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Fatouma Harber : le « Timbuktu » de Sissako n’est pas le Tombouctou que j’ai vécu

Le film du cinéaste mauritanien a été annoncé tambour battant comme étant le seul film africain sélectionné pour la palme…

Le film du cinéaste mauritanien a été annoncé tambour battant comme étant le seul film africain sélectionné pour la palme d’or du prestigieux festival de Cannes cette année, cela interpelle. Encore plus quand la tombouctienne que je suis apprend que le film s’appellerait « Timbuktu » (Tombouctou en anglais) et porterait sur l’occupation que nous avions vécue d’avril 2012 à  janvier 2013. Pire, il aurait été accueilli par des applaudissements de la presse. Toute la journée, J’ai attendu la projection et les échos de la conférence de presse que le réalisateur mauritanien ferait devinant, presque ce qu’il raconterait en me fiant au casting du film qui donne une place de choix à  des acteurs Touaregs qui auraient vécu les mêmes évènements que moi. Je ne sais pas si mes tweets depuis Tombouctou lui sont arrivés, ni s’il connait l’existence de mon blog, même s’il aurait éclaté en sanglot en conférence de presse en disant « pleurer à  la place des autres », à  ma place en un mot ! Du cinéma ! Hum… quand le sage dit que le chasseur raconte toujours ses parties de chasse comme il le veut car la version de l’histoire du lion a un angle bien différent … je le comprends. Je ne mâcherai pas mes mots encore une fois, mais le scénario de ce film, les scènes qui ont un tel effet sur le cinéaste mauritanien, est cousu de mensonges et d’approximations qui sont honteux. Tous les faits peuvent être retracés par n’importe quel habitant de Tombouctou et malheureusement, C’’est peut-être le coté dramatique qu’il veut donner à  son film, mais je m’insurge en faux ! Rien ne s’est passé comme ce film le soutient, avoir vécu cela ne me fait pas éclater en sanglots, même pour femme que je sois. Ne rien dire après un tel film est un crime pour la militante de Tombouctou. Des faits qui se sont déroulés, il n’y a pas si longtemps sont complètement dénaturés et même transformés par le narrateur qui se permet de changer la tournure des faits pour prendre la place de la victime. C’’est honteux ! L’affiche peut en témoigner. En effet, on voit une femme noire en pleurs, habillée de noir de la tête aux doigts. Nous n’avons jamais eu droit à  cette scène à  Tombouctou o๠les pseudo djihadistes d’ansardine exigeaient que les femmes se couvrent avec le voile traditionnel des femmes arabes de Tombouctou. J’ai moi-même porté ce voile d’une couleur jaune, passant et repassant devant la police islamique qui n’était point éloignée de mon habitat. Je me rappelle encore de l’audience provoquée par mon article sur la protestation des femmes Bellahs, vendeuses de poissons au marché de Yoboutao, et qui se sont déshabillées pour protester contre le port du voile. Le film évoque également un cas de lapidation qui n’a jamais eu lieu à  Tombouctou. Un couple ayant eu un enfant sans mariage a été fouetté sur la place publique de Sankoré par des djihadistes qui se sont relayés, la population y a assisté sans broncher, juste devant la porte de l’Imam de la mosquée de Sankoré (jadis grande université de la ville historique) et qui n’a jamais accepté ne serait-ce que discuter avec les occupants…. Il y a un écart, si ce n’est un fossé avec une vraie lapidation et pour mauritanien qu’il est, monsieur Sissako n’ignore point la signification du mot ni la manière dont cela se déroule. La motivation du cinéaste viendrait du témoignage d’un touareg de sa connaissance, à  propos de l’exécution d’un touareg qui aurait tué un pécheur accidentellement, comme si l’homicide involontaire n’en était pas un. Mais ce qui exaspère le plus dans cette histoire , C’’est la dénaturation éhontée des faits, le tueur, serait un paisible berger touareg du nom de Kidane (un nom pas du tout touareg soit dit en passant) qui aurait réussi à  