Politique




Crise socio-politique: Vers la décrispation?

Une trêve d’une dizaine de jours, pour permettre de célébrer la fête de Tabaski, c’est la décision prise par le…

Une trêve d’une dizaine de jours, pour permettre de célébrer la fête de Tabaski, c’est la décision prise par le comité stratégique du M5-RFP, réuni le 20 juillet. Le mouvement, qui est déterminé à poursuivre ses actions, a rejeté les recommandations de la mission de la CEDEAO, dont une autre délégation, composée cette fois-ci de plusieurs chefs d’États, est attendue ce 23 juillet à Bamako. Peaufiner sa stratégie de désobéissance civile et rester ouvert au dialogue, c’est l’option que semble avoir adoptée le mouvement pour sortir de la crise, même si certains observateurs remettent en cause l’efficacité des actions entreprises jusque-là.

« Nous avons été surpris par les propositions de la mission, qui n’ont pas comblé les attentes du mouvement », a déclaré M. Mohamed Salia Touré, membre de la CMAS et du comité stratégique du M5-RFP. La mission conduite par l’ancien président du Nigéria, M. Goodluck Jonathan, est même accusée de résumer « la crise malienne au seul contentieux électoral du deuxième tour du scrutin législatif », selon les termes du communiqué publié le lundi 20 juillet.

Or, il s’agit selon le mouvement d’un problème plus global de gouvernance, dont la « mauvaise organisation des dernières élections n’est qu’une des multiples manifestations ».

Le M5-RFP, qui avait demandé à toutes ses structures de reprendre les actions de désobéissance civile le 20 juillet à travers tout le pays avant de les suspendre pour cause de fête de Tabaski. Toutefois, en dépit, des barricades étaient visibles au rond-point Daoudabougou posées par des partisans du mouvement à qui la trêve n’a pas plu. La capitale, qui est la locomotive du mouvement, peine cependant à atteindre les objectifs assignés. Pourtant, « l’heure est à la mobilisation pour continuer les actions de désobéissance civile, mais aussi les rassemblements à Bamako et à l’intérieur du pays », assure pour sa part M. Mohamed Salia Touré. Faute d’accord au préalable avec la mission des Chefs d’État de la CEDEAO à Bamako ce jeudi, le mouvement reprendra ses actions de désobéissance civile 48h après les festivités de la Tabaski. Un accord loin d’etre gagné selon certains observateurs pour qui ces cinq présidents essaieront de mettre la pression afin que les différentes parties adhèrent aux conclusions de la mission conduite par Goodluck Jonathan ; qui avait notamment fixé le 31 juillet pour mettre en œuvre les recommandations. Pendant ce temps, le M5 mise sur ces actions de désobéissance conduite diversement et par endroits pour « prouver » le soutien du peuple. Selon un observateur qui a requis l’anonymat, le M5 serait avisé d’accepter les conditions qui seront proposées par les Chefs d’Etat tant qu’il le peut encore, car selon lui, la stratégie de la désobéissance s’étiolera avec le temps.

Mouvement à deux vitesses ?

Le lundi 20 juillet, à Kayes, Sikasso, Ségou et plus récemment Gao et Tombouctou, qui ont fait leur entrée dans le mouvement, les actions se sont déroulées avec plus ou moins de réussite selon l’ancien président du conseil national de la jeunesse (CNJ).

À Kayes, le front d’action pour la région de Kayes (FARK) affirme ne pas avoir attendu le M5-RFP pour manifester. « Depuis bientôt 4 ans, la région s’est lancée dans un mouvement de restauration et de réclamation de ses droits », rappelle M. Mamedy Dramé, président du FARK et membre du M5-RFP.

Cette région aux nombreuses potentialités « a été abandonnée » et reste confrontée aux difficultés, dont l’arrêt du trafic du train voyageur, la dégradation de la route… « C’est donc naturellement que les Kayésiens s’inscrivent dans ce combat ». Et le lundi 20 juillet, après s’être réunie à la place de l’indépendance pour expliquer le bien-fondé de l’action, la population s’est exprimée, « sans casser, ni brûler », explique M. Dramé. « Les premières heures de ce lundi se sont caractérisées par  le respect par les travailleurs de la désobéissance civile ».

