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Dossier : Enquête sur l’état de la corruption au Mali, un phénomène vieux comme le monde

Mal social aux origines séculaires, la corruption s'est irrémédiablement instaurée dans les habitudes. Aujourd'hui, elle gangrène tous les secteurs de…

Mal social aux origines séculaires, la corruption s’est irrémédiablement instaurée dans les habitudes. Aujourd’hui, elle gangrène tous les secteurs de la vie publique au Mali et est devenue un mode de fonctionnement normal. Englués dans ce système qui n’épargne aucun secteur de la vie quotidienne, il apparait illusoire de le combattre. Selon de nombreux témoignages, la lutte contre la corruption est une grande illusion à  laquelle se livre à  visage découvert, certains pouvoirs publics au Mali. Nombre de Maliens sont conscients de la perversité du phénomène et de ses conséquences néfastes sur le développement du pays. Pour eux, rien ne bougera, si l’exemple ne vient pas d’en haut. Le mauvais exemple vient très souvent des milieux les plus nantis. Ce milieu censé être à  l’abri de besoin, est par excellence celui qui s’adonnerait le plus aux actes de corruption. Genèse d’un phénomène social Le point d’histoire sur la corruption est très évocateur. La corruption au sens moderne est arrivée au Mali dès le début de l’aventure coloniale. En effet, le premier homme de pouvoir identifiable à  avoir succombé à  la tentation de la corruption au Mali, fut Dioukha Samballa Diallo, roi du Khasso Dembaya. Hawa Demba Diallo, fondateur de la dynastie, avait établi dans sa capitale de Médine des règles privilégiant le dialogue des cultures. En témoignage de ces règles, il donna sa fille en mariage au chef des marchands français du nom de Duranton. Plus tard son successeur, Dioukha Samballah Diallo, accepta de vendre aux Français 4 hectares de terre à  5000 F de l’époque ; montant public de la transaction. En réalité, il accepta aussi de recevoir 1200 F des représentants français voulant le « remercier ». Ce « cadeau » sous forme de rente était payable à  lui personnellement et annuellement. C’’est sur ces 4 ha de terre, que Faidherbe fit construire, en 1855 le fort de Médine. C’’est de ce fort que partira, sous la conduite du colonel Brière de Lisle, la colonne armée qui étendit sur le Mali l’étendard de la colonisation dont la première étape fut la prise par la force de Logo-Sabouciré le 22 septembre 1878. Le reste est devenu de l’Histoire. Plus tard sous le Mali indépendant, les premiers cas retentissants de corruption rendus publics étaient ceux liés à  des « billeteurs » du ministère de l’Education nationale. Les sociologues, historiens, et autres psychologues auraient pu expliquer comment et pourquoi les « nouveaux » leaders nés d’une révolution sanglante de 1991 ont tant voulu s’enrichir si vite au point de faire de la corruption une industrie à  part entière, et même l’industrie la plus profitable au Mali. Dans ce pays, o๠le sens de l’honneur et de la dignité étaient très forts, il est arrivé que des hommes et des femmes n’hésitent plus à  se vanter de posséder des biens soustraits à  autrui. Ceci est une tragédie morale nationale et historique. Pour la première fois dans l’histoire du Mali, nous avons vu, depuis 1991, l’apparition de véritables ingénieurs de la malversation, du détournement de fonds publics à  des fins personnelles. Lorsqu’il a fallu procéder à  des audits, les termes de référence furent écrits de façon à  ce que « les aiguilles recherchées soient sous certains pieds pendant que les auditeurs avaient mandat explicite de chercher partout sauf sous les pieds ». Ampleur d’un phénomène «Â Vu l’ampleur de la corruption, l’arrêter sans créer des sources alternatives de financement reviendrait soit à  arrêter l’économie toute entière soit à  voir apparaà®tre d’autres formes plus sophistiquées de malversation », pense un observateur. De ce fait, dit-il, il faut créer, sans attendre des possibilités de créer de la richesse et de permettre à  chaque Malien d’accéder à  la richesse créée. « Ici, C’’est comme ça », explique pour sa part cet opérateur économique précisant même que, « C’’est une spécificité malienne… Bouffer l’autre, sinon, bouffer tout simplement est devenu normal ».Ainsi, selon cet agent du foncier, chargé du relevé de terrains qui doivent être morcelés, discutant avec l’un de ses amis : « Tu sais le travail marche mal… », se plaint-il. « Mais, s’étonne l’ami, tu es toujours fonctionnaire ? » Sa réponse est révélatrice : « Oui, mais il n’y a pas assez de clients ». C’’est clair, pour lui, son travail ne consiste pas à  effectuer une tâche pour laquelle il