trouver la tranquillité à  l’écart du désordre régnant dans toute la zone occupée et sillonnée par les troupes du MNLA qui ont été chassées des grandes villes du nord par les islamistes, qui ont épargné les populations des pillages du MNLA Bon ! Certainement. que son ami témoin était un membre du MNLA, car la Mauritanie est la base arrière des défenseurs de la cause du « touareg victime de l’état malien », et je n’irai pas jusqu’à  dire que Sissako est un membre du MNLA, mais C’’est incroyable comme il s’est laissé avoir par le discours de victimisation. Comme la presse internationale d’ailleurs. Quand il affirme que « les Touaregs sont des victimes au Mali » dans l’interview accordé à  jeune Afrique, C’’est aisément compréhensible. Mais C’’est creux ; Avec deux ans de recul, il avait la possibilité d’échapper à  la compassion envers un peuple dont il est proche, je ne sais pas s’il est touareg, mais les différents changements de cap du MNLA durant cette occupation pouvaient l’aider avec un peu de bonne volonté et d’objectivité. Mais il faut reconnaitre que C’’est difficile et que les minorités victimes sont « les chouchous de l’opinion occidentale ». Cannes n’est pas Ouagadougou ! Incohérences, inexactitudes Pour revenir à  son histoire et à  Kidane, qui vivrait tranquillement avec sa femme, sa fille et un petit garçon qui garde son bétail – certainement un petit noir qui est leur esclave en réalité, mais comme cela n’arrangerait pas l’image du gentil touareg, pas de précisions !- aurait tué malencontreusement le pêcheur qui a tué une de ses vaches et tombe entre les mains des djihadistes. Je le dis haut, l’écris en gras : C’’est faux ! Rien n’est vrai dans cette histoire ! Ce touareg qui a été la seule personne exécutée par Ansardine à  Tombouctou, était un membre du mouvement, il n’était pas un habitant de la région et C’’était une personne qui persécutait la population des villages des alentours de Tombouctou. Son acte était prémédité et il a déclaré au pécheur qui refusait d’exécuter ses ordres qu’il était venu spécialement pour lui avant de le tuer froidement de plusieurs coups de fusil. Il est resté libre longtemps et d’ailleurs ansardine a essayé de donner le prix du sang à  la famille de la victime, qui a refusé et a exigé que le coupable soit tué comme le veut la charia. s’il y a un véritable buzz autour du film sur Grace de Monaco, C’’est parce que l’histoire de la roturière devenue reine est bien connue, mais malheureusement, pendant l’occupation de Tombouctou, l’heure était à  la débandade et au repli stratégique des militaires et des fonctionnaires de l’état qui étaient les ennemis des troupes de Touaregs qui sont entrés à  Tombouctou en scandant un Azawad que nous (habitants de la ville ) n’avions jamais réclamé. Les arabes les ont rapidement ralliés. Je n’ai même pas vu le film et J’en crache parterre, je me demande si je pourrais le regarder un jour tellement je suis dégoutée ! Mais il faut reconnaitre qu’il illustre parfaitement le hold-up dont nous faisons l’objet au nord du Mali : les Touaregs se révoltent, invitent tous les bandits du Sahara sur nos terres, des cheiks du Qatar prennent leurs pieds en regardant des obscurantistes torturer d’innocentes populations, fouetter des femmes, en enlever pour des viols collectifs, détruire des mausolées millénaires, détruire tout ce qu’il y a comme infrastructures, des écoles aux dispensaires, faire du bois de chauffe de nos bancs d’école – je me rappelle que l’ambulance de l’hôpital servait à  amener leurs femmes au marché et ce sont eux qui deviennent les victimes de l’oppression et du racisme ? Quand l’histoire a pris une autre tournure et les troupes de serval sont intervenus pour chasser , ils sont devenus les victimes et la guitare a aussitôt remplacé la Kalach. Heureusement qu’il utilise cet orthographe, TIMBUKTU, qui me permet de concrétiser cette différence. Ce film est le fruit d’une imagination fertile! Il y a des choses qu’il faut oser dire !