Société




Mines – Kobadani : les pépites d’or d’une noce annoncée

« Lelale ». Ceci n’est pas un cours sur les articles définis. Mais le nom d’une pratique d’orpaillage prisée qui attire beaucoup…

« Lelale ». Ceci n’est pas un cours sur les articles définis. Mais le nom d’une pratique d’orpaillage prisée qui attire beaucoup de jeunes filles à Kobadani, un site d’orpaillage traditionnel dans la commune de Sanso, région de Bougouni. Âgées de moins de 18 ans et fiancées, elles panent le minerai issu de la mine dans l’espoir d’y dénicher des pépites d’or. Ces précieux petits métaux jaunes, destinés à l’achat de leurs trousseaux de mariage, mais aussi à aider leurs familles, sont également obtenus en remontant de lourdes charges de minerais des dizaines de mètres de profondeur des puits de mine. Ce dimanche matin du 10 octobre est un autre jour qui commence pour plusieurs de ces filles, parfois très jeunes.

À huit heures, alors que le soleil se pare en sa robe de feu, les préparatifs vont bon train au campement de fortune, une vaste étendue de maisonnettes de branches d’arbre recouvertes de bâches noires. Chez Rokia, la restauratrice, trois jeunes filles s’empressent d’avaler goulûment un mélange de haricot et de macaroni bien chaud, accompagné de frêles morceaux de pain faits à la main. Elles le savent très bien, le lot de katakatani (motos tricycles) stationné tout près, faisant le plein du réservoir et sur le point de partir est d’une grande occasion pour arriver sur les sites d’orpaillage, distants de 7 km du campement. De peur de s’adonner à la longue marche, d’autres filles, déjà prêtes, sont aux aguets. Comme du lait sur le feu, elles surveillent tout mouvement de Katakatani, n’hésitant pas à s’y agripper avec une bonne dose de supplication pour attendrir le conducteur. À l’opposé, certaines semblent autonomes. Elles font le trajet à vélo. Mais les moins chanceuses sont à pied.

Longues heures, lourdes charges

Le site d’orpaillage est en pleine forêt. Les rues qui y mènent sont tortueuses et caillouteuses. Une vingtaine de minutes à moto plus tard, les premiers monticules de minerais se dévoilent. Issus de dizaines de mètres de profondeur, ils sont remontés des puits de mine artisanale par des femmes et des jeunes filles, à l’instar de Fatoumata Togola, 15 ans.

Avec sa petite taille, elle gambade autour d’un puits de mine, duquel deux filles remontent de lourdes charges de minerai. Quelques minutes plus tard, c’est à son tour d’assurer la relève avec son binôme, Mariam Togola, 17 ans. En deux bonnes petites villageoises, elles portent des maillots du numéro 11 barcelonais, Ousmane Dembélé, en bas duquel est inscrit le nom d’une institution des Nations unies pour la protection de l’enfance. Avec rapidité, elles tirent la charge du fond du puits dont la lourdeur provoque le cliquètement de la poulie facilitant la remontée. Leurs deux petits bras font des mouvements de va-et-vient plusieurs dizaines de fois pour finalement sortir avec un ancien bidon d’huile de 20 litres, coupé en deux et chargé de minerai. La même action continue pendant un moment avant qu’elles ne soient remplacées à leur tour.

C’est en cela que se résume le quotidien des deux jeunes filles, toutes originaires d’un village de la commune rurale de Koumantou, région de Bougouni. Chaque jour, elles remontent des charges de minerai des profondeurs de puits de mines, de huit heures à 17 heures, avec un temps de repos par intermittence, soit un volume horaire de 63 heures par semaine. Cependant pour elles, le jeu en vaut la chandelle. Déjà fiancées, le gain qu’elles génèrent à Kobadani servira à acheter leurs trousseaux de mariage, mais aussi à aider leurs parents au village.

Fatoumata Togola a même abandonné l’école dès le primaire, en classe de cinquième année, pour Kobadani. « Je ne le regrette pas parce que je gagne de l’argent », déclare-t-elle sans remords. À l’opposé, Mariam n’a jamais connu les bancs. Âgée de 17 ans aujourd’hui, elle déclare venir sur le site d’orpaillage « depuis toute petite », comme si elle était grande. Par semaine, elle gagnerait moins de 50 000 francs CFA. « Depuis l’âge de cinq ans, j’avais l’habitude de venir avec mes parents. Ils n’y voient aucun inconvénient parce que je leur envoie de l’argent ».

Les enfants utilisent le mercure

À un kilomètre des puits, les minerais extraits sont acheminés par un balai incessant de katakatani auprès d’un lac où ils sont broyés et réduits à l’état de sable fin par des machines appelées « cracheurs ». À l’aide d’un raccord, elles pompent l’eau du lac pour les opérations de panage du minerai concassé. Leur bruit déchire le calme de la forêt. Et l’eau qu’elles éjectent à la suite de l’opération est altérée de gasoil, en plus de l’air qui en empeste. La pollution est à son comble.

