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L’armée nigériane annonce encore la mort du chef de Boko Haram

En termes simples, cela peut passer pour un petit triomphe, le tournant peut-être d'une sale guerre qui menace de déstabiliser…

En termes simples, cela peut passer pour un petit triomphe, le tournant peut-être d’une sale guerre qui menace de déstabiliser le Nigeria et fait vivre l’enfer à  une partie de sa population, dans le nord du pays (attaques, attentats, enlèvements). Boko Haram, groupe islamiste apparu il y a une dizaine d’années, monte en puissance dans le quart nord-est du Nigeria depuis fin 2013. Au cours des derniers mois, la secte a réussi à  étendre en « taches de léopard » de plus en plus vastes les territoires sous son contrôle. Le porte-parole militaire nigérian affirme à  présent que l’homme mort est le chef des insurgés, et qu’il a été tué lors d’affrontements à  Konduga, verrou de Maiduguri, la capitale de l’Etat de Borno. Entre le 12 et le 17 septembre, Boko Haram a effectivement tenté de s’ouvrir à  Konduga la voie vers Maiduguri, dont la prise aurait constitué un séisme national. Ils ont échoué, perdu des hommes, du matériel, et vu leur offensive brisée. A présent, l’armée est engagée dans une contre-offensive pour reconquérir des zones sur plusieurs axes. Il ne manquait plus que la mort du chef, Aboubakar Shekau, pour démoraliser Boko Haram et rassurer le Nigeria. Déjà  mort deux fois Mais rien n’est si simple. D’abord parce qu’Aboubakar Shekau est déjà  mort deux fois dans le passé, s’il faut en croire l’armée nigériane. La dernière fois, c’était en juin 2013. Ce n’est pas un problème pour le major général Olukolade, qui affirme que l’homme mort à  Konduga est l’« imitateur » de Shekau, un commandant de la secte qui lui ressemblerait (mais la photo supposée en attester est curieusement de très mauvaise qualité). Ce dernier se nommerait Bashir Mohammed (le commandant d’un des camps principaux du groupe islamiste dans la forêt de Sambisa voisine), ou encore Isa Damsaka, un autre commandant. Ce pourrait être une maladresse de plus de la communication de l’armée nigériane. Toutefois, plusieurs sources dans le secteur de la sécurité, ainsi qu’un membre d’une grande famille de Maiduguri, o๠Boko Haram a connu son essor, et qui a très bien connu Aboubakar Shekau dans sa jeunesse, ont fait les mêmes allégations au Monde. Cela ne constitue pas une preuve. Les Etats-Unis, qui n’ont jamais annulé leur promesse de verser sept millions de dollars à  qui permettrait d’arrêter Aboubakar Shekau, ne semblent pas être au courant de son remplacement par un, ou des « imitateurs ». L’original est devenu mondialement célèbre en raison de ses outrances, lorsqu’il avait promis (mais s’agissait-il d’une copie ?), après l’enlèvement de plus de 200 lycéennes à  Chibok (au Sud de Maiduguri), de transformer les filles en « esclaves » et de les « vendre au marché ». Vrai ou faux, Shekau adorait diffuser des vidéos de ses prêches o๠il cinglait l’air de son emblématique bâton cure-dents géant. Extraction modeste Avant de devenir ce mélange de porte-parole de la secte, de chef de guerre hystérique et d’implacable djihadiste que n’effraie aucune violence, il avait été le second de Mohammed Yousouf, le chef originel de Boko Haram assassiné par la police en 2009. Né dans l’Etat voisin de Yobe (o๠les précurseurs du groupe avaient tenté de créer une communauté religieuse autonome à  la campagne), Aboubakar Shekau avait vécu à  l’ombre de Mohammed Yousouf, prédicateur talentueux. Il avait aussi, à  l’époque, une réputation de radicalité et de violence. A la mort de son maà®tre, il avait contribué à  réorganiser la secte, qui venait d’être pratiquement exterminée par les forces de sécurité (encore aujourd’hui, leur mosquée rasée, dans le quartier de la gare, à  Maiduguri, demeure un champ de décombres). D’extraction modeste, il incarnait aussi la rage de revanche des exclus du Nigeria, tenus à  distance des richesses nationales par les notables politiques et religieux. Présenté comme un fanfaron à  tendance délirante, fiction alimentée par ses discours parfois caricaturaux (parmi ses lubies, il avait celle de menacer d’assassiner des personnages morts et enterrés comme le pape Jean-Paul II), Aboubakar Shekau s’exprime en réalité dans un haoussa fort convenable, et dit des choses limpides pour son auditoire nigérian ; son arabe n’est pas celui d’un « mallam » (érudit), mais lorsqu’il récite des versets du Coran, il le fait de manière parfaitement honorable, loin de l’image de fou dangereux à  peine sorti de sa campagne reculée. Cependant, nul ne peut affirmer avec certitude qu’il dirige effectivement Boko Haram, dont les décisions sont prises par une « choura » (conseil consultatif), ou s’il n’en est au fond que le porte-parole, ou le symbole. De plus, le porte-parole de l’armée qui annonce comme un fait accompli la mort de l’« imitateur » de Shekau, n’en est pas à  une contradiction près. Il vient ainsi d’annoncer avec aplomb la libération des lycéennes otages de Chibok, affirmant qu’à  la suite de négociations, ces dernières ont été relâchées par Boko Haram et placées dans deux bus qui étaient arrivés « dans notre caserne », le quartier général de la 7e division, à  Maiduguri, avant de se rétracter, et d’annoncer que les « filles n’étaient pas dans les bus » (mais qui alors, pouvait bien y être ?), pour finalement trouver un moyen expéditif de résoudre cette contradiction… en niant avoir jamais abordé le sujet.