Idées




Jugez-moi coupable

Au centre du Mali et particulièrement au Pays Dogon, on tue avec une telle facilité qu’il est temps de faire…

Au centre du Mali et particulièrement au Pays Dogon, on tue avec une telle facilité qu’il est temps de faire un diagnostic du crime et du sang. Tueurs professionnels, bandits, voleurs, brigands et les criminels les plus prolifiques de toute l’histoire du Mali se sont retrouvés au centre du Mopti où ils agissent avec une violence inouïe. Ils ne laissent sur leur passage que désolation et désespoir. Ils défient l’armée et sapent l’autorité de l’Etat. Comment sommes-nous arrivés là ? 

 

Notre pays, dans un passé si proche était adoubé par les institutions financières internationales comme un « bon élève » et d’autres organisations comme un exemple de démocratie est devenue un véritable paria. 

Certains de nos administrateurs abusant de la confiance que le peuple leur a accordée sont devenus des délinquants financiers si habiles et si dribbleurs qu’à côté les noms de football comme le roi Pelé, Messi et autres Ronaldo ou Salif Keïta « Domingo » ne sont que de piètres apprentis. Quand une seule personne est capable, en toute impunité et en toute liberté, manger la part de 10, 100, 1000 et bien plus, nous sommes alors au degré zéro de l’inconscience, de l’insouciance et de l’inconsistance. Cette situation me traumatise à tel point que je me suis amusé à poser des questions au tour de moi « Mais comment arrivent-ils à dormir avec un poids aussi lourd dans la conscience » ? La réponse d’un citoyen m’a laissé sans voix : « Mon frère, ils n’ont aucune conscience et ils ne dormiront mieux lorsqu’ils auront dépouillé le dernier paysan d’un village qui ne se trouve pas sur la carte du pays ». 

A chaque grand évènement, il y a un lot de millionnaires qui pousse comme de mauvais champignons. Même celui qui part acheter un cercueil coupe dans le budget. On ne sait plus à quel saint se vouer. Peut-être les seins purificateurs nous aideront à noyer notre chagrin, notre indignation, notre acrimonie et notre exaspération. Nous sommes en légitimité de nous demander pour revenir à l’injonction de Cicéron « Jusque quand abusez-vous de notre patience et jusque quand votre audace effrénée exaltera-t-elle de nous » ? L’histoire nous relève qu’il ne faut pas laisser le peuple avec la dernière possibilité qui lui reste : la force. Le peuple est comme un gros camion sans frein qui descend d’une colline. Aucune force peut le maîtriser au risque de gouverner dans un cimetière où l’on aurait toute la latitude de répondre à soi-même. 

Le second problème auquel nous faisons face est la question sécuritaire. Nous avons pleuré à en finir nos larmes. Nous avons parlé jusqu’à en finir toutes les salives de nos bouches. Nous avons écrit des lettres de condoléances jusqu’à en finir nos encres. Nous sommes devenus aphones. Nous sommes devenus sourds. Nos corps raids ne sentent plus rien. Nous sommes devenus aveugles. Sommes-nous entrain de demander des œufs de singes ? Non ! Juste le minimum pour nous revendiquer de la société des hommes.

S’agissant du centre du pays, il y a une sorte d’exonération pour de véritables syndicats de crimes. Ils ne laissent rien sur leur passage. Absolument rien. Ils volent. Ils pillent. Ils tuent. Ils incendient. Ils brûlent. Un diagnostic macabre qui nous fait penser à la « Solution finale » prôné par l’un des criminels le plus populaire de tous les temps ou l’auteur de la phrase la plus ignoble du XXème siècle « Le problème, c’est l’homme. Plus d’hommes, plus de problèmes ». 

