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Azawad-Mali : le point de non-retour ?

Pour faire face au MNLA, le gouvernement utilise des milices tribales épaulées par des mercenaires, européens notamment. Le pouvoir malien…

Pour faire face au MNLA, le gouvernement utilise des milices tribales épaulées par des mercenaires, européens notamment. Le pouvoir malien montre à  l’occasion de ces événements une certaine perte de contrôle, perte de contrôle qui s’est également manifestée très explicitement dans son incapacité à  protéger les civils touaregs et maures à  Bamako, dans la capitale même, et à  Kati, à  quelques pas des casernes, ce qui est un comble ! Des membres de ces communautés ont vu leurs maisons et leurs biens saccagés lors de manifestations de xénophobie dont personne ne suppose qu’elles ont surpris véritablement les autorités du pays. En se montrant incapable de protéger ses ministres et leurs familles contre des manifestants dont les actes ont montré la nature et révélé à  la face du monde les limites du sentiment national de certaines élites et d’une partie importante du peuple malien, l’Etat s’est profondément décrédibilisé. Derniers événements l’Etat malien aurait perdu en quelques semaines le contrôle de plus de la moitié du territoire de l’Azawad. Cela prouve une fois de plus que la solution à  ce conflit ne peut pas être réduite à  une issue militaire. Et que le Mali n’a pas les moyens d’imposer son autorité sur ce territoire par la force. D’abord, parce qu’il n’en a pas les moyens matériels et humains, ensuite parce que les militaires originaires du Sud commencent à  être gagnés par le doute sur le sens de cette guerre contre leurs frères et voisins avec lesquels il faudra bien, le moment venu, travailler afin de sortir collectivement du sous-développement. Qu’est-ce qui peut se passer dans la tête d’un jeune officier malien du Sud qui va se battre si loin de chez lui pour des raisons qui ne peuvent pas le convaincre pleinement ? Que pense défendre cet officier ? Contre quels ennemis ? La situation actuelle fait surtout souffrir les populations de l’Azawad. Elles sont aujourd’hui contraintes à  fuir pour espérer survivre. Entre la répression du pouvoir et la crainte de représailles orchestrées par l’armée à  travers ses milices, certaines populations de l’Azawad n’ont pas d’autre choix que de traverser la frontière la plus proche pour espérer échapper à  la mort. Des familles ont été victimes de bombardements aériens effectués avec des hélicoptères pilotés par des mercenaires ukrainiens. Cela donne une dimension symbolique supplémentaire à  cette répression qui agrandit le fossé entre le Mali et ces populations. l’Etat malien a perdu toute légitimité à  se prévaloir du droit au monopole de l’usage de la violence. En effet, ce monopole ne peut exister que pour sauvegarder un ordre juste, or, celui qui est établi au Mali ne l’est pas ! A ce jour, la seule résistance significative rencontrée par les combattants du MNLA vient de leurs frères touaregs et maures encore aux côtés de l’Armée gouvernementale. Ces officiers touaregs et maures qui ont visiblement du mal à  donner un sens à  leur engagement contre les intérêts de leurs communautés. D’autant plus que leurs propres familles sont victimes d’exactions de la part d’autres milices instrumentalisées de la même façon par les mêmes autorités maliennes. Accepter le réel pour éviter le chaos De l’avis de l’ensemble des observateurs, cette crise ne peut pas avoir une issue militaire. Aucun des belligérants n’est en capacité militaire d’écraser l’autre durablement. Ce constat n’est pas nouveau, mais la puissance de feu du MNLA aujourd’hui montre que la voie militaire ne peut être qu’une impasse dans la recherche d’une solution définitive à  ce conflit qui a commencé avec la naissance de l’Etat malien. Il est temps que les élites maliennes et azawadiennes se libèrent des chaà®nes postcoloniales pour penser par elles-mêmes l’avenir de leurs communautés. Et cela ne peut passer que par un diagnostic qui se fonde