Non loin de jeunes concasseurs burkinabés, trois jeunes filles sont affalées à l’ombre d’un grand arbre. Mouillées et toutes couvertes de boue, elles se reposent après des opérations de panage, communément appelées « le la le ». À l’aide d’une batée et de l’eau, elles lavent le minerai déjà pané des Burkinabés. En des mouvements circulaires rapides, les pépites d’or se déposent au fond de la batée et les autres matières restent en surface.

Sata Diakité est l’ainée du groupe. Après des heures passées à triturer la boue, dans cette eau empoisonnée de gasoil, elle nous montre sa première prise du jour : une pépite d’or d’un décigramme qui lui fait déjà 2500 francs CFA. La pépite est jalousement gardée dans une petite batée. En fin de semaine, elle rassemble toutes les pépites d’or par amalgamation à l’aide du mercure, un produit chimique très dangereux fourni par des acheteurs locaux. « Les acheteurs d’or ici à Kobadani nous prêtent le mercure pour nos opérations d’amalgamation. Ensuite, nous leur vendons la quantité d’or qu’on aura gagnée », explique-t-elle.

La jeune fille de 15 ans vient d’un village de la commune de Massigui, dans la région de Dioïla. Déjà promise en mariage à un homme, elle n’a jamais fréquenté l’école. Tout comme Fatoumata et Mariam, Sata déclare être envoyée par sa mère afin de pouvoir acheter son trousseau de mariage. « J’aurai des ustensiles de cuisine et des habits. Mais je donne aussi une partie de mon argent à mes parents, contribuant ainsi aux charges familiales », détaille-t-elle.
Ses deux autres camarades du groupe, Yama Diakité, 13 ans, et Aminata Sidibé, 14 ans, viennent également des villages de la commune de Massigui. Si Aminata Sidibé déclare ne pas savoir si elle est déjà fiancée, Yama Diakité l’est. Elles ont également été privées d’école. « C’est peut-être par manque de bras valides dans la famille ou de moyens financiers», tente d’expliquer Aminata Sidibé.

La jeune fille gagne entre 20 000 et 30 000 francs CFA par semaine à Kobadani. En des périodes fastes, elle peut avoir plus de 50 000 francs CFA. Mais malgré ce gain qui paraît énorme pour des filles de son âge, elle ne perd pas de vue le danger qu’elle affronte quotidiennement. Il y a de cela deux semaines, elle est tombée d’un katakatani non loin du campement de fortune. « J’ai eu atrocement mal au dos. Je me suis rendu chez un agent de santé dans un hameau environnant. Celui-ci m’a prescrit beaucoup de comprimés. Il m’a aussi fait des injections. Aujourd’hui ça va », raconte-t-elle. Rien de tel pour décourager la jeune enfant. « Que faire ? Je n’ai pas d’argent. Mais si j’ai un travail plus juteux que l’orpaillage, je migrerai vers cela. Dans le cas contraire, sauf si je n’ai pas le choix, je demeurerai là-dedans.»

Familles vulnérables

Toutes ces filles sont victimes de l’exploitation économique par le travail. Leurs parents, ne parvenant pas toujours à assurer leurs besoins, même les plus élémentaires, les impliquent dans la recherche de revenus. En dehors d’Aminata, elles déclarent être envoyées à Kobadani par leurs parents, notamment leurs mères. Prédisposées au mariage précoce, car déjà fiancées dès leurs très jeunes âges, une partie des sommes d’argent qu’elles gagnent va financer l’achat de leurs trousseaux de mariage, le reste servira de contribution aux besoins familiaux. « C’est la pauvreté qui pousse ces enfants à venir ici. Leurs parents n’ont rien. Ils les envoient afin qu’elles se débrouillent et fassent gagner de l’argent à la famille », explique Maïmouna Togola. Dans la trentaine, elle fait l’orpaillage depuis ses 18 ans. Assise à côté d’un puits de mine, elle se repose à l’ombre d’un hangar de fortune après des moments passés à remonter des charges de minerai. Elle est avec deux autres collègues, Fatoumata Sidibé et Aminata Camara. Le débat qui s’installe entre les trois par rapport au travail des enfants dans l’orpaillage sonne comme un plaidoyer pour la cause féminine.