Le magnifique balai de dirigeants, avec une vraie fausse empathie face à l’honneur ne présage rien de bon. « Aux hommes, il faut un chef et aux hommes, il faut un chef », dit l’adage. Malheureusement, il est difficile de percevoir une vraie volonté d’en finir avec les fours crématoires à ciel ouvert, qui n’ont que trop fumés. Quand on se rend au centre, il suffit d’observer le visage du chef de famille qui a perdu toute forme d’autorité à cause de l’honneur. Il suffit de regarder les yeux hagards de ces enfants dont les cris n’auront jamais d’échos puisque leurs mamans ont été emportées par la horde sauvage. Il suffit de sentir l’insupportable souffrance de ces veuves inconsolables pour avoir vu leurs maris se faire démembrer comme à l’abattoir. Il suffit de voir ces cases en ruine. Tous les souvenirs sont emportés. Que restent-ils quand on perd tout ? L’espoir ? Il n’y a point d’espoir à l’horizon. L’espoir est parti dans la besace des gorgones. 

Malgré les multiples signalements, les alertes incessantes depuis trois longues années, comment Echidna a pu confortablement élire domicile dans cette partie du Mali ? C’est parce que les dirigeants n’ont pas pu faire la différence entre les vrais et les faux acteurs. Ils ont souvent fait fi de la célèbre diction d’Amadou H. Bâ « Il y a des vieillards de 15 ans et des enfants de 90 ». Le respect des anciens est de coutume chez nous et c’est honorable. Mais choisir des gens qui ne savent que se servir que du papier pour des spécialistes en informatique moderne, c’est comme servir du pain sec à quelqu’un réclame de l’eau après la traversée du désert. 

Aujourd’hui, Echidna a fait venir tous ses copains et copines de la mythologie grecque chez nous. Ils ont pour noms : Phthon, Charybde, Pandore, Scylla, Typhon, Cerbère, la laie de Crommyon, Le Sphinx, L’hydre de Lerne, Chimère, Ladon, Géryon, Orthos, le lion de Némée, l’aigle du Caucasse, Polyphème, les harpies, Procuste et j’en passe. Autant dire que le gouvernement a du travail pour que l’histoire ne dise pas que « dans cette région ont vécu des hommes aux traits caractéristiques qui ne cherchaient qu’à vivre à la sueur de leur front et dont le destin ne fut que funeste ». 

Cela n’arrive pas grâce à ces femmes et hommes qui se battent pieds, avec dignité et détermination qui leur sont propres, pour sauver ce qui peut être encore sauvé. On a nul besoin d’être un maître en stratégie militaire pour conclure que ce qui se passe au centre est un bordel organisé. Sauf cécité intellectuelle et inertie cataclysmique, rien ne peut justifier ce qui s’est passé à Dioundiourou le jour de la fête de tabaski par exemple. Les faits sont là et ils sont têtus. L’armée a désarmé le comité d’autodéfense dudit village (3000 habitants) en promettant protection et assistance. Le lendemain, les bandits ont semé la terreur pendant plus de 24 heures avant de finir par brûler enterrement le village. Le lieu est à moins 30 km de Sevaré où sont postés plus de 6000 soldats et à 14 km de Bandiagara où se trouvent également les forces de sécurité. Comment pouvons-nous expliquer cela à nos enfants, de bonne foi à nos enfants ? Il n’y a aucune explication logique qu’on puisse donner même à un animal. Comment expliquer aussi que plus de 50 000 têtes de bétail soient emportés sans que l’on sache où elles sont parties ? Les animaux n’ont ni moteur, ni ailes par conséquent, il est impossible qu’elles disparaissent de cette manière. Je connais très bien le Pays Dogon et si besoin je suis prêt à dessiner une carte précise pour celui qui veut mais ne nous racontez pas des histoires à dormir débout. Je me suis longtemps imposé un devoir de réserve mais la loyauté envers celles et ceux qui m’ont vu naître et m’envoyer à l’école est plus sacrée. Jugez-moi coupable !

Drissa KANAMBAYE,

Université Catholique de Louvain (Belgique)