présence « figurative » des pays africains dans les instances internationales. Est-ce à dire qu’ils ne « savent pas ce qu’ils veulent » ?

Tous les pays, y compris les pays africains, savent ce qu’ils veulent, mais ils n’utilisent pas forcément les meilleurs moyens. Notre travail permet d’attirer l’attention des pays sur le fait que certaines mesures peuvent ne pas être les bonnes. Et nous les aidons à les reformuler, à les adapter aux réalités du terrain national, mais aussi du commerce international.

Comment le Mali s’en sort-il ?

J’ai beaucoup travaillé sur le Mali et ai contribué à l’élaboration de toutes les politiques de ces dernières années. C’est un pays qui dispose de beaucoup de cadres, qui ont toujours travaillé beaucoup sur le secteur agricole, même si, ces dernières années, il y a eu un grand focus sur les industries extractives. Ce sur quoi on a travaillé dans le secteur agricole, c’est la transformation. C’est d’ailleurs le cas dans la plupart des pays africains, où ce qui manque, c’est la valeur ajoutée locale. La principale raison de ce retard est l’accès aux ressources énergétiques, à l’électricité. C’est donc sur cet aspect qu’il va falloir que les efforts se focalisent. Par exemple, voyez ce qui se passe dans un secteur comme celui du coton. Les prix du coton non transformé ont chuté alors que les prix des vêtements en coton restent relativement élevés. Si je suis un producteur de vêtements en coton, je suis content quand les prix du coton sont faibles, puisque cela me permet de produire à moindre coût des biens que je vais ensuite exporter. C’est donc vers ces stratégies que les pays africains devraient normalement se tourner. Les pays qui produisent du coton en Afrique de l’Ouest pourraient se mettre ensemble pour créer une chaîne de valeur afin faire de la transformation en chaîne : un pays s’occupera de l’égrenage, dans un autre pays on fera le filage, dans un autre encore le tissage, etc…

Pourquoi n’y arrive-t-on pas ?

C’est d’abord une question de volonté. Il faut pouvoir s’entendre et se coordonner. Ce qui a souvent prévalu dans nos régions, c’est plus la concurrence que la compétitivité. Quand une idée nait, tout le monde fait la même chose, au niveau national comme régional. Or, cela fait qu’au finish personne ne profite de cette innovation. La transformation est dans ce sens également porteuse, puisque les produits agricoles transformés sont plus compétitifs. Par exemple, de la mangue séchée coutera moins cher que le fruit frais et les petites unités agro – industrielles sont faciles à mettre en place. Mise à part la question de l’électricité, dont je vous parlais plus tôt, et qui peut être résolue elle aussi. Il suffit pour cela que les pays s’entendent. Nous avons de nombreux pays qui peuvent alimenter tout le continent avec leur seule production. Il suffit de développer un cadre et une stratégie pour y arriver. Malheureusement, on n’en est pas encore là…

La Zone de libre-échange africaine (ZLECA) a été lancée. Non sans réticences…

Dans la mise en œuvre de cette zone de libre-échange, il y a plusieurs aspects à prendre en compte. D’abord, au niveau continental, c’est une bonne chose, parce que l’intégration permet de faire des économies d’échelle en produisant pour un marché de plus en plus grand. Mais, pour que cela marche, il faut des stratégies. La première est la voix nationale, chaque État devant savoir exactement ce qu’il vient chercher dans la zone. C’est ainsi qu’on peut développer les stratégies pour en tirer le meilleur profit. C’est ce qu’il faut faire avant que la zone ne soit lancée. En général, en Afrique, c’est le contraire. Les gens signent des accords sans chercher à savoir ce qu’ils peuvent en tirer comme avantages. Dans une zone comme la ZLECA, en s’agrandissant on élargit les opportunités, encore faut-il les exploiter. Si vous ne le faites pas, d’autres le feront à votre place. C’est vers ces stratégies que nos pays africains doivent aller, pour tirer meilleur profit des intégrations régionales ou multilatérales.