Aqmi, un business à désert ouvert

Les prises d'otages occidentaux menées par ou pour Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) au Sahara, C'’est aussi du business. Un…

Les prises d’otages occidentaux menées par ou pour Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) au Sahara, C’’est aussi du business. Un business rentable. Les renseignements maliens estiment à  50 millions d’euros les montants versés dans le Nord-Mali entre 2003 et 2010, au rythme moyen de deux prises d’otages par an – un tempo qui s’accélère depuis deux ans. Selon un responsable de la police malienne, «des voyous sont en train de se spécialiser dans le rapt d’étrangers pour les revendre à  Aqmi». Chaque Européen enlevé par des complices d’Al-Qaeda serait «revendu» aux terroristes pour des tarifs allant de 15 000 à  300 000 euros. Les ressortissants américains et britanniques ne sont pas visés, puisque leurs gouvernements refusent de payer des rançons. Les sommes versées par certains pays européens, en revanche, se comptent en millions d’euros. Elles sont livrées en billets de banque dont l’authenticité est minutieusement vérifiée par Aqmi. Pluie d’argent. Le 23 août, deux otages espagnols ont été libérés en échange d’une forte rançon et de la libération «d’Omar le Sahraoui», un homme d’Aqmi de nationalité malienne, détenu en Mauritanie. Le quotidien espagnol El Mundo, citant un conseiller du gouvernement algérien, a évoqué un montant de 7 millions d’euros. Autrement dit, une pluie d’argent dans le désert et des zones de grande pauvreté o๠seules deux activités légales sont possibles : l’élevage ou le tourisme. Le magot, une fois reçu, serait caché très loin des lieux de libération effective des otages. Il servirait à  enrôler de nouvelles recrues, à  payer les intermédiaires qui négocient la libération des otages, et à  acheter des armes, au Tchad ou auprès de marchands qui font le déplacement jusqu’aux hommes d’Aqmi. A Bamako, l’organisation est soupçonnée d’investir dans le foncier, en achetant terrains et villas. Ses chefs ont d’abord été des bandits. l’Algérien Mokhtar Belmokhtar, 38 ans, était contrebandier avant de devenir l’émir d’un mouvement terroriste algérien, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC). Marié à  une femme touarègue, il est connu au Mali sous le nom de «Laouer» («le Borgne») et pour son profil de caà¯d. «Il est d’abord et avant tout intéressé par l’argent, même s’il se radicalise de plus en plus», affirme un diplomate européen. Quant à  Abou Zeid – l’homme qui détient depuis le 16 septembre les sept employés d’Areva et Satom enlevés à  Arlit -, C’’est lui aussi un ex-trafiquant du Sud algérien ayant versé dans le terrorisme. A la tête d’une autre katiba (phalange) d’Aqmi, il affiche une ambition plus clairement politique que celles de Belmokhtar. Deux otages sont morts entre ses mains : le Britannique Edwin Dyer, en juin 2009, et le Français Michel Germaneau, en juillet dernier. Selon un diplomate, les rivalités internes d’Aqmi rendent la gestion des prises d’otages de plus en plus difficile. Les katibas du mouvement, qui se réclame d’Al-Qaeda depuis le 11 septembre 2006 et a revendiqué plusieurs attentats sanglants à  Alger, opèrent sous l’égide plus ou moins lâche d’Abdelmalek Droukdel, 40 ans, chef de l’ancien GSPC. Au départ, ils étaient une centaine de membres, avec un noyau central issu du maquis algérien, dont quelques-uns ont été formés en Afghanistan et beaucoup recrutés en Mauritanie. Désormais, les chefs ne sont plus seulement algériens et le mouvement a pris racine au Mali. Le quatrième émir d’Aqmi, Abdelkrim, est notamment un imam touareg de nationalité malienne. l’organisation, qui compte entre 450 et 500 hommes – au tiers des Mauritaniens -, recrute partout : dans le désert, parmi les migrants africains qui tentent le passage vers l’Europe, mais aussi dans les mosquées de la sous-région, en repérant les fidèles les plus assidus et en leur proposant de l’argent. «On rejoint Aqmi pour trois grandes raisons, note un connaisseur du dossier : par nécessité le