Société




AZAWAD : La pomme de discorde

« L’Azawad », est depuis sa « création », en quête d'une reconnaissance juridique et politique. La Conférence d’entente nationale, qui s’est tenue du…

« L’Azawad », est depuis sa « création », en quête d’une reconnaissance juridique et politique. La Conférence d’entente nationale, qui s’est tenue du 27 mars au 2 avril à Bamako, a, autour de la table des discussions, permis de débattre sur ce terme. Mais le rapport final de la conférence a conclu qu’il ne pouvait faire l’objet d’aucune revendication politique. Un échec pour la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), dont le but est de parvenir à la gestion autonome de ce territoire qui engloberait les 5 régions du Nord. Et ce malgré le fait que les populations se montrent globalement réfractaires à ce projet.

La reconnaissance de l’appellation « Azawad », un concept jugé sensible, cher à certains et rejeté par d’autres, était au cœur des débats parfois houleux, fin mars début avril, lors de la Conférence d’entente nationale à Bamako, sans parvenir à un consensus, entre ceux qui défendent la reconnaissance d’un statut politique et juridique pour ce territoire, et ceux qui ne veulent pas en entendre parler. Cette volonté d’une reconnaissance politique de l’Azawad, portée par la CMA, s’est heurté, aux conclusions de cette rencontre nationale tant attendue : l’Azawad en tant qu’entité mémorielle, humaine et culturelle ne doit renvoyer à aucun projet politique et ne peut englober toutes les régions dites du Nord. Pour autant, la question n’est pas réglée, et ses défenseurs s’activent à faire de ce projet une réalité, sur le long terme, la reconnaissance du nom n’étant qu’une première étape vers une autonomie désirée, pour ce territoire qu’ils veulent voir se distinguer d’un Mali unitaire.

Un projet nommé « Azawad » « Les gens ici utilisent le terme « projet » pour parler de l’Azawad. Ça remonte aux années 90 quand les Touaregs de l’armée de Kadhafi, dont Iyad Ag Ghaly, sont revenus au pays et ont lancé une rébellion, qui s’est rapidement dissoute en plusieurs mouvements et ces mouvements accollaient tous le mot Azawad à leurs noms. C’est à partir de ce moment que l’Azawad est devenu politique, une sorte de produit commercial ou marketing. Le Mouvement populaire pour la libération de l’Azawad (MPLA) de Iyad, fut le premier mouvement a porté le «L» de libération. Il fallait libérer le territoire nommé Azawad du Mali, bien avant le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) », explique cet habitant de Kidal.

Pour certains, c’est dans les années 70, juste après la grande sécheresse de 1973 qui fit de nombreuses victimes dans la population touarègue, que le mot « Azawad » apparu, un territoire nécessaire pour une rébellion en préparation. « À l’époque, j’avais 20 ans. J’étais stagiaire dans une banque en Algérie. J’ai été approché par des membres actifs de la rébellion de 1963, qui avaient pour mission de créer une rébellion, une résistance. C’était en juin 76. Pour la première fois, j’entendais parler de l’Azawad », se remémore Ibrahim, un cadre de la CMA. « Le terme même m’a paru convaincant. Ils m’ont dit qu’il fallait un nom qui puisse rassembler le maximum dans la partie septentrionale du Mali, un nom fédérateur. J’ai prêté serment pour cet Azawad », ajoute-t-il. À l’époque, le nom de l’Azawad ne souffrait pas de discussion, il était acquis, comme était acquise l’idée d’aller se battre au Mali.

Aujourd’hui, après la crise qu’a traversé le pays, le terme ne semble plus aussi fédérateur, sa défense n’étant soutenue que par certains mouvements armés et des radicaux. « Il y a ceux qui veulent l’indépendance, qui défendent leur territoire. Ceux-là, ils sont là-bas au nord. On ne les retrouve pas sous les climatiseurs à Bamako. Quand vous allez dans les brousses, il y a des gens qui n’ont jamais vu le moindre petit apport de l’État malien. Pour eux, ça n’existe pas. Ils n’ont jamais été soigné, ils n’ont jamais eu l’eau à boire, il n’y a rien qui les poussent à vouloir devenir malien. C’est un raisonnement radical. Ils sont nombreux et ils le pensent vraiment », témoigne cet employé humanitaire de la région de Kidal.

