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« Kadhafi est un frère, un ami »

C'’est à  son domicile que le doyen a reçu les journalistes pour donner, comme il le fait souvent, son point…

C’’est à  son domicile que le doyen a reçu les journalistes pour donner, comme il le fait souvent, son point de vue sur la gestion de la crise libyenne. Morceaux choisis du coup de gueule d’un panafricanisme de la première heure. Pour vous, que représente Kadhafi pour l’Afrique aujourd’hui ? Seydou Badian Kouyaté: Je voudrais m’adresser surtout à  la jeunesse malienne. Il y a quelques temps, J’ai reçu la visite d’un groupe d’étudiants accompagnés d’un enseignant qui m’a demandé si à  part Kadhafi, il y avait un dirigeant de l’Afrique Blanche qui s’est intéressé à  l’Afrique Noire ? Je lui ai dit que oui. C’’était Mohamed V du Maroc qui avait réuni à  la conférence de Casablanca les dirigeants du Maghreb (Algérie, Maroc, Libye, Egypte) et le Machrek (Mali, Ghana, Guinée, etC’…). Quand Mohamed V est décédé, Nasser a pris le flambeau et il était un grand panafricaniste. Le mouvement, après eux est resté en veilleuse jusqu’à  ce que Kadhafi reprenne le flambeau. Je n’ai pas toujours approuvé les actes et paroles du Colonel Kadhafi, mais il a beaucoup fait. Avec son tempérament, il a pris le flambeau du panafricanisme et il a voulu tout de suite qu’on réalise les Etats Unis d’Afrique. Un tempérament qui m’a d’ailleurs rappelé celui de N’Krumah, à  la création de l’OUA. Ce que je retiens surtout de Kadhafi, C’’est qu’il a été, il est un grand africain. Iil a fait beaucoup, surtout pour le Mali. Il est aujourd’hui le premier investisseur de notre pays. l’hôtel de l’Amitié, C’’est lui maintenant, mais je rappelle que cet hôtel avait été construit par Nasser. Plusieurs autres hôtels, la mosquée de Ségou, la cité administrative de Bamako, une forte participation à  l’assurance CNAR, le canal de Tombouctou, et surtout les 100 000 hectares de l’Office du Niger. Il avait en projet de faire véritablement du Mali le grenier de l’Afrique noire. J’ai reçu des femmes qui m’ont demandé pourquoi on ne dit rien, pourquoi on ne soutient pas Kadhafi. Je leur ai répondu que si je le pouvais, J’aurai organisé pour lui une marche de gratitude. Pour le remercier de ce qu’il a fait ici et ailleurs. Houphouet Boigny disait que « si tu ne reconnais pas les gestes de tes anciens amis, tu n’auras pas de nouveaux amis sincères ». Il a donné du travail à  des pères de famille qui étaient dans la rue suite à  des mesures imposées par les patrons de Bretton Wood. Je crois que ce que nous pouvons faire C’’est lui témoigner notre gratitude et prier pour que Dieu lui inspire de très bonnes idées. Sur le dossier libyen, vous êtes l’un des rares intellectuels africains à  vous exprimer. l’Afrique est d’ailleurs très silencieuse dans cette crise Seydou Badian Kouyaté: Je ne suis pas très content du comportement de l’Union Africaine. Je pense que Kadhafi a été l’un des animateurs de notre organisation, un des membres les plus influents. s’il est en difficulté, notre rôle n’est pas de répéter ce que disent les autres. C’’est notre frère, nous devions aller le voir. Si ton ami, ton frère est sur la mauvaise voie, tu te dois d’aller le voir et lui parler, amicalement, sincèrement, fraternellement, lui dire « ce que tu fais là  n’est pas bon ». Il t’écoute ou non mais tu auras fait un geste qui libère ta conscience. Nous ne devons pas nous contenter de répéter ce que les autres disent. s’il existait un corps d’amis du monde, on aurait crié attention, il y a des puissants qui veulent libérer le peuple libyen. Après la Somalie, l’Irak, l’Afghanistan, ils veulent libérer la Libye aussi, on sait ce que ça va donner. s’il y avait une