C’est à Sikasso, où « le mouvement a atteint sa vitesse de croisière », selon Mohamed Salia Touré, que les actions semblent avoir une certaine efficacité. Pour M. Abdoulaye Maïga, Secrétaire administratif de la CMAS et du M5-RFP là-bas, « le mot d’ordre a été suivi et les actions ont repris ce lundi, interdisant aux services publics de travailler, mais permettant aux services sociaux de base de continuer ». Pour éviter les débordements, les organisateurs ont envoyé des émissaires pour informer les chefs de service, qui ont obtempéré pour l’arrêt du travail dans les différentes structures.

Le niveau de mobilisation dans les régions, dépend « de l’organisation interne et aussi des degrés de frustration », estime M. Maïga. « Des manifestations de désobéissance ont eu lieu, mais pas avec la même ampleur qu’à Bamako », estime M. Ibrahim Monzon Diarra, Président du Conseil régional de la jeunesse de Ségou. S’il n’y a pas eu de débordements et de blocages des services publics dans la Cité des balanzans, c’est parce que «  les institutions sont à Bamako. Difficilement le mouvement peut prendre de l’ampleur au-delà », ajoute M. Diarra.

Mais cette expression de la « frustration sans débordements » est plutôt une preuve de maturité, note pour sa part M. Amadou Touré, porte-parole du M5-RFP à Ségou. Le mouvement a ainsi décidé de consacrer le lundi 20 juillet à une « réunion d’information et de sensibilisation, car le lundi, jour de la foire hebdomadaire, est très important pour Ségou ».

Les limites de l’action

S’il n’est pas contre le principe de la désobéissance civile, M. Aly Soumountera, Président du Conseil régional de la société civile de Ségou préconise une autre forme d’action. Par exemple, des journées « ville morte », seraient à son avis plus efficace et moins dommageables pour la population, reconnaît M. Maïga du M5-RFP de Sikasso.

À Tombouctou, le 20 juillet a été marqué par « une sorte de ville morte et il n’y a pas eu de travail au niveau des services publics », relève Madame Fatouma Harber, activiste bloggeuse. « Ces actions sont folkloriques, sans lien avec Bamako, et le fait de  jeunes qui veulent juste se faire voir et entendre », ajoute cette observatrice de la société civile. Pour elle, « les citoyens, qui tirent le diable par la queue, ont des problèmes plus sérieux et récurrents, comme l’insécurité physique et morale et l’insécurité alimentaire ».

Le mouvement pourrait avoir un impact à partir de la capitale, mais Tombouctou est trop loin de Bamako et sa population, « affligée par la crise », ne peut réellement être dans cette dynamique.

Pointant du doigt certains responsables du M5-RFP, qui « étaient avec le Président », Mme Harber estime que c’est « chaque citoyen qui doit être intimement convaincu qu’il doit désobéir, pour faire une action réelle. Mais « si on empêche les gens de travailler, cela devient une guérilla ».

Conscients des difficultés du mouvement, car « les Maliens n’ont pas l’habitude de telles actions », Mohamed Salia Touré estime qu’il « faut prendre beaucoup de temps pour expliquer », tout en déplorant « les actes de vandalisme, qui sont à regretter et ne sont pas le fait du mouvement ».

Scénarios de sortie de crise

« Nous sommes fermes sans être fermés », peut résumer la position du M5, selon M. Mohamed Salia Touré. Il estime que le mouvement reste ouvert au dialogue et qu’une issue favorable est possible, car « les choses peuvent évoluer ».

Mais, « face à la gouvernance chaotique et à l’exaspération générale », seul le départ du chef de l’État offre une issue, aux yeux d’Abdoulaye Maïga du M5-RFP de Sikasso.

Une ligne dure que ne partage pas le FARK, dont le Président estime qu’une transition démocratique et un Premier ministre de pleins pouvoirs constituent une offre de dialogue à saisir. Dans un communiqué daté du 20 juillet, la Convergence des forces républicaines, qui soutient les institutions de la République, « demande une mise en œuvre diligente de toutes les propositions de sortie de crise formulées par la CEDEAO ».

« La situation sociopolitique actuelle peut être perçue comme le reflet de très fortes frustrations, de profonde colère, de larges couches de la population relativement à la gestion du pays par le régime et le président actuels », analyse le Dr Siriki Bagayoko, politologue, enseignant-chercheur à la Faculté des sciences administratives et politiques (FSAP).

Une déception et une colère qui sont à la base de la formation du mouvement hétéroclite M5-RFP. Et c’est la réponse tardive à cette contestation qui explique l’impasse actuelle. Pour sortir de la crise, il faut agir vite et par des actions fortes, basées sur la justice, conclut le politologue.