« La question de l’Azawad est à mon avis plus une question à débattre mais davantage un leadership que le gouvernement doit imprimer dans la mise en œuvre de l’Accord : la mise en place du MOC, du DDR, le développement notamment routier, si on arrive à régler ce problème là, les 90 % du problème sera réglé », résume le socio-anthropologue Naffet Keita.

Être ou ne pas être azawadien Pendant les consultations pour la Conférence d’entente nationale dans les régions du Nord, beaucoup se sont interrogés sur la nécessité de faire partie de l’Azawad. À Tombouctou, Taoudéni, Gao et même Kidal, l’identification des terroirs surpasse l’appartenance à cette entité symbolique. « L’Azawad c’est une importation récente pour nous. Je ne me retrouve pas dans ce terme-là. C’est un truc de Tombouctou. Je suis de Kidal et je suis plus fier d’être de là-bas. C’est, en réalité, un terme pour dominer la majorité », affirme Abda Kazina, vice président de l’Assemblée régionale de Kidal. Selon lui, cet avis semble partagé par un grand nombre qui ne se considère pas comme azawadien, mais l’affirmer serait plus compliqué. « La CMA sait que les gens ici sont totalement contre ça et parfois plus que les sudistes. Mais comme c’est la CMA qui contrôle la ville, les gens sont muselés, ils ne peuvent exprimer leur opinion. Pour la CMA qui n’a pas pu atteindre son objectif, la reconnaissance du nom Azawad c’est le minimum qu’ils veulent donner aux radicaux qui les ont soutenus, les femmes, les jeunes gens qui se sont battus, les parents des combattants morts sur le champ de bataille. C’est le minimum qu’ils peuvent donner comme satisfaction aux familles des victimes », explique cet habitant de Kidal sous anonymat. À Tombouctou, beaucoup ne veulent plus entendre parler de ce nom. « Ça crée des problèmes, des divisions. Ça voudrait dire que les accords, la conférence, tout ça n’a abouti à rien », objecte Mohamed Alher, un journaliste de Tombouctou. « Refuser de reconnaître un statut politique et juridique de l’Azawad, va plus galvanisé les gens. Moi je vous assure qu’ils ne déposeront pas les armes pour le DDR. On vous enlève votre Azawad, on vous désarme, où sont les mesures de confiance ? Il n’y a aucune mesure de confiance ! » s’exclame ce combattant de la CMA.

Pour Moussa Ag Acharatoumane, un ancien du MNLA qui a âprement milité pour l’indépendance de ce territoire, le caractère républicain et laïque de l’État malien, n’est plus à remettre en question. « L’appelation « Azawad » ne doit pas cacher la création d’un État. Il y a des pour, des contre, ceux qui voient une sécession derrière ça. Mais il faudra que l’ensemble des Maliens s’assoient pour vraiment discuter par rapport à cette appellation et que son caractère diabolique soit mis de côté pour essayer de trouver des solutions qui soient en harmonie avec les engagements nationaux et internationaux », explique-t-il.

Vers un référendum ? Ce qu’a montré la Conférence d’entente nationale sur le sujet Azawad c’est qu’au delà de la cacophonie des débats entre partisans et détracteurs, la question de l’Azawad est loin d’être tranchée. Pour certains, des concertations voire un référendum dans les régions du Nord doivent avoir lieu pour clore la question. « Il faut faire des concertations locales, au niveau de Kidal, Ménaka et Taoudéni, demander à l’ensemble de ces populations si elles sont d’accord avec le nom Azawad », déclare Oumar Alassane Touré, président de la Coordination nationale du réseau des jeunes patriotes du Nord pour la paix et le développement.

En attendant d’éventuelles concertations, le concept d’Azawad reste vivace dans l’esprit de nombreuses personnes dans le Nord du Mali, qui espèrent que tout ce qui s’est passé de 2012 à maintenant n’a pas été vain. Pour eux, la reconnaissance du nom Azawad est un début satisfaisant, un premier pas qui, s’il est finalisé, mènera à d’autres qui pourront apporter à une forme d’autonomie ou d’autogestion. « Il y a toujours cette idée profonde des gens de ne plus être commandés par Bamako. Ça c’est le fond. Ils ont dit oui à un Azawad mémoriel, culturel mais pas politique. Le gouvernement a raison de se battre sur ce point, comme les Azawadiens ont raison de pousser les choses pour y parvenir. Nous sommes d’accord pour un référendum dans les 5 régions du Nord, mais vous pouvez être sûr que nous n’irons certainement pas au référendum juste pour un Azawad mémoriel », conclut Ibrahim.