société juste, je crois qu’on aurait pu s’exprimer ainsi. J’entends les médias occidentaux dire que l’Afrique est silencieuse. Ils veulent certainement que l’Afrique ajoute sa voix au C’œur anti-Kadhafi. J’espère qu’il n’y aura pas un seul Etat africain qui jouera le rôle qu’on veut nous faire jouer. Nous ne pouvons pas faire ça. Si jamais, si jamais nous nous joignons aux anti-Kadhafi, ce serait une honte, nous aurions apporté de la souillure aux pages de notre histoire. Et la postérité aura honte de nous. Pour vous, il faut donc soutenir Kadhafi ? Seydou Badian Kouyaté: Attention, je ne dis pas de soutenir la Libye. J’ai entendu dire par des africains vivants en Libye que s’ils ont la paix, C’’est avec Kadhafi. Ils ont dit que C’’est le peuple qui ne les aime pas, parce qu’ils sont pris pour des amis de Kadhafi, des mercenaires. Donc, je ne soutiens pas, je dis que je suis prêt à  m’impliquer physiquement je ne peux pas, mais moralement, pour une marche de gratitude pour ce qu’il a fait pour les maliens. Ce n’est pas lui qui chasse ou frappe les maliens, C’’est ceux de l’autre côté. C’’est ceux qui ne l’aiment pas qui ne nous aiment pas. Et C’’est ce qu’on doit dire à  ceux qui veulent qu’on soit les ennemis de Kadhafi parce que eux ils sont ses ennemis. Nous sommes assez majeurs pour savoir distinguer nos amis de nos ennemis, nous n’allons pas épouser leur cause comme ça. Moi je dis non, en tout cas personnellement, je crois qu’on ne doit pas le faire. Quelle issue voyez¬-vous à  la crise libyenne ? Seydou Badian Kouyaté: Le président du Venezuela, Hugo Chavez, qui est un ami de Kadhafi, avait proposé une commission de négociation. Cette formule n’a pas été appuyée par l’UA. J’espère que les libyens pourront s’entendre entre eux pour sortir de la crise, sans avoir recours à  l’ingérence étrangère. Je répète quand on voit ce qui est arrivé en Irak, en Afghanistan o๠des forces étrangères sont intervenues au nom de la libération de peuples opprimés, on ne peut que souhaiter qu’on laisse les libyens tranquilles régler leurs problèmes. Si nous pouvons les aider, C’’est par la médiation et pas par les armes. Avec les révolutions en Tunisie puis en Egypte, on peut se demander si ce n’est pas le moyen de freiner les nations émergentes africaines? Seydou Badian Kouyaté: Vous savez, l’Afrique dont nous avions rêvé construire n’est pas celle que nous voyons aujourd’hui. Le Ghana est en train de se rattraper mais nous avions voulu une Afrique réellement indépendante, une Afrique de dignité. Les européens l’avaient compris d’ailleurs. Ils nous avaient taxés de communistes, de pro-soviétiques, de pro-chinois… quand on n’est pas avec eux, on est forcément « pro-quelque chose». Moi je pense qu’il faut reprendre l’éducation de la jeunesse. Je l’ai dit mille fois, nous avions institué des leçons de formation civique et morale. Il faut former l’homme. Tout ce que nous faisons, C’’est cela. l’objectif, C’’est pas des barrages, C’’est pas des ponts, C’’est pas des building, mais C’’est l’homme. Il faut qu’on reprenne les enfants, insuffler une autre mentalité, nous efforcer de créer un autre homme. Sinon, dans la situation actuelle o๠nous sommes, l’argent a pollué l’âme africaine. Quand on parle de corruption, C’’est la gangrène, C’’est partout. Il faut qu’on se replie, qu’on accepte de faire des pas en arrières pour analyser et recommencer avec de nouvelles bases, une nouvelle éducation pour la jeunesse. Rééduquer, rééduquer, rééduquer. Ce n’est pas seulement une révolution qui peut faire ça. Vous aurez beau changé d’équipe, si les hommes au départ n’est pas convaincu, ça ne donnera rien du tout. C’’est pour cela qu’il faut la formation des hommes. Ce sera de longue haleine, mais ça va marcher.