Eau et électricité : pourquoi ça coupe

Mercredi 10 juin, tout Kalaban-Coro, au sud-est du district de Bamako, est dans le noir. Dans les familles, dans les…

Mercredi 10 juin, tout Kalaban-Coro, au sud-est du district de Bamako, est dans le noir. Dans les familles, dans les rues, C’’est le remue-ménage. Il y a coupure de courant, et chacun retourne aux moyens d’éclairage d’antan. Depuis le début du mois, la capitale est soumise à  un programme de coupure dressé par Energie du Mali (EDM – SA), seul fournisseur d’électricité sur toute l’étendue du territoire, après qu’elle eut perdu en 2009 le transport et la distribution de l’eau. « Les coupures actuelles sont dues au fait que l’un de nos fournisseurs majeurs d’électricité à  Manantali a un groupe à  l’arrêt depuis le 7 juin pour révision urgente. C’’est la raison pour laquelle nous avons fait un programme de délestage, » explique Malick Almouzer Diallo, Chef du département Communication marketing chez EDM. « Ce programme, poursuit-il, a été établi sur une semaine, du 8 au 19, et nous avons réparti la ville de Bamako en 4 secteurs. Chaque secteur subira une coupure d’environ trois heures par jour. » Les problèmes actuels ne seraient donc que passagers, car si ce n’est l’incident à  Manantali, EDM avait plutôt bien géré la situation en 2015, en évitant les importants délestages des années précédentes, notamment grâce à  l’interconnexion avec les voisins (Côte d’Ivoire, Sénégal et Mauritanie), la location de groupes (40 MW à  Dakar et 18 à  Bamako), et la relance de la centrale privée SOPAM. Ces mesures avaient permis de couvrir la forte croissance de la demande, 15% entre 2013 et 2014, et la hausse du prix des combustibles, sachant que l’électricité malienne est à  50% thermique. Coût de l’électricité et mix énergétique « Ce n’est pas à‰nergie du Mali, mais plutôt Energie du Mal SA ! », laisse entendre un habitant de Kalaban Coro, très en colère. Pendant la période actuelle o๠les délestages sont quotidiens, la société est traitée de tous les noms. D’autant plus qu’en juillet 2014, sous la pression des bailleurs de fonds, opposés à  la subvention du secteur, le coût de l’électricité a été augmenté de 3 à  7%, atteignant 110 F CFA le KWH en moyenne période, contre 98 F CFA auparavant. Cette décision avait soulevé l’indignation jusque dans les rangs de l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), qui en avait fait un point de discussion avec le gouvernement. Et pourtant, le prix de vente de l’électricité au Mali reste encore en dessous du coût de revient, évalué à  140 F CFA. Selon Malick Diallo, C’’est avec deux réseaux que la société approvisionne le pays : le réseau interconnecté et les centres isolés. La puissance installée d’EDM est de 494,2 Mégawatts, ce qui est nettement insuffisant. Malick Diallo est catégorique : « Dans les années 1980, on a vite dit que Sélingué est un grand barrage qui suffirait, mais ça n’a tenu que deux ans. » Pendant les périodes de chaleur, la consommation maximum est de 275 MW, ce qu’EDM seule ne peut supporter : « On est obligé d’acheter ailleurs, ou in fine de louer des groupes.» Puisque la demande est supérieure à  l’offre, « il importe d’introduire des ressources naturelles alternatives et facilement mobilisables dans le mix énergétique », estime Doroh Berthé, Directeur général d’EDM, qui a investi dans plusieurs centrales hybrides (diesel-solaire), dont celles de Koro et Bankass, inaugurées par le chef de l’à‰tat en 2014. Pour le Chef du département Energie renouvelable, Djan Moussa Sidibé, la seule alternative est le solaire. Mais, ajoute-t-il « les équipements sont chers. Ce n’est pas tout le monde qui peut mettre des millions de francs dans les panneaux solaires, les batteries, les régulateurs et convertisseurs.» Pour y faire face, le gouvernement pourrait encourager des privés à  investir dans des champs solaires, pour ensuite leur acheter l’énergie produite. En attendant, l’à‰tat poursuit ses investissements à  travers le « projet d’électrification rurale par systèmes hybrides de 30 villages », dont l’accord de financement a été signé le 11 juin par le ministre de l’à‰nergie et de l’Eau, Mamadou F. Keà¯ta. Le calvaire de l’eau Avec l’électricité, la desserte en eau constitue l’autre défi. Seuls Bamako et 25 cercles sont prioritaires en matière d’accès à  l’eau potable. Or, selon le rapport 2014 de la Direction nationale de l’hydraulique, le taux d’accès en milieu urbain et semi-urbain a diminué de 0,5%. Alors que le taux national est de 63,8%. l’accès à  l’eau est devenu un parcours du combattant pour les populations de certaines localités. à€ Sangarébougou, quartier périphérique de Bamako, « cela fait six mois qu’il n’y a pas une seule goutte d’eau dans les robinets », témoigne Bernadette-Mah Ippet, habitante du quartier. « C’’était vers 2h ou 3h du matin que l’eau venait, et le temps de remplir C’’était déjà  l’heure de partir au bureau. Mais depuis deux mois, il n’y a plus rien. Nous payons de l’eau avec les jeunes qui la vendent dans les pousse-pousse à  75 francs CFA le bidon. On en paye dix par jour. ». Et Bernadette continue de recevoir de la Société malienne de gestion de l’eau potable (SOMAGEP) des factures de 4 000 à  5 000 francs CFA. C’’est pourtant à  cause de l’impasse dans laquelle se trouvait le secteur, que la gestion de l’eau a été rationalisée en la séparant de l’électricité en 2009, donnant naissance à  une société exploitante, la SOMAGEP, dont la vocation est de transporter et distribuer l’eau, et la SOMAPEP (Société malienne du patrimoine de l’eau potable), propriétaire des infrastructures. Les deux sociétés tentent bon an mal an de développer un service de qualité pour l’eau potable, mais à  ATT-Bougou, en Commune VI, le constat est alarmant selon Mohamed Haà¯dara : « le plus souvent il n’y a pas d’eau du matin au soir, surtout en période de chaleur.» Pourtant, depuis septembre 2013, 511 ouvrages et 183 réhabilitations ont été réalisés sur l’ensemble du territoire, et le grand projet de Kabala qui approvisionnera Bamako et ses environs en eau potable d’ici 2018, concentre toutes les attentions. Selon certaines études, les ressources totales en eau du pays se montent à  quelques 1 000 km cubes pour une population estimée à  environ 17 millions. Une quantité jugée satisfaisante en comparaison de la moyenne des pays d’Afrique. Le problème d’eau au Mali ne serait donc pas sa pénurie, mais sa répartition spatiale et temporelle.