Économie




Crise au CNPM : l’autre transition

Après environ 16 mois de crise, le Conseil national du patronat du Mali (CNPM), qui n’a pas plus de président,…

Après environ 16 mois de crise, le Conseil national du patronat du Mali (CNPM), qui n’a pas plus de président, semble se diriger vers la voie de la sagesse. Après une bataille judiciaire qui a ramené les deux bureaux réclamant chacun la direction à la case départ, une administration provisoire, constituée de mandataires des deux parties, se profile. Elle tentera de s’atteler à l’organisation d’une élection et aura comme défi majeur de rassembler les protagonistes pour sortir le patronat de cette crise sans précédent.

Depuis septembre 2020, la faîtière des patrons du Mali n’entreprend plus dans le même sens. Successivement élus le 26 septembre 2020 et le 8 octobre 2020, les deux bureaux dirigés par Diadié dit Amadou Sankaré et Mamadou Sinsy Coulibaly revendiquent la présidence du patronat et ont entamé un marathon judiciaire pour se faire reconnaître.  Une procédure faite de rebondissements, dont le dernier acte, un arrêt de la Cour suprême du Mali, entérine la rétractation de l’ordonnance gracieuse qui avait permis l’installation du bureau dirigé par Diadié Sankaré.

Une décision qui, loin de résoudre le conflit, renvoie les deux parties à la situation d’avant l’élection, avec un bureau sortant dont le mandat est fini et un consensus impossible à trouver pour élire de nouvelles instances. Une situation difficile pour les organisations membres et pour le pays, qui n’a plus d’interlocuteur, relève un acteur. Le Mali se trouve donc « doublement frappé par des sanctions : celles que nous nous sommes imposées nous-mêmes en nous mettant volontairement dans une crise et celles qui nous ont été imposées par la CEDEAO », regrette Boubacar Diallo, Président de l’Organisation patronale des entrepreneurs de la construction du Mali (OPECOM) et Vice-président de l’administration provisoire mise en place le 8 février 2022.

À peine mise en place, elle est loin de faire l’unanimité. « L’administration provisoire est l’initiative d’un camp », affirmait le 1er mars 2022 M. Mahmoud Haïdara, membre du camp Diadié Sankaré. « Une administration doit faire l’objet d’un consensus entre les deux parties et avoir un président neutre, qui n’est ni d’un camp ni de l’autre », poursuit-il. « Dans sa forme actuelle, elle ne l’est pas ».

Juge et partie ?

« À l’observation, sur les 155 délégués qui constituent le collège électoral, chacun a un penchant. Mais aujourd’hui nous avons décidé de ne plus nous reconnaître dans les bureaux dans lesquels nous étions », se défend le Président de l’OPECOM.  Pour garantir à cette administration la confiance des acteurs, ses responsables insistent sur la démarche qui a abouti à sa mise en place. « Nous avons mis en place un cadre de concertation des groupements professionnels (23 sur les 39 qui constituent l’organisation), dirigé par Soya Golfa, qui, après plusieurs mois d’existence, a convoqué la rencontre qui a mis en place l’administration provisoire le 8 février », explique M. Diallo, avant de préciser que tout le monde a été invité à participer et que sur les 39 groupements actuellement 28 se reconnaissent dans l’administration.

Pour assurer l’inclusion et conscients que tous les acteurs n’adhèrent pas à cette initiative, les responsables ont, lors de la rencontre du 8 février, décidé de la mise en place partielle de  l’administration provisoire. C’est un bureau de 12 membres qui a été proposé, sur lesquels 8 postes ont été pourvus.  Avant de préciser que lorsque tout le monde se retrouvera, si les 8 désignés sont contestés, ils seront remplacés. « L’objectif n’est pas de monopoliser le pouvoir ».  D’ailleurs, le Président et son Vice-président ont pris la décision de ne pas se présenter personnellement et de ne figurer sur aucune liste de candidatures.

Pour donner une efficacité à ses actions,  l’administration provisoire a effectué des démarches auprès des groupements professionnels pour les rassurer et leur prouver qu’il n y a pas de chasse aux sorcières. L’objectif étant de permettre au personnel, victime de la mésentente entre les deux parties, de continuer à travailler.