plus souvent, par conviction parfois, ou pour jouer les Rambo.» Age moyen de 25 ans. Les combattants, dont l’âge moyen tourne autour de 25 ans, communiquent entre eux en arabe et en anglais. Plusieurs nationalités africaines cohabitent donc au sein d’Aqmi : Algériens, Mauritaniens, mais aussi Marocains, Maliens, Nigérians, Ivoiriens, Burkinabés et Camerounais. «C’’est un Sénégalais formé en Arabie Saoudite qui traduit en arabe les bulletins de Radio France Internationale», affirme Serge Daniel, le correspondant de la radio française et de l’AFP à  Bamako. Selon des sources diplomatiques, Aqmi ne compte aucun élément non africain – ce que conteste un journaliste malien, qui affirme avoir vu dans les environs de Kidal (est du Mali) un Pakistanais et un Indonésien liés à  Aqmi. Dans l’espace propice à  l’illégalité que représente le désert, des formes diverses de criminalité se superposent. Migrants, cigarettes, armes, drogue… Même les denrées alimentaires font l’objet d’une contrebande entre l’Algérie et le Mali. Aqmi ne se mêlerait pas du trafic de cocaà¯ne, mais pourrait prélever un droit de passage. Selon Yvan Guichaoua, chercheur d’Oxford, spécialiste des groupes armés de la région, l’habillage islamiste d’Aqmi cache aussi des trafics lucratifs. «Ces hommes sont perçus à  Tamanrasset comme les plus grands fraudeurs, disposant des meilleurs 4 x 4», explique-t-il. Si toute la communauté touareg du Mali ne peut pas être considérée en bloc comme complice, l’argent des rançons est largement redistribué dans le désert. A Kidal, dernière ville du pays avant la frontière algérienne, réputée être le fief d’Aqmi, des villas aux allures de palace ont été construites ces dernières années, et des 4 x 4 rutilants circulent dans les rues sablonneuses. «Aqmi est en immersion dans la population, explique le patron d’un journal malien. Ces gens sont devenus malgré nous nos parents, et il n’est pas possible de les dénoncer. Si je donne ma fille à  un combattant d’Aqmi qui me met dans un confort relatif, je n’irai pas le livrer à  un Etat qui n’a jamais rien fait pour moi.» l’absence de perspectives pour les jeunes et la faiblesse des programmes de développement jouent en faveur du mouvement. Pas «clean». Les intermédiaires qui servent à  négocier la libération des otages sont officiellement des notables et des élus touaregs, mais ils ne sont pas «clean», selon un haut responsable de la police : «On ne connaà®t pas la nature de leur contact avec Aqmi, ni en amont ni en aval des prises d’otages.» Iyad Ag Ghali, l’intermédiaire actuel entre les autorités maliennes et l’émir Abou Zeid, est un homme qui montre plusieurs visages : chef rebelle dans les années 90, il est toujours donné comme «marchand d’armes» par les renseignements d’un pays voisin du Mali. Il a œuvré à  la libération de plusieurs otages, de 2003 à  2007, avant d’être nommé premier conseiller au consulat du Mali à  Djedda, en Arabie Saoudite, d’o๠il est revenu il y a seulement quelques mois. Iyad Ag Ghali est aussi prêcheur, au sein d’une dawa (mission prosélyte) pakistanaise installée depuis les années 90 au Mali. Rien à  voir avec une quelconque radicalisation de l’islam touareg : «Cette dawa est pacifiste, non politisée, adepte d’un islam introspectif et non jihadiste», explique une spécialiste de l’islam malien. La présence d’Al-Qaeda au Maghreb change surtout la donne en pays touareg sur le plan financier. «Les jeunes ne sont plus seulement les obligés de leur chef militaire touareg de l’ex-rébellion, note un officier de l’armée de l’air malienne. Il y a des opportunités d’affaires, et ça rajoute à  la pagaille. On tombe sur des situations absurdes, comme un simple berger qui possède un téléphone Thuraya.» Cet appareil satellitaire permet de communiquer partout, sans être repéré. Le même berger, quand il voit une colonne de véhicules passer, peut aussi bien prévenir des bandits touaregs que des trafiquants algériens, des membres d’Aqmi, l’armée mauritanienne, les services algériens ou une combinaison fluctuante de ces différents interlocuteursÂ