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Cannes, la dernière frontière

Dimanche 24 mai, le 62ème festival de Cannes a refermé ses portes après une prestigieuse remise des trophées, comme chaque…

Dimanche 24 mai, le 62ème festival de Cannes a refermé ses portes après une prestigieuse remise des trophées, comme chaque année. La grande famille du cinéma était une fois de plus au complet, une famille plus unie et soudée que jamais. Irions-nous jusqu’à  dire fermée ?? Non bien sûr : les films asiatiques y tiennent une place de plus en plus importante comme en attestent les différentes sélections. l’Asie, continent vers lequel convergent tous les regards du monde depuis une décennie, ne comptait pas moins de 5 films sur 20 en compétition. Et C’’est sans compter les œuvres présentées en sélections parallèles. Mais comme à  l’accoutumée, d’Africains, point. Ou plutôt, si, un seul. Le réalisateur malien Souleymane Cissé présentait son dernier film « Min Yé » en séance spéciale. Depuis plus d’une dizaine d’années, l’absence criante de tout film africain en sélection officielle longs métrages suscite quelques questions. Jugez plutôt : le dernier en date remonte à  1997… Les seuls qui parviennent à  s’imposer sont programmés hors compétition ou dans Un Certain Regard. La faible production qualitative et quantitative du continent serait en cause selon les organisateurs du festival. Pour ce qui de la quantité, force est de reconnaà®tre qu’en 2008, la production cinématographique du continent a été particulièrement faible. On l’expliquera principalement par les difficultés accrues pour mobiliser des financements, incitant les réalisateurs à  se tourner vers la production vidéo et télévisuelle. En revanche, la qualité des films africains n’est pas discutable et il aurait été justifié de retrouver, par exemple, le film algérien « Mascarades » de Lyes Salem en sélection officielle de cette édition. La preuve, il était sélectionné à  Hollywood pour l’Oscar du meilleur film étranger 2009. En 2007, l’absence de l’Afrique était encore plus incompréhensible. Pourquoi ni « Carmen » du sud-africain Mark Dornford-May, Ours d’Or à  Berlin en 2005, ni « Tsotsi » de son compatriote Gavin Hood, Oscar du meilleur film étranger en 2006, ni encore « Daratt » du tchadien Mahamat Saleh Haroun, Grand Prix du Jury à  la Mostra de Venise la même année, n’étaient dans la sélection cannoise ? Les critères cinématographiques d’Hollywood, de Berlin et de Venise seraient-ils donc dévalués ? Encore plus étrange, le jury « longs métrages » comptait dans ses rangs le réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako. s’il méritait ce statut (et nous ne doutons aucunement de sa légitimité !), pourquoi en revanche aucun de ses films n’a-t-il jamais mérité la sélection officielle ? Alors comment expliquer cette exclusion ou plutôt cette marginalisation systématique ? Pourquoi relayer les cinématographies du continent au Pavillon des Cinémas du Monde, o๠l’on se gargarise des aides de la coopération française à  la culture des pays du Sud ? Le cinéma africain est semble-t-il passé de mode. Il le fut pourtant dans les années 80-90 et eut une représentation digne de ce nom au festival, avec notamment des grands réalisateurs comme Souleymane Cissé, Djibril Diop-Mambéty ou Idrissa Ouédraogo. Ce qui explique d’ailleurs qu’à  l’heure actuelle on ne connaisse encore qu’eux à  Cannes et presqu’aucun autre. Car comme d’habitude, l’Afrique est victime d’une méconnaissance associée à  une absence de curiosité et à  une bonne dose de préjugés à  son égard. La preuve, de plus en plus de films ayant le continent pour sujet, et censés remplacer la présence africaine sont projetés. En 2008, il s’agissait de « Johnny Mad Dog » de Jean-Stéphane Sauvaire. Cette année ce fut le documentaire « l’Armée silencieuse » de Jean Van De Velde. Tous deux traitent des enfants soldats enrôlés dans les conflits africains. Tout commentaire semble superflu : ce sont immuablement les images de violence, de misères et d’horreurs que l’on véhicule. Et C’’est avec ce misérabilisme que l’on compense la mauvaise conscience de ne pas proposer la version originale. Ainsi, à  la ville comme à  la scène, l’Afrique est désespérément maintenue en marge. Mais si le 7ème art est le reflet de nos sociétés et de nos visions du monde, pourquoi s’obstine-t-on, dans un pays comme la France, à  en refuser la conception africaine et à  la cantonner dans une sorte de catégorie hors normes ? C’’est que l’Afrique demeure à  bien des niveaux la dernière frontière dans les esprits ethnocentrés et étriqués.