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Le procès de Hissène Habré aura-t-il lieu?

Après la décision inattendue, le 8 juillet 2011, de renvoyer dans son pays l'ex-homme fort de N'Djamena, on a cherché…

Après la décision inattendue, le 8 juillet 2011, de renvoyer dans son pays l’ex-homme fort de N’Djamena, on a cherché désespérement des soutiens à  cette mesure prise par le Sénégal. On a plutôt eu droit à  un concert de désapprobations. La clameur est venue aussi bien des partisans de Hissène Habré que des militants de droits de l’homme ou même des parties civiles. Devant l’impasse judiciaire, le président sénégalais, Abdoulaye Wade, peut se servir de la béquille politique comme il en a fait la preuve par le passé, pour se débarrasser de l’encombrant hôte qu’est Hissène Habré. Le gouvernement tchadien a souhaité le 22 juillet «que le Sénégal extrade Hissène Habré vers la Belgique, qui lui en a fait la demande en 2005 et l’a réitéré en 2011 ». Le Haut commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, Navi Pillay, a souligné dans une déclaration du 12 juillet que la suspension du transfert de Hissène Habré ne devait pas signifier un retour au statu quo:«Habré ne devrait pas continuer à  vivre en toute impunité au Sénégal, comme il le fait depuis ces vingt dernières années». «Abriter une personne ayant commis des actes de torture et autres crimes contre l’humanité sans la juger ou l’extrader constitue une violation du droit international». Imbroglio politico-judiciaire l’extradition obéit à  une procédure judiciaire. Or en la matière, la justice sénégalaise a déjà  dit le droit en déclarant soit son incompétence, soit un avis défavorable à  son extradition vers la Belgique qui en avait fait la demande en 2005, en vertu de «la compétence universelle». Pour Me El Hadj Diouf, avocat sénégalais d’Hissène Habré, les choses traà®nent encore parce que tout simplement «son client ne peut être ni extradé ni jugé». Toutefois, tempère Me Assane Dioma Ndiaye, président de la Ligue sénégalaise des droits humains (LSDH) et conseil des victimes, le chef de l’Etat sénégalais peut passer outre l’avis défavorable émis par la Chambre d’accusation et signer le décret d’extradition. Même s’il déclare être pessimiste quant à  une telle option «compte tenu du contexte politique qui prévaut en ce moment au Sénégal». Il faut dire qu’un lobby pro-Habré très actif au Sénégal s’oppose à  toute expulsion de l’ex-homme fort de N’Djaména. A quelques mois d‘une présidentielle incertaine, beaucoup d’observateurs à  Dakar ne voient pas le président Abdoulaye Wade, 86 ans et candidat à  sa propre succession, prendre un tel risque. Cependant, il existe une autre option, tout aussi risquée mais certainement moins onéreuse au plan politique. Parallèlement à  une demande d’extradition, la Belgique a aussi introduit une requête devant la Cour internationale de Justice (CIJ) siégeant à  La Haye. Un mémoire devrait y être déposé avant le 26 août par les autorités sénégalaises. Ayant déclaré qu’il ne pouvait plus juger M. Habré, le Sénégal devrait s’accrocher à  cette perche pour l’extrader afin d’une part de ne pas s’exposer à  «une violation du droit international» et d’autre part, de pouvoir justifier devant l’opinion nationale une livraison de l’ex-président tchadien à  la justice internationale. Un célèbre avocat africain avance quant à  lui de sévères obervations. «Il y a une compétition malsaine entre les organisations de droits de l’homme depuis plusieurs années dans le dossier Habré; ce qui a dénaturé l’objectif initial de faire éclater la vérité et de dire le droit.» Cet avocat s’insurge en plus contre l’attitude de la communauté internationale, prompte à  ériger une cour internationale pour juger les assassins d’un ancien Premier ministre (le Libanais Rafik Hariri, ndlr) mais qui affiche une certaine indifférence par rapport aux crimes actuels en Syrie et s’abstient d’ériger un tribunal international pour juger Habré. Ces dernières péripéties du dossier Habré, constituent en réalité l’arbre qui cache la forêt d’une longue bataille politico-judiciaire de plus de dix longues années. Hissène Habré est soupçonné d’avoir perpétré avec son régime 40.000 assassinats politiques, sans compter les cas de tortures systématiques. Les associations de victimes, épaulées par plusieurs organisations de droits de l’homme se sont investies avec beaucoup de hargne pour son jugement devant un tribunal. Les déboires de l’homme qui a dirigé le Tchad de 1982 à  1990 ont commencé dès janvier 2000, trois mois avant l’accession d’Abdoulaye Wade à  la magistrature suprême. Suite à  une plainte d’un collectif de victimes des geôles d’Habré, l’ex-dictateur est inculpé par la justice sénégalaise de «complicité d’actes de tortures». Mais, en juillet de la même année, la Cour d’appel déclare les juridictions sénégalaises incompétentes pour poursuivre sur son sol un chef d’Etat étranger, fut-il déchu. «Gifle magistrale à  la justice» Saisi d’un recours, la Cour de cassation devait par la suite confirmer l’arrêt. Entretemps, Abdoulaye Wade est devenu président