sur des réalités socioculturelles et des expériences politiques du passé. Il existe bel et bien une identité de l’Azawad forgée par des siècles de cohabitation et de brassage entre les communautés songhaà¯e, touarègue, maure et peuhle. Ces communautés partagent un ensemble de référents culturels qui les différencient des peuples du sud du Mali actuel. Il n’est pas imaginable, par conséquent, de croire que le développement de l’Azawad peut se concevoir efficacement à  partir de Bamako. D’autant plus que le Sud, emberlificoté dans ses propres problèmes sur un fond de corruption endémique, n’est pas très curieux à  l’égard du Nord en question, ce territoire qu’il prétend être une partie de lui-même, mais qu’il juge sans cesse trop éloigné de ses préoccupations quotidiennes, constamment embarrassant, parfois même inquiétant et incompréhensible, et voué invariablement à  servir de bouc émissaire dès qu’il y a un malaise dans ses rangs. De plus, nous ne devons jamais oublier les innombrables projets de développement financés et pilotés de l’extérieur qui ont sombré corps et biens sans laisser de traces parce qu’ils n’avaient pas réussi à  créer le moindre petit lien organique susceptible de se greffer harmonieusement avec la terre et les hommes censés en être les bénéficiaires ! En Afrique, combien de milliards de francs CFA, de dollars ou d’euros ont ainsi sombré dans les sables, mais dont les dossiers bien rangés remplissent encore les rayonnages des bibliothèques des organisations humanitaires du Nord ! De plus, quelle ONG osera avouer un jour qu’elle s’est très souvent plantée et qu’elle n’a su sauvegarder que les apparences afin de se perpétuer elle-même dans la plus parfaite indifférence aux attentes que ses propres gesticulations avaient pu engendrer ? Certains médias et intellectuels maliens s’acharnent encore à  caricaturer la question politique posée par l’Azawad en la ramenant à  une fantasmagorique opposition entre Noirs et Blancs. Cette fixation sur la couleur de la peau est décidément un réflexe dès lors qu’il s’agit de Touaregs. Comme s’ils ignoraient que cette communauté s’est construite autour d’une langue et d’une identité qui cimentent aujourd’hui un sentiment d’appartenance qui va du Burkina-Faso à  la pointe sud de la Tunisie ! Les Touaregs noirs et blancs sont porteurs de la même volonté de protéger leur langue et leur culture, en un mot leur dignité. Il n’existe pas de type physique touareg qui pourrait servir de base pour diviser cette communauté et réduire son rôle dans la région sahélo-saharienne. l’Etat malien a souvent instrumentalisé l’opportunisme des uns et le fatalisme des autres pour ne pas reconnaà®tre la réalité du problème politique qui se pose au Nord. Sur cet aspect, la responsabilité est aussi celle des élites de l’Azawad qui ne jouent pas pleinement leur rôle à  l’égard de leurs communautés. Il y a une certaine hypocrisie des autorités maliennes à  chercher à  faire passer la situation actuelle uniquement comme une conséquence collatérale de la révolution libyenne. Hier, C’’était Kadhafi qui manipulait les Touaregs pour déstabiliser le Mali ; aujourd’hui, on invente d’autres échappatoires… A quand une approche réaliste et responsable pour en finir une fois pour toutes avec cette question ? Cette question vaut pour le Niger voisin, qui devrait mettre à  profit le climat apaisé du moment pour se prémunir contre toute évolution similaire. Pour cela, un diagnostic sérieux de la situation devrait permettre de dégager une méthode et des moyens politiques à  même de mettre définitivement fin aux dysfonctionnements de l’Etat qui sont à  l’origine des rébellions armées. Pour faciliter un débat national constructif et susceptible d’aboutir à  ce résultat, les autorités nigériennes ne devraient pas s’immiscer dans le conflit actuel au Mali. On peut légitimement s’inquiéter du fait que le président actuel du Niger ne perçoit, lui aussi, le conflit actuel au Mali que comme « une conséquence collatérale de la révolution libyenne ». Cela pourrait indiquer qu’il ne