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EXCLUSIF : Amadou Ndjoum : « Mon bon comportement a été mon ticket de survie »

Mercredi 20 septembre aux environs de 18h, Amadou Ndjoum, l’agent de l’INPS kidnappé par la Katiba Macina, pénétrait dans Diafarabé,…

Mercredi 20 septembre aux environs de 18h, Amadou Ndjoum, l’agent de l’INPS kidnappé par la Katiba Macina, pénétrait dans Diafarabé, libre. L’homme fatigué, après plus de 4 mois de captivité en clandestinité, est malgré tout souriant. Quelques jours plus tard, il confiait au Journal du Mali le récit, parfois surprenant notamment sur la mansuétude de ses geôliers, de son enlèvement jusqu’à sa libération.

Depuis votre libération, comment vous-portez-vous ?

Je suis fatigué mais je vais bien. Depuis que j’ai été libéré, j’ai l’impression que je suis toujours en train de rêver ma libération. Je me demande si c’est vrai, c’est encore un peu confus dans ma tête. Je me sens fatigué. Là-bas je me couchais à 21h et je me réveillais à 5 h du matin car je ne pouvais plus dormir. Quand un nouveau jour se levait, c’était le signe du retour à la réalité, des soucis qui commencent, une nouvelle journée à affronter. Chaque jour qui passait était comme des années pour moi.

Pouvez-vous revenir sur votre enlèvement, le 26 avril dernier, comment cela s’est-il passé ?

J’ai quitté Mopti le 25 avril, je partais à Youwarou pour le paiement des pensions, chose que je fais mensuellement depuis 2010. Arrivé à Walado qui est environ à 25 km de Youwarou, il faut prendre le bac pour traverser avec les véhicules et continuer sur Youwarou. Nous étions deux sotramas à attendre le bac. Un homme est venu à moto enturbanné, il a intimé au conducteur de bac de ne faire traverser personne et d’immobiliser tous les véhicules. Quelques minutes sont passées et des hommes à bord de trois motos ont traversé de l’autre côté pour venir dans notre direction. Ils étaient en tout six, enturbannés et armés. Ils se sont directement dirigés vers moi. Ils m’ont demandé mon identité, où j’allais. Je leur ai dit qui j’étais et que j’allais à Youwarou. Ils ont voulu savoir ce que j’allais faire là-bas. J’ai répondu que j’allais payer les pensions. « Ah, donc c’est toi! » a dit l’un d’entre eux. J’ai compris qu’ils avaient ordre de venir me chercher. Ils ont pris mon sac. Nous sommes partis. On a traversé le fleuve en pirogue avec les motos. Arrivé sur la terre ferme, on m’a bandé les yeux, on m’a mis sur une moto, on a beaucoup roulé, on s’est juste arrêté à un moment pour prier et la nuit, on est arrivé dans un endroit que je ne connaissais pas. Je n’avais pas l’esprit tranquille car je ne savais pas où ils me menaient et ce qu’ils voulaient.

Vous ont-ils dit à ce moment-là pourquoi ils vous ont enlevé ?

Oui. Après la prière, ils ont ouvert mon sac où j’avais mes bordereaux de paiement, mes portables et tout. Ils ont tout enlevé. Ils m’ont dit qu’ils savaient que je partais chaque mois à Youwarou pour aller payer le salaire des militaires et des gendarmes de Youwarou. Je leur ai dit que non. J’ai essayé de leur expliquer en leur montrant les bordereaux, les noms et les paiements mais ils étaient illettrés, ils n’arrivaient pas à comprendre. Ils m’ont dit que ce que je disais était faux. Je leur ai demandé d’enquêter à Youwarou et voir si ces noms sont des porteurs d’uniformes ou des civils. Je savais que ma vie dépendait de ça et que s’ils comprenaient que je ne m’occupe pas des salaires des militaires, ce ne serait pas les mêmes conséquences. Pour eux, j’étais un militaire en civil qui cachait ce qu’il faisait pour payer ses collègues de l’armée. Ils ont pris mes affaires, compter mon argent, ils ont tout daté et scellé et ils m’ont dit que le jour que je serais libre, ils me le rendront.

