Économie




Adama Camara : « Malgré un environnement difficile, la microfinance est composante importante du secteur au Mali».

Alors que le plan d’action de sa Politique nationale prend fin cette année, le secteur de la microfinance doit encore affronter…

Alors que le plan d’action de sa Politique nationale prend fin cette année, le secteur de la microfinance doit encore affronter de nombreux défis et faire face à de nouveaux enjeux. Le Président de l’Association professionnelle des Systèmes financiers décentralisés (APSFD), Adama Camara, nous fait un état des lieux.

Comment se porte le secteur de la microfinance au Mali ?

L’analyse des indicateurs des Systèmes financiers décentralisés (SFD) dans l’UEMOA en 2019 nous donne les informations suivantes : 508 SFD; 14 554 167 bénéficiaires (Membres et clients) et 4 905 points de service, avec une progression de 11,7% par rapport à 2018.

Le taux de dégradation du portefeuille était en baisse de 6,1% en 2019 contre 7,1% en 2018 (pour une norme exigée de 3%). Les dépôts collectés au 31 décembre 2019 étaient de 1 473 milliards de francs CFA contre 1 243 milliards en 2018, soit une augmentation de 18,5%. Cette progression était de 31% au Mali.

Quels ont été les impacts de la crise de la Covid-19 ?

Depuis le 25 mars 2020, le Mali fait face à cette pandémie. Dans ce contexte, le gouvernement a pris des mesures tendant à réduire la mobilité de la population, avec comme conséquence directe le ralentissement des activités économiques. Cette situation a eu des répercussions importantes sur l’offre et la demande en produits et services de manière générale et sur les produits et services financiers de façon particulière.

Le secteur de la microfinance, avec ses 1 164 940 clients / membres et 115,287 milliards de francs CFA d’encours de crédit, est une réponse efficace à la demande sociale et le meilleur vecteur de l’inclusion financière et de la réduction de la pauvreté au Mali.

En analyse prospective l’impact de la Covid-19 sur le secteur de la microfinance en 2020 se présente ainsi : le nombre des membres et des clients du secteur va passer de 1 030 206 à 982 524, soit une baisse de la clientèle de -4,6% d’une année sur l’autre : le niveau d’octroi de crédits passera de 146 milliards en 2019 à 116 milliards en 2020, soit une baisse annuelle de 20,5% et le niveau de la collecte de l’épargne passera de 115 milliards en 2019 à 88 milliards en 2020, soit un taux en baisse de 23%.

Durant la période sous revue, la qualité du portefeuille de crédit du secteur de la microfinance se dégradera davantage, en passant de 7,2% en 2019 à 8% en 2020.

Où en est-on de la mise en œuvre du plan de relance du secteur ?

Le secteur de la microfinance a été impacté au Mali en 2019 par plusieurs choses, dont l’adoption en 2016 de la Politique nationale de développement de la microfinance 2016 – 2025, accompagnée d’un plan d’action 2016 – 2020. Cette politique a été adoptée en Conseil des ministres le 29 juin 2016, avec comme vision à l’horizon 2025 « de construire un secteur de la microfinance professionnel, qui contribue efficacement à la lutte contre la pauvreté grâce aux services offerts par des SFD majeurs viables et intégrés au système financier global ».

En vue de parvenir à la réalisation de cette vision à l’horizon 2025, le gouvernement, en partenariat avec les acteurs du secteur de la microfinance, avait formulé les orientations stratégiques suivantes : construire un secteur de la microfinance professionnel qui contribue efficacement à l’amélioration des conditions de vie des ménages ; cibler prioritairement les secteurs productifs et générateurs de revenus et d’emplois pour les femmes et les jeunes ; assainir le secteur et protéger les consommateurs ; privilégier un partenariat public-privé efficace pour l’encadrement du secteur.

