Politique




Ibrahim Maïga : « Le dialogue doit être appréhendé non pas comme une solution exclusive, mais comme un élément d’une boîte à outils »

La libération récente de plus de 200 djihadistes en échange de celle de 4 otages dont Soumaila Cissé, continue de…

La libération récente de plus de 200 djihadistes en échange de celle de 4 otages dont Soumaila Cissé, continue de susciter des interrogations au Mali sur les conséquences qui pourraient en découler. Mais, elle pourrait être également une opportunité pour approfondir les discussions avec les chefs terroristes en vue de faire taire les armes de manière durable. Ibrahim Maïga, chercheur principal au Bureau de l’Afrique de l’Ouest de l’Institut d’études de sécurité (ISS Africa) nous livre dans cet entretien, son analyse sur les contours d’éventuelles discussions avec les terroristes au Mali.

Les canaux de négociations qui ont conduit à la libération des otages récemment au Mali dont Soumaïla Cissé, doivent-ils servir pour un  approfondissement des discussions avec les djihadistes ? 

Les négociations ayant abouti à la libération de Soumaïla Cissé n’ont pas encore livré tous leurs secrets. Il faut donc aborder cette piste avec précaution d’autant plus qu’elle reste une possibilité parmi de nombreuses autres. Cette affaire illustre une fois de plus le rôle clé joué par des acteurs locaux dans la crise. Cependant, il ne faut pas se méprendre sur leur capacité à obtenir un cessez-le-feu temporaire ou définitif. Ce dernier dépendra davantage des contreparties que des seules qualités intrinsèques des intermédiaires. Par conséquent, les chances d’obtenir un cessez-le-feu dépendront elles aussi d’une articulation intelligente entre les échanges par le “bas” (par des acteurs locaux, autorités coutumières ou religieuses) et des actions par le “haut” (par des responsables de l’administration ou des représentants du chef de l’État).

On sait que l’ancien Président IBK avait ordonné des contacts avec les djihadistes en vue de négocier avec eux. Les autorités de la transition doivent-elles poursuivre dans ce sens?

Cette décision de l’ancien Président IBK est le résultat d’un long cheminement entamé dès 2012 avec l’occupation des régions du nord par un conglomérat d’acteurs armés dont des groupes qualifiés de djihadistes. À cette époque, des arrangements avaient été trouvés pour acheminer des vivres dans les localités sous leur contrôle ou procéder à la libération de prisonniers notamment militaires. À l’époque déjà, des voix s’étaient levées pour appeler à la poursuite de ces contacts afin de parvenir à une solution négociée. Depuis, les partisans de cette option n’ont cessé de donner de la voix y compris à l’occasion d’événements importants comme la Conférence d’entente nationale en 2017 ou plus récemment lors du Dialogue national inclusif (DNI) tenu en 2019. Il ne s’agit donc pas d’une idée nouvelle, même si c’est la première tentative assumée de dialogue par le « haut », c’est-à-dire émanent d’un mandat de haut niveau de la part de toutes les parties, et potentiellement mené par des émissaires eux aussi de haut niveau. Jusque-là, le dialogue avec ces groupes a essentiellement consisté en des échanges par le « bas ». Les autorités de la transition ne se sont pas encore officiellement prononcées sur la question mais compte tenu de leur attachement affiché aux recommandations du DNI, il est possible qu’elles poursuivent dans la même direction. D’autant plus que le contexte actuel semble favorable à l’exploration de cette piste.

Est-ce que la méthode des présumés djihadistes à Farabougou depuis quelques jours, peut encore se répéter dans d’autres endroits du Mali ? 

Ce n’est pas la première fois qu’un village subit un blocus de la part d’un groupe armé. Rappelez-vous des cas emblématiques de Kouakrou, de Dialloubé ou encore de Toguéré-Koumbé dans la région de Mopti où pendant plusieurs semaines voire des mois les populations ont vécu sous le diktat d’individus se réclamant de la Katiba Macina. De nombreux villages dans le nord et le centre du pays ont vécu et continuent de vivre ce calvaire souvent dans l’anonymat le plus total. Pour les groupes qualifiés de djihadistes, c’est une façon, d’une part, de faire payer aux villageois leur manque de soutien et, d’autre part, leur collaboration supposée ou réelle avec les forces de défense et de sécurité. En l’absence d’une autorité protectrice, certains villages acceptent un modus vivendi avec ces groupes pour échapper à l’asphyxie. Ce qui ne signifie pas que les villages ne faisant pas l’objet de blocus soient tous acquis à la cause de ces groupes mais tout simplement que le rapport de force offre très peu d’alternatives aux populations. C’est souvent cette lecture tendant à assimiler toute localité relativement préservée à un village de sympathisants qui a conduit à une vision erronée avec des conséquences dramatiques pour les populations civiles.  