s’est pas réellement penché sur les raisons qui ont amené des communautés de cette bande sahélo- saharienne à  prendre régulièrement les armes contre les Etats depuis cinquante ans. A moins que ses stratèges et autres conseillers n’aient pas pris la peine de se forger leurs propres analyses. Se limitant à  reprendre les clichés ou manipulations des médias étrangers sur la question ! La leçon qui s’impose aujourd’hui, plus de cinquante ans après la création de ces pays, est que les frontières ne suffisent pas à  faire un Etat, encore faut-il que le pacte national qui les porte soit réellement partagé par l’ensemble des populations dont il organise la cohabitation et l’épanouissement. Le Mali, dans ses frontières actuelles et avec le type de gouvernance qu’il s’est doté, fonctionne mal. Une photographie de la classe politique et de son discours, des médias, de l’administration… montre que le pays s’est construit autour d’une vision communautaire essentiellement sudiste. l’Etat n’a pas été équitable dans son traitement de la diversité culturelle du pays. Et la communauté touarègue n’est pas la seule victime de cet ethnocentrisme structurel qui fait que le chef de l’Etat utilise l’une des langues nationales comme une langue officielle au détriment des autres. Les Maliens doivent avoir le courage d’admettre que le temps « des mariages forcés » est révolu ! Et qu’il faudra bien se poser la question d’une refondation nationale à  partir des réalités et des aspirations des peuples ! Aujourd’hui, le seul contrat national qui devrait exister est celui que les peuples construisent en connaissance de cause. Les frontières tracées par le colonisateur ne devraient plus être un blocage à  notre capacité de nous penser par nous-mêmes et de décider, ensemble, de l’avenir que nous voulons pour nos enfants. Les aspirations des peuples Les peuples de cette bande sahélo-saharienne seront-ils en mesure d’avoir aussi leur printemps des peuples et de vivre leur révolution démocratique ? Peuvent-ils contribuer ainsi à  la déconstruction des systèmes postcoloniaux qui continuent à  freiner considérablement l’évolution politique et économique de la sous- région ? Ces systèmes ont fait la preuve de leur incapacité à  se réformer, malgré l’avènement d’un pluralisme politique qui n’a jamais réellement débordé des cercles classiques de pouvoir constitutifs du système postcolonial. Aujourd’hui, nombre d’Africains commencent à  se poser la question d’une refondation politique afin de briser les chaà®nes et de permettre, enfin, un épanouissement et une réelle émancipation des peuples pour une intégration africaine susceptible d’ouvrir la voie vers un véritable élan de développement économique et social. Dans ce combat pour une gouvernance imaginée et mise en œuvre par ceux qu’elle concerne, l’Azawad a toujours été en première ligne et cela depuis la création du Mali et son accession à  l’indépendance. Plusieurs dizaines de milliers de ses fils ont ainsi perdu la vie, victimes de la répression de l’Etat malien et des conséquences de sa malgouvernance. Il a fallu la rébellion des années 90 pour réveiller l’Etat malien et lui faire admettre qu’il avait délaissé le nord du pays depuis l’indépendance. Les derniers événements à  Bamako et à  Kati ont fini par convaincre les plus sceptiques de la pertinence des revendications portées par les populations de l’Azawad. Il suffit d’analyser les déclarations consécutives à  ces pillages pour s’apercevoir que les autorités maliennes, le président actuel en tête, ont déjà  intégré, si cela n’a pas toujours été le cas, qu’il s’agit bien de deux entités différentes. En tout cas, que certains Touaregs peuvent être des gens gentils qui vivent tranquillement « avec nous ». Excusez du peu. « Vivre tranquillement « avec eux » » ? Ce serait assez comique si la situation n’était pas aussi invariablement tragique dans ses conséquences ! La classe politique et la société civile malienne n’ont pas su être aux côtés des communautés touarègue et maure quand ces dernières furent victimes des