Il s’agissait aussi de la mise en place d’un mécanisme de refinancement des systèmes financiers décentralisés (MEREF), avec comme objectif général principal la dotation à court terme des systèmes financiers décentralisés du Mali d’un mécanisme de refinancement efficace, de la réalisation d’une série de formations métiers portant sur des thématiques comme : la gouvernance efficace et responsable, l’analyse et le montage des dossiers de prêts agricoles, la gestion des risques environnementaux, le financement de la chaîne de valeur agricole, la gestion des impayés et le suivi post financement, la finance digitale et la finance islamique et la politique de crédit agricole.

Il faut donc poursuivre l’appui aux Systèmes financiers décentralisés en difficulté, car malgré un environnement difficile, la microfinance est sans nul doute une composante importante du secteur financier malien.

Les dernières statistiques du secteur, datant de 2019, montraient une amélioration de la plupart des indicateurs. Les structures agréées sont passées de 127 en 2018 à 86 en 2019 et les membres et clients de 1 164 940 en 2018 à 1 194 429 en 2019. Ces chiffres démontrent le poids de la microfinance en termes d’impact et d’apport dans le financement de l’économie malienne.

La régulation du secteur a-t-elle permis de l’assainir davantage ?

Le secteur de la microfinance a connu des difficultés et des faillites impliquant quelques grosses institutions (MISELINI – JEMENI – JIGIYASOBA – CANEF). À la suite de ces faillites, ces institutions ont eu du mal à rembourser les épargnes des clients, créant des tensions sociales. Les acteurs du secteur de la microfinance, les autorités gouvernementales, les autorités de contrôle et les partenaires techniques et financiers ont donc élaboré un plan d’assainissement et de relance du secteur.

Ce plan visait les objectifs suivants : assainir le secteur et professionnaliser les SFD ; relancer les activités du secteur ; protéger les intérêts des clients et adapter l’offre à la demande des populations et améliorer le cadre institutionnel du dispositif en charge de l’encadrement du secteur (CCS / SFD, CPA / SFD, APSFD – Mali).

La mise en œuvre du plan d’action a permis d’obtenir des résultats notables, comme l’assainissement du secteur à travers des retraits d’agrément, des surveillances rapprochées de certaines institutions et des mises sous administrations provisoires.

Ensuite sont intervenues la stabilisation, avec des renforcements des capacités des ressources humaines et la multiplication des activités de contrôle, puis la relance du secteur, à travers la satisfaction des besoins en ressources financières par la mise en place du Mécanisme de refinancement des Systèmes financiers décentralisés.

Les dernières statistiques du secteur de la microfinance de 2017 à 2019 indiquent une amélioration de la plupart des indicateurs majeurs. Le plan d’action d’assainissement et de relance a donc eu un impact positif sur le secteur de la microfinance.

La finance islamique fait-elle partie des nouveaux outils adoptés par les acteurs ?

La finance islamique et la finance digitale sont des nouveaux secteurs au Mali. Les autorités de tutelle et de contrôle ont élaborés les textes réglementant ces activités. L’Association professionnelle des Systèmes financiers décentralisés du Mali a adopté une stratégie à deux composantes : le renforcement des capacités (formation) des acteurs, pour leur permettre de mieux comprendre la finance islamique et la finance digitale, et l’accompagnement des institutions de microfinance désireuses de mettre en œuvre des activités de ce type.

La finance islamique et la finance digitale en sont à leurs débuts au Mali et vont se développer dans les années à venir.

Quels sont vos principaux défis ?

Malgré les efforts consentis par tous les acteurs, le secteur de la microfinance reste confronté aux défis du financement, à travers l’obtention de ressources financières adaptées et à hauteur de souhait ; de la professionnalisation, par le renforcement des capacités des ressources humaines (Gouvernance et techniciens) ; de la promotion et de l’amélioration de son image de marque ; de la viabilité et de la pérennisation ; de l’adaptation aux grandes évolutions du secteur financier ; du renforcement de l’éducation financière des sociétaires / clients ; de la poursuite de la diversification et de l’adaptation des produits aux besoins des cibles.

Propos recueillis par Fatoumata Maguiraga