Cyril ACHCAR : « La rigueur et l’optimisme servent à diriger de grandes industries »

La quarantaine, Cyril Achcar, petit-fils d'à‰mile Achcar, un immigré d'origine libanaise qui s'installa au Mali dans les années 30, dirige…

La quarantaine, Cyril Achcar, petit-fils d’à‰mile Achcar, un immigré d’origine libanaise qui s’installa au Mali dans les années 30, dirige le groupe agroalimentaire Achcar Moulins et industries (AMI), constitué de trois grandes sociétés, les Grandes confiseries du Mali (GCM), les Grands moulins du Mali (GMM), et la Société des eaux minérales du Mali. Le groupe a aussi créé les SARL Gam Transit, Bagami, qui inclue une école de boulangerie, et l’unité de culture de blé et de maà¯s à  Tindirma, à  quelques kilomètres de Tombouctou. Exigeant, optimiste, Cyril Achcar décrypte un secteur qu’il connaà®t bien. Président de l’Organisation patronale de l’industrie du Mali (OPI) depuis 2012, il prépare la 4ème édition de la journée de l’industrialisation de l’Afrique, prévue le 28 novembre. Avec un regard lucide sur son secteur, il souligne les mesures proposées par le Livre blanc de l’industrie, et annonce aussi une huilerie pour 2016. Journal du Mali l’Hebdo : Vous êtes le Président de l’Organisation patronale des industriels (OPI) et le Directeur général du GIE AMI (Achcar Moulins Industries), le plus ancien groupe industriel au Mali. Quel est le secret de cette réussite ? Cyril Achcar : Je ne vais pas m’attribuer seul ce succès, car notre GIE (Groupement d’intérêt économique) est, il faut le rappeler, le fruit d’un travail collectif. Je pense que deux qualités sont nécessaires, la rigueur et la faculté de toujours positiver pour mener à  bien une industrie comme la nôtre. Parlez-nous de l’histoire de votre entreprise familiale ? Mon grand-père, à‰mile Achcar, un immigré libanais, a pris un bateau de Beyrouth au Liban pour fuir l’empire ottoman à  l’époque. C’’était un ingénieur BTP. Arrivé au Sénégal, il a travaillé comme trader d’arachide, de sel et d’autres marchandises qu’il achetait au Mali. Avec le lancement du Dakar-Niger, il a émigré en 1935 au Mali et s’est très vite intégré à  ce pays. Il parlait plusieurs langues et a travaillé à  la création du RDA, tout comme il a géré la première société industrielle cédée par les anciens colons. Il s’agit du complexe de Magnambougou, qui faisait de la briqueterie, des glaces, des limonades, etc. C’’était l’une des premières usines privatisées à  l’époque. C’’était en 1950, dix ans avant l’indépendance. Votre grand-père, à‰mile Achcar, a œuvré dans les années 50 dans un contexte différent du vôtre. Quel regard portez-vous sur le secteur industriel du Mali moderne ? Je vais faire un bref passage historique. Nous avons choisi le socialisme à  l’indépendance. En 1962, le complexe de Magnambougou que dirigeait mon grand-père a été nationalisé, sur un modèle de développement industriel géré par l’à‰tat. Tout ce secteur était dévolu à  l’à‰tat, sous influence soviétique. Mais très vite, on a corrigé le tir et ensuite, le Mali a réussi à  créer une bonne vingtaine d’unités industrielles, dont quelques unes subsistent aujourd’hui : la CMDT, l’UMPP, o๠l’on produit encore de la bétadine et de la nivaquine. Dans les années 80, le Mali va s’ouvrir à  l’économie de marché et les problèmes d’ajustements structurels vont nous faire du tort, puisqu’on a dit aux fonctionnaires et de façon brutale, l’industrie, C’’est pas votre affaire, C’’est l’affaire du privé ! Cela a poussé la fonction publique à  repousser l’industrie et contrairement à  des pays comme le Ghana ou la Côte d’Ivoire, qui possède 8 000 unités industrielles, le Sénégal (environ 4 000 unités), le Mali se retrouve avec à  peine 500 unités, dont