Pour Fatoumata, tout est une question de problème d’autonomisation des femmes. « Les hommes sont incapables de prendre en charge les dépenses familiales et surtout les charges de leurs épouses. C’est cela qui pousse celles-ci à envoyer leurs enfants sur les sites d’orpaillage. Que les hommes prennent en charge leurs femmes si on veut lutter contre le travail de ces enfants dans l’orpaillage», propose-t-elle sèchement. « Les mères n’ont aucun choix. En n’ayant pas de moyens pour acheter des trousseaux de mariage à leurs filles, elles sont obligées de les envoyer faire l’orpaillage. Les hommes estimant que ce n’est pas leur affaire. Ce sont les parents qui sont responsables de leur présence ici », renchérit Aminata Camara.

Travaux dangereux

Le Mali dispose d’un arsenal juridique pour préserver les droits de l’enfant, dont la convention internationale des droits de l’enfant, adoptée par l’ONU le 20 novembre 1989. Elle dispose que « les États parties reconnaissent le droit de l’enfant d’être protégé contre l’exploitation économique et de n’être astreint à aucun travail comportant des risques ou susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique, mental, spirituel, moral ou social. » Malgré cette convention, signée et ratifiée par le Mali le 20 septembre 1990, et bien d’autres par ailleurs, les enfants continuent d’être victimes d’exploitations économiques et de travaux dangereux, comme ces jeunes filles à Kobadani. Envoyées par leurs parents et de par la nature des activités qu’elles exercent, elles sont astreintes aux travaux dangereux, définis par l’article 3 de la convention no. 182 de l’Organisation internationale du travail (OIT) comme « les travaux qui, par leur nature ou les conditions dans lesquelles ils s’exercent, sont susceptibles de nuire à la santé, à la sécurité ou à la moralité de l’enfant. »

C’est ainsi que le 29 décembre 2017, le gouvernement par arrêté a complété la liste des travaux dangereux interdits aux enfants de moins de 18 ans parmi lesquels on note, dans le secteur de l’orpaillage, les activités de panage à l’eau ou l’utilisation du mercure. Des tâches quotidiennes de ces filles à Kobadani, dont l’interdiction est justifiée par des risques «d’activités physiques pénibles, de postures inconfortables, d’ambiances thermiques ou de risque chimique.» L’Arrêté poursuit que les conséquences de ces deux activités sur la santé, la sécurité et la moralité des enfants sont « les troubles musculo-squelettiques, l’intoxication chronique et aiguë, l’empoisonnement ou les troubles respiratoires. »

En outre, il y a de grands risques que ces jeunes filles soient victimes de grossesses non désirées ou qu’elles tombent facilement dans la prostitution. Une source sur place explique que pour faute de moyens souvent, des filles « se donnent aux hommes» en échange de nourriture. Le campement de fortune dispose également d’une maison close.

Inquiétudes

Comme tout site d’orpaillage, Kobadani a des « tomboloma », des autorités coutumières en charge de la quiétude de la mine. C’est impuissant et inquiet qu’ils assistent à la ruée de ces jeunes filles sur le site d’orpaillage. « Ces enfants sont l’avenir de ce pays et dire qu’ils abandonnent l’école au profit des zones d’orpaillage est plus qu’inquiétant. Nous savons que toute mine est éphémère et que c’est étant enfant qu’on pourra apprendre », regrette Ichaka Togola, une autorité coutumière.

Pour autant, les « tomboloma » ne sont pas insensibles à la situation précaire des familles d’où viennent les enfants du site d’orpaillage. Cela les oblige à fermer les yeux sur leur présence et la nature de leurs activités qu’ils savent bien interdites par la loi. « Nous savons que l’Etat travaille à mettre fin au travail des enfants sur les sites d’orpaillage. Cependant, tant que l’intention n’est pas mise en pratique, cela ne servira à rien du tout. Les enfants ne peuvent pas être stagnés en un seul endroit. Leurs parents n’ont rien d’autre à faire et ils comptent sur le gain que ces filles feront. Et nous ne pouvons pas les chasser d’ici parce qu’on n’a pas d’autres travaux à leur proposer, ni le gouvernement d’ailleurs », détaille Lassina Togola, un chasseur membre de la brigade de vigilance des « tomboloma » chargé de la sécurité des orpailleurs et de leurs biens.

Pour Ichaka Togola, il est plus qu’urgent de trouver d’autres alternatives, notamment la création d’écoles à Kobadani ou dans les villages environnants d’où viennent les enfants. « Dans leurs localités, les enfants sont très éloignés de l’école, certains jusqu’à plus de 10 km de distance. Cela aussi est un facteur d’abandon scolaire. C’est pourquoi nous aspirons aujourd’hui à avoir un centre de santé ici à Kobadani, mais aussi une école et l’accompagnement des parents afin de retirer les enfants des sites d’orpaillage au profit des classes. » Elles ne vont pas complètement abandonner le « lelale.» En classe lorsqu’elles verront les articles définis « Le, la, le », elles pourraient toujours se remémorer une époque de leur vie.

Boubacar Diallo