Le Blonba ferme ses portes

( J'ai choisi ma voie alors que J'étais encore lycéen. Je me suis ensuite donné les moyens militants, juridiques et…

( J’ai choisi ma voie alors que J’étais encore lycéen. Je me suis ensuite donné les moyens militants, juridiques et intellectuels pour y arriver. J’ai pris des décisions souvent difficiles. Etudiant à  l’ENSUP, je refusais les mots d’ordre de beaucoup de grèves scolaires qui n’avaient pas de sens pour moi. Je voulais apprendre et malgré les pressions, J’ai toujours assumé ces choix. A l’occasion de mes études au Canada et en Europe, plusieurs offres d’emplois difficilement déclinables m’ont été proposées. J’ai toujours choisi le Mali. Cadre de l’ORTM, J’ai estimé que je n’y rendais pas service à  mon pays. Plutôt que de faire comme beaucoup d’autres, avoir un pied dans l’administration publique, un pied dans mon entreprise, J’ai démissionné. «Â Plutôt que de faire comme beaucoup d’autres, avoir un pied dans l’administration publique, un pied dans mon entreprise, J’ai démissionné » En 1998, avec mon ami Jean Louis Sagot-Duvauroux, J’ai fondé BlonBa. Je voulais créer les conditions d’une industrie culturelle viable au Mali et dans la sous-région avec comme axe d’action la citoyenneté. J’ai commencé la création audiovisuelle avec une caméra, une table de montage, un cameraman, un dessinateur et un électricien. Nos premiers spectacles de théâtre ont été créés sans subvention ni soutien public. Aujourd’hui, il n’existe pas une structure culturelle comme BlonBa dans la sous-région. Nous avions espéré que les administrations nous accompagneraient de leur bienveillance, qu’elles faciliteraient l’obtention des crédits accordés par l’étranger à  la culture malienne et que nous bénéficierions de la protection des lois. Elles se sont acharnées à  empêcher l’un et l’autre. Malgré cet environnement hostile, nous avons trouvé l’énergie de survivre par nous-mêmes, réussi à  imposer notre sérieux, notre régularité, notre exigence envers nos partenaires et nous-mêmes. Il nous est arrivé de refuser l’accès de notre salle à  un ministre qui ne venait pas à  l’heure indiquée de nos spectacles. Non pas par vanité, mais par respect pour le public venu à  l’heure. « Il nous est arrivé de refuser l’accès de notre salle à  un ministre qui ne venait pas à  l’heure » Cependant, en l’absence de soutien d’une administration de tutelle oscillant entre l’indifférence et l’hostilité, affaiblis par l’interruption de notre activité durant un redressement fiscal absurde qui a duré 6 mois et par la crise politique actuelle, ni le soutien ponctuel de nos amis, ni l’ardeur de mon équipe, ni la sympathie dont le public et la jeunesse entouraient BlonBa n’ont suffi à  nous donner la solidité nécessaire. s’ajoutant à  ces handicaps, le coup fatal nous a été donné par Mme Coumba Dembaga, la propriétaire du terrain o๠BlonBa s’est construit. Ce terrain, qui contenait un hangar de stockage de ciment, était le lieu idéal pour donner une salle à  BlonBa. Par chance, croyais-je à  l’époque, sa propriétaire, Mme Coumba Dembaga est ma tante. Je lui ai demandé s’il me serait possible de louer cet espace et d’en faire un centre culturel. Elle a accepté et nous avons signé un bail de 10 ans renouvelable. Les liens familiaux, les valeurs qui ici, au Mali, s’y attachent me paraissaient alors suffisants pour que je puisse y investir de confiance. « Nous allons donc quitter les murs actuels de BlonBa et tous les aménagements que nous y avons construits » Dès que le rayonnement du BlonBa a pris de l’importance, ma tante a commencé à  accumuler les obstacles devant nous. Quand elle a transformé sa concession sur le terrain en titre foncier, elle a exigé de refaire le bail et augmenté le loyer de près de 150 % : un million deux cent mille francs hors taxes par mois, près de quinze millions chaque année. Faute