perçoit un salaire de l’Etat, mais à  faire des affaires en faisant payer une certaine somme d’argent à  chaque « client » qui a besoin d’un relevé. Ainsi, ce chauffeur de taxi interrogé à  propos de l’attitude des policiers de la circulation explique : « nous, on préfère payer 500 Fcfa ou 1 000 Fcfa au policier que 5 000 Fcfa au GMS ». Dans l’administration, « bouffer, C’’est devenu normal ». Aux médecins dont nombre, de mèche avec les pharmaciens de quartier touchent une commission sur les médicaments vendus et allongent sans utilité les ordonnances ? A ceux qui prescrivent des examens de laboratoire sans rapport avec la maladie afin d’avoir leur pourcentage sur les examens effectués ? Aux juges censés défendre les honnêtes gens, mais qui ont pris l’habitude de se renseigner auprès des avocats avant les procès pour savoir combien sont prêts à  payer les uns et les autres afin d’avoir gain de cause ? Aux journaux qui ne cessent de dénoncer les « détournements de fonds » et la corruption dont usent les partis politiques, mais qui ne sont pas à  l’abri de ces pratiques ? La corruption et son impact sur la vie économique. Selon une étude anonyme, il nous est revenu que 80 % des maisons en villa appartiendraient à  des fonctionnaires ou assimilés et 90 % des terrains appartiendraient à  la même catégorie d’individus ; les fonctionnaires. En d’autres termes, 85 % des projets immobiliers en cours, chaque projet revenant à  plus de 70 millions CFA, seraient entrepris par des fonctionnaires dont le revenu annuel connu serait inférieur à  un million CFA. C’’est dire que si ces entreprises étaient faites honnêtement, ces personnes devraient travailler 70 ans et dédier la totalité de leurs revenus durant ces 70 ans pour les réaliser. Tous les témoignages concordent pour dire que ces projets durent en moyenne 2 ans. Ainsi la seule conclusion crédible est que ces projets sont financés par de l’argent ayant une origine non déclarée. Des structures de contrôle pour rien ? Malgré la panoplie d’instruments crées par les autorités, la lutte contre la corruption ne semble véritablement pas déclenchée. Les plus hautes autorités, garant de cette lutte, donnent-ils raison au Dr Daniel Téssougué (magistrat malien) qui, à  propos de lutte contre la corruption, aime à  dire que «Le moustique ne fabriquera jamais l’anti-moustique». Idéologues qu’il soit, Daniel A. Téssougué invite toutes les forces vives maliennes à  se lever comme un seul homme pour demander aux autorités maliennes d’arrêter la comédie en cours dans le pays pour exiger une véritable politique de lutte contre la corruption dans le pays. La Cellule d’appui au structures de contrôle de l’administration (Casca) en passant pas le contrôle général des services publics, tous sont des instruments crées par l’Etat pour juguler le fléaux de la corruption au Mali. Aussi, l’Institution du Vérificateur général dans notre pays suscite les commentaires les plus divers. Si pour certains, c’est une structure de trop, pour d’autres le Vérificateur général a bien sa place dans l’arsenal juridique anti-corruption au Mali. Ingénieur agronome, Modibo Diakité, membre fondateur de Transparence Mali, se penche sur les chances de succès de la nouvelle institution dans l’environnement malien. Il faut noter que la structure a été créée pour renforcer l’arsenal répressif de la corruption au Mali est une promesse du candidat Amadou Toumani Touré (ATT). Ainsi par la Loi N°03-030 du 25 août 2003 il a été institué au Mali un Vérificateur Général, autorité indépendante chargée de la vérification générale. L’une des composantes de sa mission étant «de contrôler la régularité et la sincérité des opérations de recettes et de dépenses effectuées par les institutions de la République, les administrations d’Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics ou tout autre organisme bénéficiant du concours financier de l’Etat». Il est légitime que la volonté politique de lutter contre la corruption en général et d’instituer l’institution du Vérificateur Général en particulier suscitent scepticisme et méfiance de bon nombre de maliens. Elle est pourtant pertinente quant il s’agit de relever certaines anomalies de gestion comme dans la dernière affaire, du Fonds Mondial ou d’importants détournements au ministère de la santé, ont révélé l’ampleur du mal au Mali. En tout état de cause, la lutte contre la corruption s’établit comme une entreprise de longue haleine si complexe et difficile que le pragmatisme devrait être de mise pour tester si possible au moindre coût l’adaptation au Mali de tout arsenal anticorruption jugé satisfaisant sous d’autres cieux.