Les autorités de la transition, doivent-elles recourir  à une réponse armée ou privilégier des négociations avec ces présumés djihadistes de Farabougou?

L’une n’exclut pas l’autre. La menace crédible d’une intervention militaire peut avoir un effet psychologique sur les groupes et créer un rapport de force favorable dans les négociations. Quoiqu’il en soit, il faut recentrer l’agenda stratégique des forces de défense et de sécurité sur la protection des civils. Il faut insister sur ce point, l’enjeu n’est pas simplement un gain territorial mais la préservation de vies humaines. 

La France, qui est engagée au Sahel contre le terrorisme et qui enregistre des pertes en vie humaines et dégâts matériels, se distance de l’optique de discussions avec les terroristes. Cela risque-t-il d’influencer les décisions des autorités maliennes vis-à-vis de l’attitude à adopter face aux djihadistes?

Sur cette question, on voit bien qu’il n’y a pas une unanimité ni au Mali, ni entre le Mali et ses voisins ou encore ses partenaires internationaux. Le Mali a choisi de circonscrire le champ de son projet de dialogue aux seuls chefs maliens du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), en l’occurrence Iyad Ag Ghaly et Hamadoun Kouffa. Si le critère de la nationalité soulève des interrogations, notamment sur sa pertinence au regard de la nature transfrontalière de ces groupes, il permet aux autorités de ne pas froisser les pays voisins qui n’ont pas encore franchi ce cap et les partenaires internationaux qui sont engagés militairement dans la lutte contre le terrorisme. Cependant, il faut tout de même reconnaître que les “lignes sont en train de bouger”. En début d’année, au Sommet de Pau, les Etats du G5 Sahel et la France ont désigné l’Etat islamique au grand Sahara (EIGS) comme l’ennemi public numéro un. Cela revient implicitement à considérer les discussions possibles avec le GSIM dirigé par Iyad Ag Ghaly. Ensuite, les déclarations, ces dernières semaines, de responsables de haut niveau de l’Union africaine et des Nations unies appelant à considérer l’option du dialogue démontrent une évolution doctrinale. La solution militaire n’est pas en mesure de prendre en charge la diversité et le caractère multiforme de l’insécurité. Il convient de ne pas s’enfermer dans une approche cloisonnée qui a conduit le Mali et le Sahel dans l’impasse sécuritaire actuelle. Il ne faut pas toujours chercher à opposer des actions (militaire, dialogue, développement) qui pourraient sous certaines conditions concourir simultanément à l’objectif final recherché qui est la stabilisation de la région. 

Est-ce que négocier éventuellement avec le GSIM d’Iyad Ag Ghaly seul, suffirait aujourd’hui pour une accalmie ? 

Bien que la question du dialogue ne manque pas de pertinence au regard de l’impasse actuelle, sa matérialisation reste complexe et les obstacles demeurent nombreux. Ces derniers sont liés tant à la nature des revendications de ces groupes (départ des troupes étrangères et françaises en particulier, application de la Charia, etc.) qu’aux modalités pratiques du dialogue. S’agissant de celles-ci, trois facteurs devraient être pris en compte dans le cadre de la conduite d’un processus de dialogue. Le premier est lié à la question des objectifs assignés à cette option. Le succès ou l’échec de cette démarche ne devra pas exclusivement être évalué à l’aune de la conclusion d’un accord mais aussi de sa capacité à démobiliser une partie des combattants. En effet, l’une des caractéristiques de ces groupes est leur segmentation. Les motivations de la base combattante sont différentes de celles du leadership. Deuxièmement, il faut relever que cette démarche devra être menée en parallèle de la réponse militaire. En d’autres termes, le dialogue doit être appréhendé non pas comme une solution exclusive ou une panacée, mais comme un élément d’une boîte à outils comprenant à la fois des actions sur le plan de la gouvernance, de la sécurité et du développement. La question du séquençage et de la coordination avec les partenaires internationaux notamment ceux qui interviennent militairement sera donc un gage important d’efficacité. Ensuite, le dialogue doit être appréhendé comme une opportunité pour des consultations élargies avec les communautés locales sur le renouveau de la gouvernance au Mali. Il est donc important de bien choisir le format dans lequel les discussions auront lieu tout en étant pleinement conscient de la possibilité d’enregistrer souvent des avancées et parfois des reculs.