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« Il est minuit moins cinq pour le Sahel »

La sécheresse et la famine ne sont pas des événements extrêmes. Ni des anomalies. Elles ne sont que la partie…

La sécheresse et la famine ne sont pas des événements extrêmes. Ni des anomalies. Elles ne sont que la partie émergée de l’iceberg d’un système alimentaire mondial fondé sur l’inégalité, les déséquilibres et en définitive la fragilité. Et elles sont le résultat régulier d’un climat de plus en plus hostile et problématique pour la production alimentaire sur d’immenses portions du monde en développement. Pour la troisième fois en sept ans, la région ouest-africaine du Sahel est confrontée à  une combinaison explosive de sécheresse, mauvaises récoltes et flambée des prix alimentaires. Six millions de Nigériens, 2,9 millions de Maliens et 700 000 Mauritaniens sont aujourd’hui sérieusement en danger. Nous devons réagir immédiatement pour éviter une crise alimentaire et nutritionnelle dévastatrice. Mais notre réaction doit en même temps redéfinir le vocabulaire d’une crise alimentaire. C’est notre système alimentaire mondial qui est en crise. La famine de l’an dernier dans la Corne de l’Afrique et les malheurs actuels au Sahel ne sont que les fissures les plus visibles d’un système qui exhibe aujourd’hui ses limites. Ces crises régionales ne sont pas, en soi, des événements extrêmes : elles ont une dimension systémique. Au-delà  de la sémantique, c’est là  une distinction cruciale. Tant que nous les considérerons comme des événements extrêmes et inattendus, nous ne reconnaà®trons pas la régularité et la prévisibilité de la faim. Par là , nous nous interdisons de reconnaà®tre les déficits qui affectent le système alimentaire lui-même. Cela signifie que nous ne nous préparons pas à  affronter une famine persistante dans le développement international et la politique humanitaire. Et cela signifie que nous attendons que des gens meurent de faim avant de nous mobiliser pour le changement. La pire crise de famine en cent ans a frappé le Kenya, l’à‰thiopie, la Somalie et Djibouti l’année dernière, touchant 13 millions de personnes et prenant des milliers de vies. L’aide internationale est parvenue aux régions concernées à  partir de mi-2011, quand les déplacements de masse, la malnutrition et la mort s’étaient déjà  installés. Et pourtant, selon un rapport accablant d’Oxfam et de Save the Children, des systèmes d’alerte précoce avaient déjà  signalé la crise en août 2010. Pour qu’ils réagissent, il a fallu attendre que les décideurs soient confrontés à  la réalité des conséquences des récoltes perdues et des élevages décimés. Il a fallu que le mot « famine » soit prononcé, alors que celle-ci avait été prédite de des mois plus tôt, son arrivée parfaitement anticipée. Et dans la crise qui s’ébauche au Sahel aujourd’hui, o๠sont les responsabilités ? En partie, dans les déficits de la gouvernance locale: les gouvernements de la Corne de l’Afrique avec l’aide des agences internationales d’aide et de développement auraient dû dresser à  commerce et l’aide ne peuvent apporter toutes les réponses surtout quand les prix internationaux des céréales sont en hausse, comme le fut le cas depuis quatre ans jusqu’à  leur baisse récente. La solution est dès lors double : nous devons correctement prévoir les crises alimentaires qui apparaissent au sein de notre système alimentaire dysfonctionnel, et nous devons enfin reconnaà®tre à  quel point il est à  réformer. Les populations les plus vulnérables du monde ne recevront l’aide à  court terme et le soutien à  long terme dont elles ont besoin que lorsque nous accepterons, modestement, de reconnaà®tre que nous nous sommes trompés.