l’informel. Quant au formel, il compte à  peu près 80 unités. Il faut aussi signaler le PIB qui tourne autour de 4 à  5% pour le sous secteur de la manufacture, contrairement à  la moyenne UEMOA qui caracole à  11%, avec 18 % pour la Côte d’Ivoire et 14% pour le Sénégal. Cet état de fait a-t-il changé ou est-il entrain de changer ? Depuis 2012, il y a une prise de conscience à  ce niveau. l’ancien Premier ministre Moussa Mara a cité le livre blanc de l’industrie dans son discours de politique générale. l’ancien ministre de l’Industrie, Moustapha Ben Barka, a décidé de créer une commission ad hoc pour mettre en œuvre les mesures du livre blanc, et l’actuel ministre de l’Industrie et du Commerce, Abdoul Karim Konaté, a poursuivit ce travail à  travers un atelier en octobre pour valider 6 études structurelles qui vont couvrir 8 points parmi les 23 mesures proposées dans le livre blanc. l’accompagnement de l’à‰tat est là , et ça, C’’est plutôt positif. Aujourd’hui, que requiert une industrie pour prospérer ? Est industriel celui qui décide de transformer, de faire un investissement productif et non spéculatif. Celui qui accepte de prendre des risques, puisqu’une industrie contrairement au commerce, prend du temps. Les deux premières années, vous construisez votre usine, ensuite vous formez le personnel, cherchez les canaux de distribution ainsi que les soutiens financiers et médiatiques pour faire connaà®tre le produit. Un business plan d‘industrie suppose que vous ne gagnerez pas d’argent lors des trois premières années. Quant on fait de l’industrie, on s’inscrit dans des parcours sur 20, 30, 40 et 50 ans… Comment rattraper le retard accusé par le Mali ? Il faut rappeler les avantages inouà¯s de ce pays : sa continentalité, et ses terres vastes, son ensoleillement et ses deux fleuves. Il s’agit de généralités, mais avec une autre vision et une autre approche, elles peuvent nous donner un avantage compétitif et qualitatif. Il nous faudra également transformer ce fort taux de natalité au Mali, à  l’instar de la Chine, pour en faire une destination industrielle avec des ressources humaines compétitives. Je prends l’exemple du coton, le Mali peut être ce pays, o๠demain, on viendra faire des t-shirts… Je voudrais aussi mentionner le cadre macro-économique. Le Livre blanc entend faire en sorte que ce secteur soit aussi rentable que l’immobilier, par exemple. Pourquoi cette large majorité «de bourgeois », qui a de l’argent, n’investit pas ? Ils préfèrent construire des immeubles, faire du commerce. Or, l’industrie C’’est risqué, C’’est du long terme. Voyez-vous une usine malienne qui exporte des produits de qualité dans la sous-région, à  commencer par la nôtre ? Non. Les produits maliens ne s’exportent pas du fait des coûts de production, de l’enclavement, etc. Il faut donc rendre le secteur manufacturier rentable, selon le canevas décliné dans le Livre blanc. Deuxièmement, la gouvernance joue un rôle essentiel. Quel est le rang du ministre de l’Industrie ? Le jour o๠ce ministre sera numéro 2 du gouvernement, vous comprendrez que les choses ont commencé à  changer. Ensuite, quand on commencera à  décorer des gens pour le nombre d’emplois créés, ou le niveau d’investissements réalisés au Mali, on aura également envoyé un autre signal. La gouvernance peut faire énormément de progrès. Qu’avez-vous réalisé de positif depuis que vous avez pris la tête de l’OPI en 2012 ? Ce syndicat regroupe les 80 industries du Mali et a été crée en 1975. Il a un bureau de 20 membres avec un mandat de 3 ans et J’ai eu la chance d’avoir été élu par mes pairs, même si mon mandat touche à  sa fin cette année. Notre point fort a été de proposer ces 21 solutions, tirées de notre expérience