Ce que je crois pour toujours

On croisait sa silhouette menue dans les travées du 57 bis rue d’Auteuil, marchant d’un pas prudent mais vif, stylo…

On croisait sa silhouette menue dans les travées du 57 bis rue d’Auteuil, marchant d’un pas prudent mais vif, stylo à la main, et paraissant en perpétuelle réflexion. Béchir Ben Yahmed semblait ne pas avoir d’âge, lui qui a traversé 60 années d’Afrique indépendante. Plus que l’observateur privilégié d’une période riche et mouvementée, BBY a été un acteur et un confident de l’histoire du continent. Un continent qu’il connaissait sur le bout des doigts, du nord au sud, mieux que quiconque, à travers les hommes et femmes qui le faisaient rythmer. Ami (ou adversaire) de certains chefs d’Etat, il a été leur égal. Jeune Afrique était son pouvoir. Respecté et craint, il forçait l’estime par la justesse de ses analyses, souvent visionnaires, parfois polémiques, dans son fameux éditorial « Ce que je crois ».

Béchir Ben Yahmed nous a quittés à l’âge de 93 ans ce 3 mai 2021, journée de la liberté de la presse. Tout un symbole pour celui qui avait consacré sa vie à développer son magazine, luttant contre la censure et tiraillé entre la liberté d’écrire et les impératifs commerciaux. Passionné par le débat d’idées, on l’imagine échanger gaiement, là haut, avec Sennen, Siradiou, Elimane ou son ami Jean Daniel. De François Mitterrand à Léopold Sedar Senghor, nombreux sont ceux qu’il a côtoyés et appréciés ici bas, avec lesquels il pourra commenter l’actualité avec facétie.

Au moment où sa plume verte s’assèche à jamais, il est presque certain que Jeune Afrique survivra à Ben Yahmed. Comme Le Monde a survécu à Beuve-Mery, il est des titres qui ne meurent jamais. Parce qu’ils ont marqué plusieurs générations de lecteurs, montré la voie à d’autres, et parce que leur fondateur continue d’inspirer, après sa mort, ceux qui ont la lourde charge de continuer l’aventure.

En 2003, BBY m’avait pris sous son aile, m’a formé au journalisme et à la gestion d’une entreprise de presse. Son exigence et sa puissance de travail ont été des enseignements pour la vie. Je vous salue Monsieur Ben Yahmed !