Bout du tunnel ?

Pour la sortie de crise, des initiatives sont en cours. Elles se sont multipliées et, à la demande de l’administration provisoire, une première rencontre a eu lieu pour mettre en place un comité à parts égales. Des mandataires de chaque camp ont été délégués.

Parallèlement, une procédure d’expulsion de l’administration provisoire a été introduite parce qu’elle « n’a aucun document qui lui donne la légitimité de s’installer », s’indigne M. Haïdara.  L’affaire, mise en délibéré a été renvoyée au 7 mars prochain.  Mais lorsqu’il y aura un consensus les plaintes seront retirées, assure-t-il.

Un consensus qui semble désormais acquis, selon Madame Berthé Minian Bengali, Présidente de la Fédération nationale des consultants du Mali (FENACOM). « On s’est retrouvé autour de la table. Les esprits se sont retrouvés, ont mis en avant l’intérêt du secteur privé. On a tourné une page de l’histoire du patronat », s’est-elle réjouie le 1er mars 2022 à l’issue de la rencontre qui a regroupé les deux parties. Sur la base d’un document signé par les mandataires des deux camps, une administration élargie de 16 membres toujours dirigé par Soya Golfa épaulé par Boubacar Diallo et Ibrahima Diawara a été mise en place. Elle sera chargée de gérer le patronat jusqu’à l’organisation des élections qui désigneront les futurs dirigeants de la faîtière. C’est surtout le leadership et la détermination des groupements qu’il faut saluer, ajoute Madame Berthé.

Rappelant que l’administration provisoire a été mise en place par 28 groupements sur 39, elle souligne que le patronat n’existe que par les groupements. À partir du moment où ces derniers ont la légitimité, le  patronat relevant d’eux ils ont donc « pris leurs responsabilités », voulant « sortir de la crise ».

S’assumer

Conscients que « les tribunaux ne peuvent pas imposer un président », les groupements constitutifs du CNPM  se sont donc vus « interpellés ». Les élections ayant conduit à la désignation des bureaux étant «  jugées antidémocratiques, nous avons jugé nécessaire de nous désolidariser d’un camp comme de l’autre. Parce que, quel que soit celui qui sera nommé par la justice, il ne sera pas reconnu par les groupements professionnels », souligne M. Diallo.

Désormais, c’est l’annulation des requêtes administrative et judiciaire qui est à l’ordre du jour. L’administration mise en place aura la charge, dans un délai de 3 à 6 mois,  de produire un chronogramme qui sera validé par une Assemblée Générale et d’organiser des élections crédibles et transparentes.

Maintenant, pour les acteurs, il s’agit de se retrouver et de déterminer ce qui a provoqué la crise. Autrement dit, de créer les conditions d’une élection libre, transparente, et surtout d’éviter « que les griefs de la justice ne se répètent », avertit un acteur. Il faut éviter de retourner à la crise et faire en sorte que les groupements se retrouvent et même envisager, si cela s’avère nécessaire, le concours de personnes ressources qui contribueront à l’organisation des élections. «  Notre rôle est de rassembler et réconcilier les acteurs afin d’aller à une élection et de sortir de la crise ».

« C’est le Mali entier qui est victime de cette situation. S’il n’y a personne pour aider l’État à avoir plus de visibilité dans les investissements, le pays sera à la merci de tout », alerte M. Diallo. Dans un contexte de sanctions économiques, si les peuples sont victimes, les opérateurs économiques sont également victimes du même embargo, estime M. Diallo.  Ajoutant que si notre patronat était fonctionnel, il aurait pu  prendre contact avec les patronats voisins afin de sensibiliser les autorités. « Nous sommes dans un vide auquel nous voulons mettre fin ».

Si la crise a été éprouvante pour les acteurs, elle devra servir de leçon pour le futur. En effet, « le patronat » ne devra plus être « ce vase clos qui fait ce qu’il veut ».  Toutes les étapes de sa mise en place seront désormais « scrutées à la loupe ».

La crise aura en tout cas « enseigné des choses », parmi lesquelles la nécessité d’avoir des textes et surtout de la vigilance des groupements pour mieux encadrer le patronat, qui émane d’eux et non le contraire.

Fatoumata Maguiraga