Photo: Olivier Dubois

Savez-vous qui a pu leur dire que vous faisiez ces tournées pour payer les militaires ?

Ils m’ont dit que c’est quelqu’un qui me connaît très bien, quelqu’un qui savait quand et où je partais faire ma tournée. Cette personne leur a raconté que comme je payais les militaires, j’étais leur ennemi aussi. Je n’ai pas encore de preuve formelle sur l’identité de cette personne, mais je le saurai.

Vous avez été en captivité pendant plus de 4 mois, comment avez-vous été traité et comment êtes-vous parvenu à tenir ?

J’ai essayé d’être comme ils sont et de garder la foi. Je ne peux pas vraiment dire que j’ai été maltraité. Ce qu’ils mangeaient, c’est ce que je mangeais, c’était l’égalité totale. Je peux même dire que j’étais mieux traité que les autres du groupe. Ils faisaient tout pour me protéger. Malgré les conditions dans lesquelles nous vivions, ils faisaient en sorte que j’aille bien. Durant ma captivité, ils venaient me demander mes habitudes, ils voulaient savoir ce que je prenais, ce que je voulais. Ils m’apportaient de l’eau pour me laver, ce sont eux qui lavaient le linge pour moi. J’avais pas mal de droit sauf la cigarette car ils n’aiment pas ça, mais bon, moi je ne fume pas. Nous dormions principalement à l’extérieur. J’avais une natte, j’avais des couvertures. Côté nourriture, les 3 repas étaient respectés, on mangeait ensemble. J’ai observé les 30 jours de carême avec eux et malgré les conditions de détention, j’y suis parvenu à leur grand étonnement. La Tabaski, on l’a fêté ensemble. J’étais avec eux tout en pensant à ma famille. Je n’étais pas ligoté je pouvais quand même bouger. Je passais mes journées assis ou couché, je me levais pour la prière. Là-bas, on ne te dit rien, tu n’entends rien de l’extérieur, le temps était très long.

Avez-vous songé à vous échapper pendant votre captivité ?

Non je n’y ai pas pensé. C’est peut-être ça aussi qui m’a beaucoup favorisé. Je ne leur ai pas aussi menti. J’ai été enlevé pour une fausse accusation. J’ai pensé que comme ce qu’ils me reprochent est faux, je ne resterai pas longtemps leur prisonnier. Ça m’a permis de garder espoir. Je me suis bien comporté. Ils ont petit à petit eu confiance en moi. Au début, ils pensaient que j’allais m’échapper. Mais ils ont compris que je n’allais pas le faire. Les chefs me disaient que j’étais une personne de confiance. J’étais une sorte de prisonnier modèle pour eux. Ils m’ont même dit que c’est la première fois qu’ils capturent quelqu’un et qu’ils le félicitent et l’apprécient. Je pense que mon bon comportement durant ces longs mois a été mon ticket de survie.

Qui étaient vos ravisseurs, avez-vous pu communiquer avec eux, créer des liens ?

C’était les hommes d’Amadou Kouffa. Nous communiquions, car nous parlions la même langue, la langue peule et nous pratiquions la même religion, l’Islam. Il n’y avait que des hommes, il y avait aussi des enfants, des talibés, qui venaient nous visiter d’eux-mêmes. Je ne peux pas estimer leurs nombre car je n’étais pas directement avec eux. Il y avait une garde rapprochée, au moins 3 ou 4 personnes qui m’entouraient et me surveillaient. Ils discutaient toujours à distance, ils se méfiaient, ils ne voulaient pas que je les vois à visage découvert ou que j’entende certaines conversations.

Vous a-t-on souvent fait déplacer durant votre captivité ?

Jusqu’à ma libération, on m’a déplacé au moins 3 fois. J’avais toujours les yeux bandés pour ne pas savoir ou j’étais et ne pas les reconnaître. Les déplacements se faisaient à moto.

