Santé




Impulsion génétique des moustiques : un outil complémentaire  dans la lutte contre le paludisme

Le paludisme continue de tuer dans le monde. Selon le dernier rapport de l’organisation mondiale de la santé publié en…

Le paludisme continue de tuer dans le monde. Selon le dernier rapport de l’organisation mondiale de la santé publié en 2021, le nombre estimé de décès dû à cette maladie était de 627.000 , soit une augmentation de 69.000 décès par rapport à l’année 2020. Pour lutter contre la transmission de la maladie et parvenir à son éradication, de nouveaux outils technologiques sont expérimentés. Parmi lesquels, la technologie d’impulsion génétique des moustiques. Au Mali, des essais sont en cours.

Les scientifiques sont parvenus à la conclusion que bien qu’ayant fortement contribué à sauver des vies, l’utilisation de moustiquaires imprégnées d’insecticides et la pulvérisation intra-domiciliaires, les deux principaux outils de prévention utilisés contre le paludisme, ne suffisent pas dans la lutte anti-vectorielle  contre la maladie qui, en dehors des chambres se transmet aussi à l’extérieur des maisons.

Par ailleurs, l’anophèle femelle, responsable de la transmission du paludisme, a développé une résistance aux insecticides. Selon l’OMS, 78 pays ont signalé une résistance des moustiques à au moins une des quatre classes d’insecticides couramment utilisées au cours de la période 2010-2019.

Face à cette réalité, l’impulsion génétique des moustiques pour le contrôle et l’élimination du paludisme apparait comme un nouvel outil complémentaire, qui une fois mis au point, peut contribuer à réduire sensiblement les cas de paludisme dans le monde.

Une technologie à l’essai

L’impulsion génétique est un phénomène génétique qui se produit dans la nature, et par lequel une caractéristique donnée se propage rapidement à travers une espèce en l’espace de plusieurs générations, par le biais de la reproduction sexuelle.  Son rôle est d’augmenter la probabilité qu’un gène modifié soit hérité par la descendance.

Dans le cas des moustiques, il s’agit d’introduire une caractéristique  qui les rendrait  incapables d’héberger le parasite du paludisme, ou une autre qui affecterait leur fertilité en vue de réduire leur nombre.

« L’impulsion génétique  nous permet de rendre stérile les femelles  des moustiques qui transmettent le paludisme. Si les femelles sont stériles, la reproduction des moustiques  est affectée, et donc une réduction du paludisme », explique Dr. Mamadou Coulibaly, Directeur de Target Malaria au Mali, un projet mis en œuvre dans plusieurs pays africains, qui vise à réduire la population de moustiques vecteurs du paludisme en Afrique.

« Toujours dans le sens de la réduction des populations, cette technologie d’impulsion génétique est aussi utilisée pour amener un trait de distorsion du sexe ratio. Si la femelle pond 100 œufs, généralement 50 seront mâles et 50 femelles.  L’impulsion génétique peut donc aussi modifier ce ratio  de telle sorte  qu’au lieu d’avoir 50% de mâles et femelles, les œufs donnent 95 à 100% de mâles. S’il y a plus de mâles que de femelle, la reproduction est affectée et la population est réduite ainsi que la maladie», ajoute-t-il.

Au Mali où les travaux sur la modification génétique des moustiques sont à l’étape des essais en laboratoire et où il n’y a pas encore eu de lâcher de moustiques génétiquement modifiées, les chercheurs travaillent sur ces deux mécanismes : rendre les femelles stériles et dévier le sexe ratio vers les mâles.

Des résultats prometteurs

Avec l’autorisation du gouvernement malien pour l’importation de moustiques mâles stériles génétiquement modifiés sans impulsion génétique en septembre 2019, les recherches des scientifiques de Target Malaria sont en cours, partant d’étapes les moins compliqués vers les plus compliqués.

« La première étape était d’utiliser un moustique génétiquement modifié sans l’impulsion génétique. L’idée c’était de renforcer les capacités de nos équipes, les former et se rassurer qu’on pouvait répondre à toutes les normes internationales dans le cadre de l’élevage des moustiques génétiquement modifiées », confie Dr. Mamadou Coulibaly.

« Pour cela il fallait aller avec une souche moins complexe. Nous avons fait deux ans de travaux au laboratoire. Nous avons fait quelques tests sur des moustiques génétiquement modifiés. Puisque ce sont des mâles stériles il fallait se rassurer si la stérilité était dans la population, ce qui était le cas. Il fallait vérifier aussi si ces moustiques pouvaient être tués par des insecticides, et si le gène était transférable d’un patrimoine génétique à un autre », poursuit le scientifique. Des tests qui, à l’en croire, ont donné des résultats positifs.

Target Malaria Mali a conclu en 2021 ses études en milieu confiné sur le moustique mâle stérile génétiquement modifié sans impulsion génétique au sein de l’insectarium de niveau 2 de confinement d’arthropodes (Arthropod Containment Level-2) au centre de recherche et de formation sur le paludisme (MRTC).

Les moustiques mâles stériles ont été modifiés pour que seuls les mâles soient stériles. Pour obtenir ces mâles stériles, les chercheurs ont utilisé un gène de la nucléase qui, lorsque activé pendant la production du sperme, fragmente le chromosome X du sperme et de l’ovule lors de la fécondation.

« Ainsi, lorsque ces moustiques mâles sans impulsion génétique s’accouplent avec des femelles, les œufs pondus par les femelles n’éclosent pas et donc aucune progéniture n’est produite. Les femelles modifiées de cette souche sont cependant fertiles, ce qui permet à la reproduction de se produire en laboratoire dans des conditions de gestion spécifiques », détaille une note de Target Malaria Mali, présentant les résultats des études en laboratoires de l’expérience.

Au Burkina Faso, où les travaux sur la modification génétique des moustiques sont un peu plus avancés il y a déjà eu un lâcher de moustiques génétiquement modifiés mâles stériles suivi également de très bons résultats.  Cela a permis notamment d’observer comment ces moustiques se comportaient, à quels distance ils pouvaient aller,  ou s’ils allaient trouver le regroupement des femelles  pour la reproduction.

Renforcer les capacités

Au Mali, la communauté scientifique reste optimiste quant à l’opérationnalisation dans les prochaines années de la technologie d’impulsion génétique dans le cadre de la lutte contre le paludisme.

Aussi, elle a décidé de changer de cap à l’avenir et de s’appesantir sur un renforcement de capacités des scientifiques, des régulateurs et d’autres professionnels qui seront impliqués dans la gestion de cette technologie.

« Nous avons  décidé de laisser le cap du développement et de s’investir dans le renforcement des capacités , former nos équipes pour que celles-ci en forment d’autres que ce soit au Mali ou dans la sous-région sur ces nouvelles technologies de telle sorte que quand le moment du déploiement de ces technologies va arriver, les gens soient déjà bien aguerris et les comprennent », indique Dr. Mamadou Coulibaly.

Selon lui, différentes façon peuvent permettre  de vérifier l’impact de la technologie une fois qu’elle sera déployée, dans les prochaines années.  « Si l’idée est de réduire la population de moustiques, on peut mettre en place un système de monitoring pour voir si la densité ou l’abondance de cette population diminue. Il faudrait aussi voir la prévalence et l’incidence du paludisme, si cela diminue ou pas ».