de la République du Sénégal. Il a fait de Me Madické Niang, un de ses fidèles, mais surtout, ex-avocat de Hissène Habré, son conseiller aux affaires juridiques. Le juge Demba Kandji, réputé intègre, en charge du dossier Habré, avait déjà  entendu plusieurs victimes, ainsi que le président de la commission d’enquête tchadienne qui a reconstitué le registre d’horreurs dont on accuse l’ancien dictateur tchadien. Mais, contre toute attente, le juge Demba Kandji est muté par le Conseil supérieur de la magistrature, dirigé par le président de la République. Des responsables d’organisations de droits de l’homme n’avaient pas manqué d’y déceler une manœuvre politique. «Une gifle magistrale à  la justice sénégalaise», avait alors commenté le président de la Rencontre africaine pour les droits de l’homme (Raddho), Alioune Tine, tandis que Me Sidiki Kaba de l’Organisation nationale des droits de l’homme (Ondh) rappelait avec amertume: «Quand la politique entre dans un prétoire, la justice en sort». Soupçons légitimes ou pas? Habré a en tout cas, par la suite, bénéficié d’un non-lieu de la Chambre d’accusation. Déjà  à  cette époque le président Abdoulaye Wade prenait une solution politique, faute d’avoir obtenu de la justice sénégalaise une solution définitive: «Je lui ai donné un délai pour quitter le Sénégal», avait-il asséné en avril 2001 dans une interview à  la BBC. En 2006, le Sénégal sollicite et reçoit de l’Union africaine (UA) le mandat de juger Habré. Le débat fait rage entre les parties civiles et les avocats d’Hissène Habré. Pour les premiers, les engagements internationaux du pays ainsi que la primauté du droit international suffisent. A l’opposé, les avocats de l’ex-président tchadien se réfèrent à  l’arrêt rendu par les tribunaux sénégalais, brandissent «l’autorité de la chose jugée». Qu’à  cela ne tienne, l’Etat du Sénégal affiche une grande détermination pour exécuter le mandat de l’UA. C’’est dans ce sens que l’Assemblée nationale du Sénégal a procédé en avril 2008, à  une modification de la Constitution introduisant en son article 9, une exception à  la non rétroactivité de la loi pénale pour le crime de génocide, les crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Le «verrou» juridique a sauté et la mise en place d’un tribunal spécial est en vue. Reste la question épineuse du budget que nécessite un tel procès. Les autorités sénégalaises l’avaient estimé au départ à  27 millions d’euros. Mais après moult réévaluations, ce montant s’est stabilisé autour de 8,5 millions d’euros. La France, le Luxembourg, le Tchad et l’UA, s’engagent à  financer le procès. «Je veux m’en débarrasser» Le président Wade s’est plaint du peu de soutien manifesté par la communauté internationale pour réunir l’argent nécessaire. Las de ces lenteurs et des promesses non tenues, il avait déclaré lors d’une interview en décembre 2010 avec France 24, vouloir se débarrasser de cet encombrant hôte:«Franchement, je regrette d’avoir accepté (le mandat de l’UA pour juger Habré, ndlr). Parce que je n’ai pas obtenu le minimum de soutien que je cherchais. Actuellement, je veux que l’Union africaine reprenne son dossier. Je veux m’en débarrasser ». Malgré cela, le président Wade continuait à  manifester son impatience, voire son ras-le-bol. Au même moment, M. Habré et ses avocats qui avaient saisi d’une requête, en octobre 2008, la Haute Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), voyaient comme une lueur. l’arrêt rendu, fin 2010, est favorable à  Hissène Habré. La Cour ordonne en effet au Sénégal «le respect du principe absolu de non rétroactivité» et lui exige de se conformer aux décisions rendues par ses juridictions nationales, à  savoir notamment le respect de «l’autorité de la chose jugée». l’institution judiciaire communautaire a même cru utile d’apporter des précisions:«Le mandat reçu de l’UA par le Sénégal lui confère plutôt une mission de conception et de suggestion de toutes modalités propres à  poursuivre et faire juger dans le cadre strict d’une procédure spéciale ad hoc à  caractère international telle que pratiquée en droit International.» Joignant l’acte à  la parole, le président du Sénégal décide, le 20 janvier 2010, quelques jours avant le 16e sommet de l’UA à  Addis Abeba en Ethiopie, pour déclarer officiellement le retour à  l’organisation continentale du dossier Habré. Toutefois, il affiche sa préférence pour un jugement de l’ex-homme fort de N’Djamena en terre africaine. La réaction de l’UA est tombée lors du récent sommet de Malabo (Guinée équatoriale) auquel le chef de l’Etat sénégalais n’a pas pris part. Le Sénégal est prié de juger rapidement Habré ou de l’extrader. La réponse de Wade a été presque immédiate: la décision arrêtée est de l’expulser vers son pays d’origine. Après la décision de suspendre l’expulsion de l’ancien président tchadien, les autorités sénégalaises annoncent «engager immédiatement des consultations avec les Nations unies, l’Union africaine et la communauté internationale pour qu’une solution puisse intervenir rapidement». En attendant, le jugement de Hissène Habré tourne en rond.