1960 – 2015 : 55 ans après, le Mali est-il indépendant ?

Le 22 septembre marque la date symbolique de l'accession du Mali à  l'indépendance sous la férule de feu Modibo Keà¯ta,…

Le 22 septembre marque la date symbolique de l’accession du Mali à  l’indépendance sous la férule de feu Modibo Keà¯ta, dont le centenaire vient d’être fêté le 4 juin 2015. Mais que reste-t-il de cet héritage célébré chaque année par un simple dépôt de gerbe de fleurs au pied du monument éponyme ? Un témoin, parmi les anciens compagnons de Modibo Keita, l’emblématique Amadou Seydou Traoré, dit Amadou Djicoroni, évoque avec nostalgie cette époque glorieuse, qui vit l’éclatement de la fédération puis la proclamation de l’indépendance du Mali: « Ce fut un moment très poignant. Pour un pays pauvre et enclavé, prendre une telle décision était un acte courageux, qui a donné lieu à  des scènes d’enthousiasme extraordinaires », narre-t-il a l’hebdomadaire Jeune Afrique. Dès lors, le Soudan français devenait Mali, juridiquement indépendant, et membre à  part entière de l’Organisation des Nations unies. Pourtant, « comme la plupart des à‰tats africains d’Afrique francophone, le Mali n’est indépendant que de nom », souligne Assane Koné, rédacteur en chef du site Notrenation.com. Indépendance de façade ? Que signifie être indépendant pour un pays libéré de la colonisation en 1960, dont la souveraineté est aujourd’hui remise en question par la présence de forces étrangères venues le secourir ? 52 ans après le départ de l’armée française, elle était de retour ! Non pas en tant que force d’occupation ou coloniale, mais suite à  l’appel des autorités maliennes en janvier 2013, pour contrer l’avancée djihadiste qui menaçait le sud du pays, après avoir occupé le nord. Tout un symbole, qui illustre l’échec des dirigeants successifs dans la construction d’une armée nationale digne de ce nom, principal outil aux mains d’un à‰tat pour préserver sa souveraineté et ainsi garantir son indépendance. La présence de la Mission des Nations unies pour la stabilisation du Mali (Minusma), dont les décisions apparaissent parfois en contradiction avec l’idée même de souveraineté nationale, est « un crève-C’œur pour nombre de patriotes, et une insulte à  notre indépendance », témoigne un diplomate malien à  la retraite. Pour ce qui est de l’économie, la domination monétaire de l’ancienne puissance coloniale continue à  travers le Franc CFA, malgré des tentatives d’autonomisation dans les années soixante. Pour preuve, la monnaie des anciennes colonies françaises porte encore aujourd’hui le nom de « Franc », abandonné depuis 2001 par… l’ancienne colonie ! Avec une monnaie indexée à  l’Euro, le Mali, comme tous les pays de la zone franc, est tributaire de la politique monétaire décidée à  Francfort par la Banque centrale européenne. Le débat sur le maintien ou pas du Franc CFA est régulièrement posé, comme l’a fait en août dernier Idriss Deby Itno, président du Tchad. Quant au secteur productif, les grandes entreprises nationales lancées par Modibo Keà¯ta pour développer le tissu industriel, telles que la Compagnie malienne des textiles (COMATEX), la Société nationale des tabacs et allumettes (SONATAM) ou l’Huilerie cotonnière du Mali (Huicoma), ont été reprises par des capitaux étrangers, ou ont périclité pour raison de mauvaise gestion. Le partenariat économique, autrefois dominé par la France, a certes largement été diversifié au profit de la Lybie (hôtellerie), de la Chine (commerce, infrastructures), des Anglo-Saxons (mines), ou du Maroc (finance), mais le fait que des pans entiers de l’économie échappent aux acteurs nationaux, qui manquent de capitaux et parfois de compétences, révèle une certaine forme de dépendance. Conséquence, le Mali possède peu de leviers pour orienter sa politique économique, un constat accentué par la forte implication des institutions de Bretton Woods et des bailleurs bilatéraux, qui financent une part non négligeable du budget national (voir page 6). Sur le plan politique, à  la différence des pays anglophones, comme le Ghana, le Nigeria ou l’Afrique du Sud libérée de l’Apartheid, o๠l’ancienne puissance coloniale s’est véritablement désengagée, les pays francophones ont, en dehors de quelques exceptions, subit la tutelle française. « Système basé sur l’ensemble des relations, des réseaux d’influence et des mécanismes politiques, économiques et militaires », la Françafrique a permis à  la France de continuer de désigner les dirigeants des pays africains, pourtant indépendants, tout en gardant la main mise sur les ressources naturelles. l’arrivée d’une nouvelle génération de leaders africains et français a toutefois atténué ces relations depuis plusieurs années. Et pourtant, aucune élection dans l’ancien pré-carré ne se fait sans que les principaux candidats n’entreprennent des tournées à  Paris pour tenter d’obtenir un soutien, parfois décisif. Le Mali n’y fait pas exception. Sortir des schémas mentaux… Le discours du président Ibrahim Boubacar Keà¯ta (IBK), lors de la signature de l’accord pour la paix et la réconciliation le 15 mai 2015, a montré toute l’irritation d’un chef d’à‰tat suite aux propos paternalistes tenus par Hervé Ladsous, secrétaire général adjoint des Nations unies. Conscient des enjeux de l’heure et de la faiblesse militaire du Mali, IBK a laissé jaillir quelques vérités. « Le Mali n’est ni le Ghana, ni l’Afrique du Sud, anciens élèves des puissances anglo-saxonnes, analyse cet éditorialiste. Il me semble voir en chaque Malien un fort désir de souveraineté héritée du passé glorieux des empires songhaà¯, mandingues et peuls, mais d’un autre côté, il existe cet asservissement économique si fort envers les bailleurs, de ceux qui prétendent vouloir développer le pays. » Pour beaucoup, l’indépendance reste donc une illusion. D’autant plus que la dépendance est avant tout culturelle. Lorsque les élites d’un pays ont majoritairement été formées en France et y passent une bonne partie de leur temps libre, elles gardent des réflexes parfois inconscients, qui ont la vie dure. Pour acquérir la véritable indépendance, un changement de mentalité s’impose donc.