massacres des années 90. Bien au contraire, des campagnes systématiques de stigmatisation de ces communautés ont pu se dérouler sans que ceux qui se prétendent être « démocrates » aient eu un mot à  redire ! N’oublions pas la requête d’un président malien des Droits de l’homme suppliant les pays occidentaux d’envoyer des hélicoptères afin chasser plus rapidement ces hommes qui devaient l’empêcher de dormir sans que personne détecte quelque chose d’incongru dans cette requête… de la part d’un président des droits de je ne sais qui devait confondre sa charge avec celle d’un général en chef ! Ce temps n’est cependant pas si lointain, car on marche encore toujours sur la tête, hélas ! Quoi qu’il en soit, ces événements qui datent de deux décennies et les derniers émanant de Bamako et de Kati ne doivent pas être pris à  la légère par les acteurs de cette question. Ils aggravent le fossé entre le Mali et les communautés de l’Azawad plus que ne le fera jamais la guerre elle-même ! Aucune amnistie, dans le cadre d’accords entre les belligérants, ne saurait s’appliquer aux criminels ayant du sang de civils sur les mains. Les victimes, leurs familles et les associations de droits de l’homme pourront toujours s’adresser aux juridictions internationales pour demander justice. Par ailleurs, une commission vérité et justice sera indispensable pour établir les responsabilités et jeter les bases d’une paix durable. La communauté internationale Sur un plan plus général, on ne peut pas à  la fois se réjouir du réveil des peuples en Tunisie, en Libye, en Egypte… et s’étonner que l’Azawad veuille aussi améliorer ses conditions de vie et accéder aux mêmes libertés que revendiquent les autres régions et pays du monde Le dogme de l’intangibilité des frontières, tracées par les colonisateurs il y a un siècle, ne saurait résister longtemps aux aspirations démocratiques des peuples. Il revient donc aux élites de se libérer et de laisser s’épanouir leur capacité à  relever ce défi. Les peuples et les régions ont besoin de reconnaissance et de considération pour adhérer à  des regroupements plus importants au-delà  des pays actuels. En effet, la tendance sur tous les continents est à  l’abolition des frontières symboliques pour retrouver une capacité plus grande de peser dans la gouvernance et sur les marchés mondiaux. La responsabilité de la communauté internationale est plus que jamais engagée dans ce conflit. Il serait dangereux que l’intérêt de cette communauté internationale ne se manifeste que par le soutien au pouvoir malien ou par les menaces incongrues de la CDEAO. La CDEAO, dont un éventuel engagement militaire risque fort d’avoir exactement l’effet inverse de celui qui serait recherché. Une intervention militaire étrangère ne pourrait se concevoir que pour protéger les populations civiles et leur éviter ainsi de devoir tout abandonner pour échapper aux exactions de l’Armée et de ses milices. Cela permettrait de sécuriser les populations déplacées et de faciliter le retour des réfugiés en attendant une résolution définitive du conflit. Conclusion Les erreurs du passé doivent servir de leçon et un règlement de cette question ne saurait être définitif que si toutes les composantes du peuple de l’Azawad se reconnaissent et s’approprient ces évolutions politiques. Cela suppose un engagement sans ambiguà¯té des organisations qui portent les aspirations de ces peuples à  propos de leur caractère démocratique et pluraliste. La France et l’Algérie, qui avaient parrainé les différents accords signés ces vingt dernières années entre l’Etat malien et des organisations politico-militaires de l’Azawad, se doivent aujourd’hui d’imaginer une autre forme d’accompagnement des parties en conflit, pour assurer une réelle stabilité et l’avènement d’une paix juste et durable. Pour cela, il est essentiel que la question politique soit enfin traitée sur le fond et que les considérations sécuritaires ne soient plus qu’un volet, certes essentiel, mais parmi d’autres. Abdoulahi ATTAYOUB Temoust, Lyon (France) temoust@hotmail.com