 

Y’avait-il d’autres otages avec vous ?

Non, j’étais le seul avec eux.

Vous ont-ils parlé de négociation visant à vous faire libérer ?

Non pas vraiment. Après 20 jours, ils sont venus me voir et ils m’ont dit que mes parents demandaient une preuve de vie et qu’il fallait faire une vidéo. C’est la vidéo que vous avez dû voir.

Quand j’ai demandé s’ils avaient fixé une rançon, ils n’ont rien dit. Chaque fois que je posais des questions ils me disaient « on est en train d’en parler avec ta direction, on est là-dessus ». Ils m’ont ensuite dit qu’ils n’ont jamais demandé de rançon à qui que ce soit. Je ne sais pas pourquoi ils m’ont libéré. Je pense que c’est Dieu qui m’a blanchi.

Comment s’est déroulée votre libération ?

Le mercredi 20 septembre, vers 15h, ils sont venus me chercher, je m’en souviens parce que j’ai prié à 14h. Ils m’ont dit de prendre mon sac et de les suivre. Je pensais que nous partions pour une autre destination. On a roulé jusqu’à environ deux ou trois kilomètres d’une ville. On s’est arrêté. On était deux seulement. Il m’a demandé si je connaissais l’endroit. J’ai répondu que non. Il m’a dit que c’était Diafarabé, puis il m’a dit que ses supérieurs lui ont demandé de me libérer aujourd’hui. Il m’a montré au loin des antennes et il m’a dit que c’est là-bas, dans la ville, que je devais aller. Il devait être 18h. Je n’avais plus qu’à marcher pour m’y rendre. Il m’a donné 5000Fcfa, pour payer le passage en pinasse ou en pirogue et il est parti. C’est quand il s’est éloigné avec sa moto que j’ai compris que j’étais réellement libre. J’ai marché et suis entré dans Diafarabé. Je ne connaissais personne là-bas. Il y avait des jeunes qui jouaient au ballon. Je me suis approché, j’ai demandé s’il connaissait la seule personne que je connaissais et qui habitait à Tenenkou. Chacun a appelé des camarades pour essayer de trouver cette personne. Je me suis présenté, je leur ai dit que j’étais Ndjoum, l’agent de l’INPS qui a été enlevé par les djihadistes. L’un des garçons présents a été très surpris, il était le fils du président des retraités de l’INPS de Diafarabé. On est allé voir son père qui était très ému. Je suis resté là-bas, je me suis lavé, j’ai mangé. Ensuite on a appelé notre direction. Ils ont pris la route pour venir me chercher en bateau, le rendez-vous était à 1h du matin. Ça a pris un peu de retard, le bateau est arrivé à 5h du matin, et on a enfin embarqué pour Mopti ou j’ai pu retrouver ma famille.

Aujourd’hui libre, que ressentez-vous et qu’allez-vous faire ?

Tous ces longs mois, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, je me disais pourquoi tout ça. On m’accuse de quelque chose qui n’est pas vrai. Ce qui m’est arrivé, c’est quelque chose que l’on ne peut pas prévoir. Là-bas on ne sait pas qui est qui. En tout cas je ne partirai pas, je resterai où je suis. Ma direction qui m’a demandé de venir à Bamako. Je dois les voir lundi. Je dois aussi voir les autorités. Je vais demander à avoir un congé pour me reposer et retrouver ma famille.

Amadou Ndjou entouré de proches à Bamako.

De nombreuses personnes se sont mobilisées pour faire en sorte qu’on ne vous oublie pas et tenter de vous faire libérer. Qu’avez-vous à leur dire ?

Quand j’ai appris cela, je ne savais même pas quoi dire. J’ai senti que vraiment on ne m’avait pas abandonné. Même si j’étais coupé de toutes informations, je tentais de garder espoir. Cette mobilisation, ces soutiens, ça m’a redonné des forces, savoir qu’il y avait tous ces hommes et ces femmes, ma famille, derrière moi. Si je suis aujourd’hui libre c’est grâce à eux et je les en remercie infiniment.