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Amadou Haya Sanogo : en attendant la justice

Deux ans jour pour jour après son arrestation, le sort d’Amadou Haya Sanogo, reste indéterminé. L’instruction judiciaire peine à se…

Deux ans jour pour jour après son arrestation, le sort d’Amadou Haya Sanogo, reste indéterminé. L’instruction judiciaire peine à se mettre en place, au moment où le pool d’avocats qui le représente, vient d’adresser une lettre ouverte au Président de la République.

22 mars 2012. Un homme en treillis tient un bâton « magique » à  la main. Pas très grand, il sort de la pièce aménagée au premier étage d’un vieux bâtiment du camp Soundjata Keita de Kati, se met au balcon et salue la foule massée là, curieuse de voir à quoi ressemble celui qui a renversé Amadou Toumani Touré (ATT) et balayé les institutions d’un pays. Interpellé, Amadou Haya Sanogo, le nouvel homme fort du Mali, se laisse aller à  la gloire éphémère d’une après-midi de mars et répond à  ses hôtes d’un signe de la main.

Un règne bref mais agité Quelques mois après cette scène mémorable, l’ex-président du Comité national de redressement de la démocratie et de la restauration de l’État (CNRDRE), aura rétabli la constitution malienne sous la pression de la CEDEAO et de la communauté internationale, dès le 1er avril 2012, sans pour autant abdiquer son nouveau pouvoir. Son règne sans partage aura laissé des traces indélébiles : les arrestations extra-judiciaires d’hommes politiques proches du régime d’ATT ou de journalistes, et le pillage par ses hommes des régies financières de l’État et de certaines sociétés publiques. Plus grave, l’entrée en scène de la junte aura précipité la chute du Nord du Mali aux mains des rebelles et des djihadistes en avril 2012. Quant à  l’agression subie par le président de la Transition, Dioncounda Traoré, le 21 mai 2012, elle demeurera l’un des épisodes les plus noirs de l’histoire politique du Mali.

Sa vie de prisonnier Pourtant, la junte a été amnistiée et pardonnée. Ce qui vaut à  son ex-chef d’être incarcéré, C’est son rôle présumé dans l’assassinat d’une vingtaine de bérets rouges le 30 avril 2012, lors de la tentative de contre coup d’état perpétrée par ces derniers, de même que la disparition de plusieurs militaires bérets verts en octobre 2013. Amadou Haya Sanogo, promu général à  la fin de la Transition, a été cueilli le 27 novembre 2015 à Bamako, avant d’être emprisonné à  Sélingué à 160 km de la capitale. Il sera ensuite transféré à Manantali dans le sud-ouest du pays en décembre 2014. Dans cette localité de la région de Kayes, il vit dans des conditions spartiates. Cela dit, « il n’est pas confiné dans une cellule, mais dans un camp et surveillé par une dizaine d’éléments de la gendarmerie nationale. Il dispose d’une télévision, reçoit des visites régulières de ses proches, dont sa femme, et prie beaucoup. De temps à  autres, il lui est permis de faire quelques exercices sportifs et de jouir de la climatisation », précise un porteur d’uniforme sous anonymat. Pour ce qui est de son alimentation, il ne serait pas en privation et recevrait régulièrement des plats envoyés par sa famille depuis Bamako. Si quelques articles de presse ont fait état de problèmes de santé, évoqués par l’une de ses avocates comme une violation flagrante des droits de l’Homme, un autre avocat du pool, joint par téléphone et qui se rend à  Manantali à la demande, déclare : « Il va bien, il a le moral » !

Sa stratégie de défense Sur le plan judiciaire, Sanogo et une dizaine de ses compagnons, dont le capitaine Amadou Konaré et l’adjudant-chef Seyba Diarra, sont poursuivis pour « assassinat, complicité d’assassinat, enlèvement de personnes et séquestration », suite aux affrontements qui opposèrent bérets rouges, les commandos parachutistes restés fidèles à  l’ancien président ATT, et les bérets verts dont est issue l’ex-junte. La découverte d’un charnier à  Diago d’où furent exhumés les corps de 21 soldats, menottés et froidement abattus, scella le sort du général et de ses acolytes. C’est la chambre d’accusation de la cour d’appel de Bamako, qui examine actuellement le dossier, qui aura à  valider ou pas les conclusions de l’instruction. Son verdict est attendu pour le 22 décembre. S’ensuivra un probable envoi devant la cour d’assises, à  qui il appartiendra de statuer sur leur culpabilité lors d’un procès. Quant aux hauts gradés détenus pour la même affaire, les généraux Ibrahim Dahirou Dembélé, chef d’état-major général des armées au moment des faits, Yamoussa Camara, ministre de la Défense, et Sidi Alassane Touré, directeur de la Sécurité d’État, ils devraient bénéficier d’un non-lieu, faute de preuves de leur culpabilité. À Manantali, l’ex-putschiste de 43 ans prépare patiemment sa riposte, appuyé par les sept avocats qui assurent sa défense. Dans une lettre datée du 16 novembre 2015 et destinée au Président de la République du Mali, Ibrahim Boubacar Keita, que Journal du Mali a pu se procurer, ils reviennent sur l’interpellation du Général Sanogo et insistent sur un « manque de justice et d’équité » dans le traitement du dossier de leur client. Pour eux, il est anormal que lui et ses camarades soient toujours incarcérés, alors que le colonel Abdine Guindo, chef des bérets rouges au moment de la tentative de contre coup d’état, et ses compagnons ont été libérés, leurs mandats de dépôts n’ayant pas été renouvelés à  temps. « Plus d’une trentaine de personnes ont été tuées par les balles des éléments bérets rouges opérant sous la direction du Colonel Abdine Guindo. Nous ne comprenons pas pourquoi, à ce jour, ce dossier n’est toujours pas sur la table de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Bamako », explique Me Mariam Diawara, porte-parole des avocats de Sanogo. « Vouloir programmer un jugement des bérets verts sans celui des bérets rouges d’abord, n’est pas juste », ajoute-t-elle. Autre fait notable, la lettre indique qu’aujourd’hui tous les militaires poursuivis dans le groupe d’Abdine Guindo sont en liberté provisoire et déployés dans des services, à  l’intérieur ou à  l’extérieur du pays, en violation de la procédure pénale qui concerne les militaires. À titre d’exemple, Mohamed Lamine Konaré, dit Mala, fils de l’ancien président, à  l’Union africaine ; le colonel Baba Abdel Kader Coulibaly inculpé, en liberté provisoire, est attaché militaire à  l’ambassade du Mali au Maroc ; le Colonel Abdoulaye Cissé, inculpé, en liberté provisoire, est en service en République Centrafricaine. Tous trois « sur décret présidentiel », est-il précisé. « Le Général Amadou Haya Sanogo et les parties civiles sont méprisés dans cette procédure, estime encore Me Diawara, selon qu’on est proche du régime de l’ex-président démissionnaire ou pas, on sera plus ou moins mieux traité ou mal traité ».

En conclusion de leur missive, le collectif des avocats, qui n’a toujours pas obtenu de réponse officielle, dit réclamer plus de « justice et d’équité dans le traitement des dossiers des deux groupes de militaires, pour l’honneur et la dignité de tous ». Ils espèrent « qu’au Mali, certains Maliens ne sont pas au-dessus de la loi ». Reste à  savoir si une défense pour l’instant axée sur la différence de traitement entre les deux parties qui étaient en conflit suffira à  disculper le général. Victime ou bourreau ? Le procès à  venir permettra à la justice de trancher.