de solution alternative, nous nous sommes soumis à  cette augmentation qui ne correspondait pourtant à  aucune amélioration d’usage. Cela n’a pas suffi et les pressions ont continué. Tout prétexte est bon pour nous harceler. Nous gardions néanmoins le cap, malgré la précarité dans laquelle nous met ce chantage permanent. Mais aujourd’hui, dans une nouvelle citation, ma tante Coumba Dembaga me demande de changer à  nouveau, à  son profit, les termes du bail ou de quitter les lieux. Les conditions qu’elle nous impose rendent impossible la rentabilisation de notre activité. Nous allons donc quitter les murs actuels de BlonBa et tous les aménagements que nous y avons construits. Permettez-moi de mettre en rapport cette histoire avec la commotion que vient de connaà®tre le pays, commotion qui d’ailleurs a donné des ailes à  ma tante, dopée par les perspectives que lui ouvrait un affaissement supplémentaire de l’Etat de droit. l’aventure de BlonBa met en lumière trois réalités dont l’analyse et le traitement sont peut-être la clef du redressement national. « Les Maliens qui travaillent ne sont ni soutenus, ni protégés par la puissance publique » 1 – Jusqu’à  présent, il n’y a pas au Mali d’instance représentant vraiment, efficacement l’intérêt public. Nous avons à  peu près réussi notre démocratie, mais nous avons raté notre Etat démocratique. Les Maliens qui travaillent ne sont ni soutenus, ni protégés par la puissance publique. Dans bien des cas, ils doivent au contraire s’en protéger eux-mêmes. La corruption et la nyangoya sont partout. 2 – La société elle-même est atteinte. Si la corruption a pris une telle importance, C’’est aussi parce que chacun, à  son heure, espère en profiter. Un cousin corrompu est une meilleure assurance contre les aléas de la vie qu’un travail bien fait. l’argent a remplacé Dieu. Aucune valeur ne semble plus tenir face aux appétits qu’il provoque. Qui croit encore que les liens de famille sont plus importants que l’appétit d’argent ? 3 – Sous ce pesant couvercle, il existe un Mali nouveau, travailleur, créatif, efficace, combattif, patriote. BlonBa ferme aujourd’hui. Mais BlonBa a pu naà®tre, croà®tre, porter efficacement la parole autonome du Mali kura, dire non quand C’’était nécessaire, avancer toujours. BlonBa a existé parce que des menuisiers, des réalisateurs, des gardiens, des régisseurs, des écrivains, des artistes, des techniciens, des cuisiniers, des administrateurs, des animateurs vedettes et des manutentionnaires ont cru en eux-mêmes, cru dans le pays, cru dans la tâche qu’ils accomplissaient ensemble. C’’est donc possible. « Je reconstruirai un nouveau BlonBa encore plus beau » Pour toutes ces raisons, pour cette magnifique équipe sans laquelle je n’aurais rien pu faire, pour les dizaines de milliers de personnes qui portent dans leur C’œur le souvenir chaleureux de soirées passées à  BlonBa, pour tous ceux qui nous ont accompagné de leur amitié, pour notre Mali blessé, je n’abandonne pas. Ceux qui ont voulu casser la machine n’ont pas réussi. Ils ont pris les murs. Les savoir-faire, C’’est-à -dire les logiciels d’une vie culturelle autonome et créative, nous les avons emportés avec nous en quittant les murs. Je porte plainte contre Mme Coumba Dembaga pour abus de confiance et je demande à  la justice de mon pays que me soient accordés les dommages et intérêts correspondant au vertigineux manque à  gagner qu’elle impose à  BlonBa. Je reconstruirai un nouveau BlonBa encore plus beau, encore plus vivant. Je fais appel à  notre Etat pour qu’il accompagne, facilite et protège la reconstruction de cette entreprise qui compte pour le rayonnement et l’élévation de notre patrie. Si des partenaires étrangers pensent qu’il est bon pour notre société planétaire que la voix du Mali soit entendue et que BlonBa peut y être utile, je les remercie de leur concours.