personnelle d’industriels et que nos pères et grands-pères ont vécu. Nous disons, prenez en charge ces mesures et vous verrez que le secteur se portera mieux. Un président américain disait qu’un pays riche est celui qui consomme d’abord sa production avant d’importer le reste. Et les filières porteuses ? Elles ont toutes leur importance. Sur la base d’archives du gouvernement, nous avons élaboré une liste de 23 filières à  fort potentiel,. C’’est un travail qui avait déjà  été fait par l’USAID et la Banque mondiale en 2001, afin de savoir dans quels domaines industriels le Mali pourrait exceller. Avec ces 23 filières porteuses, le Mali a une chance de se positionner à  l’export et d’être hautement compétitif. Je pense à  la mangue, au karité, à  la gomme arabique etc. Par ailleurs, pourquoi est-ce qu’on ne produit rien à  base de lait malien, alors que l’on possède le premier cheptel d’Afrique de l’ouest ? Les produits maliens souffrent justement de la concurrence déloyale dans l’UEMOA, pourquoi ? On couvre cela dans deux études stratégique du Livre blanc. Des textes communautaires qui permettent de limiter la concurrence déloyale (clauses de sureté pour protéger les filières) existent, mais il est regrettable qu’on ne les applique pas au Mali. Or, il existe des garanties qui entraineraient des cautions pour certains produits et qui viendraient enrichir le trésor malien, pour résumer. Et cela, d’autre part, permettrait des contrôles plus accrus sur les produits. Il y a par exemple cette huile Dinor, dite « made in Abidjan », alors qu’en réalité, elle arrive de Malaisie et est conditionnée au port d’Abidjan. On a juste changé l’emballage. Ce produit rentre donc sur le marché malien sans droits de douane. C’’est de la fraude intellectuelle. La libre circulation des biens et produits dans l’UEMOA C’’est bien, mais à  condition que l’on ait des économies de taille égale et une bonne application des textes communautaires. Sinon, comment voulez-vous boxer contre la Côte d’Ivoire ou le Sénégal ? Il faudrait des barrières tarifaires et des subventions pour les économies les plus faibles. Vous avez aussi évoqué un Observatoire malien de l’Industrie pour surveiller le secteur ? Oui C’’est une idée du Livre blanc. Son objectif serait d’établir des statistiques au Mali, dans un pays qui en manque cruellement. l’idée serait de le faire porter par un PPPP, un partenariat-public-privé-PTF, o๠les administrateurs de cet institut de sondage comporterait un tiers d’agents de l’à‰tat, un tiers de privés et un tiers de PTF, ce qui garantie la neutralité. Parlons de la 4è édition de la Journée de l’industrialisation de l’Afrique. Sera-t-elle maintenue malgré le contexte ? La Journée de l’industrialisation de l’Afrique n’a pas été annulée pour le moment, donc elle est maintenue. Cela me fait de la peine de l’organiser dans le contexte actuel, mais le Président de la République a confirmé son parrainage, et nous espérons qu’elle sera une réussite. Le dernier attentat à  Bamako va t-il ralentir l’économie, alors qu’une embellie se dessinait ? Cet attentat est d’autant plus dommageable que depuis la signature de l’accord de paix et la conférence de l’OCDE, le pays avait le vent en poupe et beaucoup de projets étaient en voie. Il y avait une dynamique et tous les pays amis, les investisseurs nationaux se donnaient la main pour investir au Mali. Cela va mettre un coup de frein, et il faut donner une réponse sécuritaire ferme et exigeante. J’ai moi-même convoqué mes collaborateurs pour leur demander de me faire une proposition afin de relever tous les niveaux de sécurité (le groupe avait été victime de pillages en 2012 lors du coup d’à‰tat). Restons optimistes, mais accentuons la sécurité !